Retour vers le présent de la réconciliation
Une activiste autochtone tient une plume devant la statue de John A. Macdonald. Crédit photo : Pablo Ortiz
30/9/2025

Retour vers le présent de la réconciliation

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Lundi 29 septembre, 12 h. La salle de l’UQAM se remplit lentement. Étudiants, professeurs et citoyens venus de divers horizons prennent place, plusieurs vêtus d’un chandail orange, symbole de mémoire et de solidarité envers les survivants et survivantes des pensionnats autochtones. L’atmosphère est attentive : on est là pour écouter, apprendre, réfléchir.

Au cœur de cette table ronde intitulée « Réconciliation d’hier à aujourd’hui », organisée par le NISKA, une initiative étudiante destinée aux Autochtones de l’UQAM, quatre femmes aux parcours marquants prennent la parole. Il s’agit de Pascale O’Bomsawin, professeure de langue abénakise, Caroline Nepton Hotte et Véronique Basile Hébert, artiste de théâtre atikamekw de la communauté de Wemotaci, et la poète innue Joséphine Bacon.

Ensemble, elles partagent leurs perspectives et leur parcours de réconciliation, 10 ans après la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Mais surtout, elles s’interrogent sur ce que signifie, concrètement, « se réconcilier » aujourd’hui.

 « J’espère qu’on se réconcilie vraiment »

Chaque 30 septembre, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation rend hommage aux enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux, ainsi qu’aux survivants des pensionnats et à leurs familles. De 1831 à 1996, environ 150 000 enfants inuits, métis et des Premières Nations ont été arrachés à leurs familles pour être envoyés dans près de 130 pensionnats au Canada. Dans la foulée des recours collectifs, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a sillonné le pays pendant six ans, recueillant des milliers de témoignages. Son rapport, publié en 2015, formulait 94 appels à l’action. Dès la préface, le ton est donné : « Connaître la vérité a été difficile, mais se réconcilier le sera encore davantage. »

C’est précisément cette tension qui anime la rencontre à l’UQAM. « J’espère qu’on se réconcilie vraiment », lance Joséphine Bacon dans un petit rire. Mais déjà, le mot fait débat.

Pour Véronique Basile Hébert, le terme « réconciliation » reste trop chargé politiquement. « Est-ce qu’ il y avait déjà eu conciliation avant de parler de réconciliation ? Je pense qu’il y a eu des moments de conciliation intéressants (...) En 1701, on a eu le traité de la Grande Paix de Montréal. Je pense qu’il y a eu un moment de conciliation, de tentative de conciliation à ce moment-là. Mais est-ce que c’était vraiment ce qu’on voulait, que ça dure dans le temps ? Ou c’est juste pour calmer les ardeurs des uns ou des autres jusqu’à ce qu’on puisse avoir le dessus ? [...] Moi, j’aime mieux parler de conciliation que de réconciliation parce qu’il y a une dimension politique dans l’usage de ce terme-là. Conciliation des besoins, des intérêts divergents… » dit-elle, dubitative. 

« Réconcilier, ça sonne comme pardonner. Mais pardonner à qui ? Et surtout… est-ce que l’autre [est censé] te pardonner, lui ? » – Joséphine Bacon

Chez d’autres, c’est carrément la colère que ce mot réveille. Joséphine Bacon, qui a notamment grandi en pensionnat, reprend : « On – ceux de ma génération – a commencé à être fâchés quand on a commencé à parler de guérison, de réconciliation. Là, on s’est mis à réfléchir à ce qu’on avait vraiment vécu dans ces pensionnats. » 

Elle poursuit en puisant dans ses souvenirs. « Je me souviens, les anciens pensionnaires avaient rendu hommage au père Laurent, du pensionnat de Maliotenam. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais on n’était pas fâchés. Pourtant, on voyait nos parents tous les 10 mois. Lorsqu’on arrivait dans nos familles, nous étions comme des étrangers. Et au moment où nous redevenions à l’aise dans nos familles, c’était le moment de repartir encore au pensionnat. Ce sont des choses qui me reviennent. J’ai pensé à cette fête qu’on a donnée au père Laurent. On n’était pas fâchés. Toutes les personnes qui étaient allées au pensionnat étaient toutes là… » raconte la poète. 

