Laura Luu, Fo Niemi et Kyungseo Min, répertorient les cas de racisme anti-asiatique au Québec.
Inégalités
Racisme anti-asiatique: quand les voix s’élèvent
10/7/20
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5 Minutes

Une première a eu lieu vendredi dernier dans l’histoire de Montréal et des communautés asiatiques.

On a en effet annoncé en conférence de presse qu’une motion serait présentée au conseil municipal de Montréal afin de dénoncer unanimement la montée du racisme anti-asiatique à Montréal dans la foulée de la pandémie de COVID-19. Plusieurs groupes se sont joints au Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) pour appuyer la résolution, dont l’Union des étudiants de Concordia (qui compte 37 100 membres), l’Association étudiante de l’Université McGill, l’Association philippine de Montréal et de sa banlieue, les Chinois progressistes du Québec et le Conseil de développement économique du Quartier chinois de Montréal.

« Devant la recrudescence des actes haineux contre les personnes d’origine ou d’apparence asiatique et l’inaction des autorités de Montréal et du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le CRARR m’a proposé un projet de résolution demandant à la Ville de Montréal de condamner le racisme anti-asiatique, a expliqué Marvin Rotrand, conseiller municipal indépendant de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce. J’ai aussitôt accepté, car l’histoire montre que le silence est la pire des réponses, et est même un encouragement à la propagation de la haine raciale. »

Cette motion demande que toutes les mesures soient prises pour protéger ces Montréalais contre toute forme de harcèlement et de violence sur le territoire de l’île. Un vote aura lieu sur cette résolution le 15 juin.

Fo Niemi, directeur général du CRARR, est optimiste sans toutefois porter de lunettes roses. « Ce qui se passe aux États-Unis, avec la police et les communautés noires, aide à réveiller beaucoup de gens, mais il faut toujours faire attention, il faut demeurer vigilant, déclare-t-il. Dans les débats sur le racisme ou ce qu’on appelle l’anti-racisme, il y a encore beaucoup de résistance. Beaucoup de gens refusent de croire que les Asiatiques puissent être victimes de racisme. S’il y avait un incendie criminel dans le Quartier chinois ou si quelqu’un s’y faisait poignarder, alors certains se réveilleraient, mais malheureusement, il serait un peu tard.

On a beaucoup à faire. »Des actes criminels visant les communautés asiatiques, il y en a toutefois eu à Montréal depuis février. Un Coréen s’est notamment fait poignarder en mars sur le boulevard Décarie. Selon des informations recueillies auprès du Consulat général de la République de Corée à Montréal, il a décidé de rentrer en Corée avec sa famille.Avant la pandémie de COVID-19, le CRARR recevait en moyenne deux ou trois plaintes chaque mois pour des actes haineux contre des personnes d’origine asiatique. Dans les 3 derniers mois, il en a reçu 18. La police de Vancouver en a comptabilisé 29 au cours des 3 derniers mois. Le SPVM n’a que de vagues informations sur les crimes haineux.

Le provincial tarde à réagir

Du côté fédéral, la question fait aussi son chemin. La ministre  de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse, Bardish Chagger, a d’ailleurs tenu il y a quelques semaines une table ronde virtuelle avec une centaine de personnes issues des communautés asiatiques pour parler du plan pancanadien de lutte contre le racisme anti-asiatique. Et le premier ministre Trudeau a dénoncé ce type de racisme dans l’une de ses déclarations. C’est donc plutôt la façon dont le gouvernement provincial traite la question du racisme, c’est-à-dire en prônant une « évolution tranquille », qui choque plusieurs Asiatiques québécois.

Ils voient là un déni du racisme systémique qui ne peut que nuire à la crédibilité du gouvernement sur le plan de la reconnaissance du racisme, surtout de celui visant un groupe jugé bien intégré. Contacté à ce sujet, le cabinet de François Legault a déclaré que M. Arruda en a fait mention lors d’un point de presse au début de la pandémie. Une déclaration officielle sur le sujet se fait néanmoins encore attendre. Fo Niemi déplore cette lenteur. « En Colombie-Britannique, le premier ministre et le chef de la police ont pris des mesures concrètes ; en Alberta, c’est le président de la Commission albertaine des droits de la personne qui s’est prononcé en faveur de l’action anti-raciste, mais au Québec, on n’a presque rien. Oui, il y un plan de lutte contre la discrimination et le racisme, le gouvernement promet “d’agir”, mais sans reconnaître le racisme systémique. »

Les femmes plus à risque

Des pagodes vandalisées dans le quartier Rosemont et à Côte-des-Neiges, une porte sur laquelle ont été barbouillés au spray les mots « COVID-19 chinese » dans Ahuntsic-Cartierville, des agressions verbales contre des femmes asiatiques quand celles-ci sortent faire des commissions – voilà quelques exemples de la xénophobie ambiante qui règne depuis quelques mois au Québec. « Tu devrais penser à retourner dans ton pays plutôt qu’être insouciante, pis venir tous nous contaminer », s’est fait dire une Asiatique le 19 mars dernier dans une pharmacie d’Alma, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, selon un rapport répertoriant les témoignages des nombreuses victimes de racisme anti-asiatique dans la province. Cette étude est réalisée par une Montréalaise d’origine coréenne, Kyungseo Min, en collaboration avec une étudiante en droit de McGill, Lily Wang.