Après un long silence, elle reprend : « Réconcilier, ça sonne comme pardonner. Mais pardonner à qui ? Et surtout… est-ce que l’autre [est censé] te pardonner, lui ? » Dans sa bouche, le mot prend une résonance douloureuse. « La réconciliation nous a fait réfléchir à ce qu’il nous était vraiment arrivé au pensionnat... »

« Comment pouvons-nous faire avancer le processus de réconciliation canadienne sans parler de la terre? »

À ce débat sur les mots, Caroline Nepton Hotte ajoute une autre dimension : le lien au territoire. « Comment pouvons-nous faire avancer le processus de réconciliation canadienne sans parler de la terre ? » questionne-t-elle. Pour elle, impossible de penser la réconciliation en vase clos : elle doit passer par les terres, les savoirs autochtones, les relations vivantes qui nous entourent. 

Mme Nepton Hotte évoque ses marches en forêt, les mousses anciennes, les petits fruits, les plantes médicinales. « On appelle ça des ressources naturelles, dit-elle. Mais est-ce que ce sont vraiment des ressources ? Ou plutôt la vie autour de nous ? » Ici, la réconciliation prend racine dans le concret. Elle cite notamment le projet de loi 97 sur la gestion forestière, aujourd’hui mis sur la glace. Dans ce combat, des gardiens du territoire se sont mobilisés pour protéger les caribous, les rivières, les forêts. « On a réussi à freiner ce projet-là, mais ce n’est qu’un sursis. Il y a encore énormément de travail à faire », insiste-t-elle. « Du pain sur la planche », dit-elle en riant, avant de rappeler à l’auditoire que l’exploitation effrénée des territoires reste un enjeu crucial.

Se réconcilier avec sa langue

Puis la parole glisse vers une autre forme d’héritage à sauvegarder : celle de la langue. Pour Pascale O’Bomsawin, c’est là que tout commence. La langue, pourtant, ne lui avait pas été transmise. « Mon grand-père parlait abénakis, mais pas mon père. Alors, j’ai ressenti cette responsabilité de me la réapproprier. Je voulais comprendre pourquoi certaines choses me heurtaient dans la vie quotidienne, pourquoi je me sentais en porte-à-faux », témoigne-t-elle. 

« Il y a 10 ans, je côtoyais des aînés anichinabés qui commençaient à offrir des cours d’anishinaabemowin. Je me suis inscrite. Quand je me suis présentée, l’aîné m’a dit : “ Qu’est-ce que tu fais ici toi ? Va apprendre ta langue !” » raconte-t-elle en riant. 

« Quand j’ai voulu réellement apprendre ma langue, c’est un Allochtone qui m’a transmis les bases avancées. Dans ma communauté, il n’y avait plus personne pour m’accompagner à ce niveau. Si un Allochtone n’avait pas choisi d’apprendre une langue du territoire plutôt qu’une langue étrangère, la chaîne se serait rompue », souligne-t-elle. 

Mme O’Bomsawin sonne l’alarme. « Si vous pensez que les langues autochtones vont bien, ça va mal ! Je sors de trois jours de rencontre avec le comité régional des langues ancestrales, et la situation est préoccupante. »

Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), deux langues autochtones disparaissent en moyenne chaque mois, et 40 % des langues dans le monde, dont une majorité de langues autochtones, sont menacées d’extinction à long terme, faute de locuteurs.

Son histoire illustre pourtant la force des reprises de transmission. « Ce qui est particulier, dans mon processus de réconciliation et de guérison, c’est qu’il y a un an, mon père est venu dans mon cours de langue abénakise pour débutants afin de briser ce cercle de dépossession de l’identité. Il s’est dit : “Moi, je vais suivre des cours d’abénakis. Mais ce n’est pas vrai que je vais l’apprendre de quelqu’un d’autre que ma fille !” » rapporte-t-elle avec fierté. 

Portés par le thème « Réconciliation d’hier à aujourd’hui », les regards se tournent vers l’avenir : il s’agit de guérir, mais aussi de reconnaître que cette démarche ne peut se faire seul. « Apprenez à être des alliés, insiste Pascale O’Bomsawin. On parle de réconciliation avec nous-mêmes, mais il faut aussi se réconcilier avec la société. Et la société, c’est qui ? C’est tout le monde. Il faut être deux pour danser le tango, deux pour se réconcilier. Oui, il y a la réconciliation avec soi-même, avec le territoire, avec notre identité, mais il y a aussi la réconciliation avec l’autre. »

Elle poursuit : « Souvent, les gens me disent : “Pascale, je ne connais absolument rien de tout ça.” Mais c’est parfait ! Tu viens de réaliser que tu ne connais rien. Mais dans cette curiosité-là, faites-vous de la place pour apprendre, pour faire des erreurs. Parce que, nous aussi, on en fait. »

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