Kyungseo raconte : « Ce que nous avons constaté dans cette étude, c’est que ce sont surtout des femmes asiatiques qui ont été agressées verbalement, peut-être parce que nous sommes une cible facile.

Nous sommes plus vulnérables, moins susceptibles de répliquer, de porter plainte… nous avons tendance à nous éloigner, à ignorer ou à fuir les situations déplaisantes. De là la facilité pour les agresseurs de nous menacer », explique cette jeune écrivaine de 26 ans, née en Corée du Sud et ayant immigré à Calgary avec sa famille à l’âge de 6 ans.Recueillir les récits qu’aucune des victimes n’a, pour une raison ou pour une autre, rapportés à la police ; réunir des voix qui autrement auraient été perdues – voilà ce que Kyungseo et sa collègue Lily ont fait depuis des mois pour montrer que le racisme anti-asiatique n’est pas un incident isolé : il se propage sournoisement dans la société, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la rue. Il existe depuis des centaines d’années au pays, mais le coronavirus l’a avivé. Et si une nouvelle génération d’Asiatiques en est maintenant la cible, celle-ci n’entend pas rester silencieuse.

Le silence des aînés

Réaliser un recueil de données sur la base de l’origine ethnique est ardu pour les communautés asiatiques, surtout auprès des personnes âgées. Les services de police ne communiquent pas avec les services communautaires pour offrir de l’aide et encourager les gens à collaborer à la prévention des crimes haineux. Il y a aussi les stéréotypes qui visent la plupart des personnes asiatiques, selon lesquels il est presque impensable qu’elles soient victimes de racisme. Elles sont en effet jugées dociles, obéissantes, travaillantes, silencieuses.

Elles représentent un modèle d’intégration empreint d’humilité et de discrétion, deux traits que presque toutes les familles asiatiques transmettent à leurs jeunes, ce qui n’aide en rien à la dénonciation.« Depuis toujours, […] nos parents nous ont dit de nous taire, d’ignorer et d’avancer malgré les insultes. Mais nous sommes à un point, surtout avec la COVID, où on n’a plus le choix de ne plus appuyer sur le bouton “ignorer”, mais d’apprendre avec nos valeurs québécoises à s’exprimer, à se protéger et à se défendre de l’injustice », affirme Laura Luu, administratrice de la page Facebook intitulée Groupe d’entraide contre le racisme envers les Asiatiques au Québec.Le racisme que subissent les personnes nées au Québec et ayant des racines asiatiques, comme Laura Luu, est un phénomène relativement récent pour plusieurs de ces Québécois qui n’ont jamais été victimes de ce fléau auparavant. La page Facebook Groupe d’entraide contre le racisme envers les Asiatiques au Québec compte plus de 5 000 membres et est un lieu où l’on peut dénoncer des actes répréhensibles, mais aussi trouver des solutions pour faire face à la peur liée à ces attaques verbales, voire physiques.

« Moi, ce qui m’inquiétait le plus, c’était de savoir si ma mère, ma famille ou les générations plus vieilles allaient en parler si ça leur arrivait. Parce qu’elles ne vont pas en parler, et je me demande ce qu’elles vont en faire », déplore Laura, une femme d’origine vietnamienne qui est devenue mère récemment.Même son de cloche du côté de May Chiu, une avocate et militante anti-raciste depuis des décennies, qui est aussi membre des Chinois progressistes du Québec. Cette dernière s’inquiète pour les personnes âgées d’origine asiatique qui ne parlent ni le français ni l’anglais. « Sont-elles en mesure de saisir l’ampleur de cette crise ?

Mon père ne comprenait pas pourquoi personne ne venait le visiter depuis plusieurs semaines », explique May Chiu, qui n’a pu recommencer à communiquer avec son père de 89 ans, qui vit au Centre d’hébergement Jean-De La Lande, que depuis quelques semaines à peine. L’établissement n’avait pas assuré de suivi auprès d’elle.

« Mai a été le Mois du patrimoine asiatique au Canada, et avec la crise de la COVID, les gens cherchent leur place ainsi que des moyens pour se mobiliser et protester sans avoir à sortir de la maison. Beaucoup de membres de nos communautés pensent qu’on est sur la défensive et que la propagation de la haine empêche les victimes de partager leur histoire et d’éprouver un sentiment d’empowerment. Il y a une grande diversité à l’intérieur des communautés asiatiques. Il faut donc une approche intersectionnelle pour attaquer le problème de fond », estime May Chiu, qui s’applique actuellement à préparer un guide afin de donner des ressources aux personnes asiatiques.

L’actualité à travers le dialogue.
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