Dans les années 2010, Chris Brown faisait la manche à proximité du Provigo au coin de Milton et de du Parc. Mais maintenant, ce Cri de la Saskatchewan est un intervenant de rue dans le quartier. Photo: Emelia Fournier
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« Meet me at Parc Avenue » – À la rencontre des intervenants de Milton Parc
29/2/24
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Dans le voisinage de Milton Parc, des personnes qui ont vécu l’itinérance travaillent ensemble pour aider la communauté dans la rue. Dans les années 2010, Chris Brown faisait la manche à proximité du Provigo au coin de Milton et de du Parc. Mais maintenant, ce Cri de la Saskatchewan est un intervenant de rue dans le quartier. 

D’après son expérience, les personnes qui vivent dans la rue à Montréal ont bâti une communauté serrée. « Tout le monde se connaît. Quand tu utilises les organismes qui sont aux alentours du centre-ville, comme Projets Autochtones du Québec ou le Centre d’amitié autochtone, tu entres dans ces espaces, et nous nous connaissons tous par notre prénom. Quand il y a un décès dans la communauté, nous reconnaissons la personne tout de suite. Ça nous frappe fort à cause des expériences difficiles que nous avons tous vécues », explique Chris en anglais.

« Pour ce qui est de la population autochtone, Inuit, il y a une tendance chez les gens du Nord qui débarquent de l’avion, et ils connaissent Montréal à travers des messages et des contacts, des familles et des amis, qui leur disent : “Rejoins-moi à l’avenue du Parc, tu me verras, renseigne-toi et tu me retrouveras” », dit Chris Brown.

Depuis quelques mois, Chris travaille pour Comm-Un, un organisme communautaire qui œuvre auprès des gens de la rue à Milton Parc. Au 3516, avenue du Parc, deux portes vertes mènent à un « bureau » à gauche, où les bénévoles, les travailleurs de rue et les personnes itinérantes peuvent discuter, utiliser un ordinateur, échanger des blagues ou se procurer une cigarette. Le centre est aussi muni d’une petite cuisine et d’une toilette. Dans le fond, on trouve aussi une bibliothèque avec une grande table où les gens vont s’asseoir pour travailler, sculpter ou dessiner. En sortant par la porte arrière, on retrouve une table de pique-nique et, souvent, un groupe fumant des cigarettes et jasant. 

Comm-Un est le lieu de rencontre d’une équipe d’intervention de rue établie cette année grâce à un nouveau financement. Cette dernière est formée de personnes qui, pour la plupart, étaient auparavant itinérantes à Milton Parc. Elle effectue des patrouilles du lundi au vendredi de 17 h à 21 h. 

« Nous sommes tous connus de la communauté, on nous fait confiance. Au lieu d’avoir quelqu’un d’un autre organisme qui ne connaît pas bien la vie de la rue, ils vont davantage s’ouvrir à nous autres », dit Chris.

Enlever le feeling de l’étranger

Jonathan Lebire et Chris Brown travaillent à Comm-un
Photo: Emelia Fournier

Jonathan Lebire, le fondateur et directeur de Comm-Un, a lui aussi été sans domicile fixe. Adolescent, il était itinérant, puis il a acquis plus de 20 ans d’expérience en tant que travailleur de rue. Reconnu par chacune des personnes qui franchissent le seuil de Comm-Un, avec ses longs cheveux gris coiffés en queue de cheval et le sourire aux lèvres, Jonathan est prêt à aider. 

« Quand on dit à quelqu’un : “Arrête de boire, sors de la rue”, c’est ce que la majorité des gens croient que l’équation devrait être. Mais ça fait en sorte que tu ne comprends pas que cette personne-là a déjà essayé plein de fois, que ça ne fonctionne pas, qu’il y a d’autres raisons qui font qu’elle est là. Ce sont des humains avec une histoire qui va au-delà de la consommation, au-delà de la crise », nous explique Jonathan dans un local vide de Comm-Un, pour éviter d’être dérangé par les demandes de son quotidien. 

Il aimerait que la communauté itinérante de Milton Parc puisse vivre en convivialité avec la communauté plus large du quartier. « Les gens de la rue à Milton Parc, je le sais qu’ils ont envie de participer, mais qu’ils ne savent juste pas comment. C’est plus facile, je pense, de commencer ici, avec notre organisme », dit-il.

Il estime que la relation est maintenant plus amicale entre les voisins domiciliés et ceux qui ne le sont pas depuis deux ans.  « Je pense qu’on a beaucoup travaillé avec tout le monde – le Open Door, les autres organismes – pour justement se rencontrer et se connaître, puis enlever le feeling de l’étranger, puis de la polarisation », explique Jonathan, animé par cette évolution. « Les gens se connaissent par leur nom maintenant. Ça fait une grosse différence », ajoute-t-il. 

Des espaces pour se rencontrer

Un jeudi soir de janvier, Comm-Un anime une activité en collaboration avec le Santropol Roulant, un centre alimentaire communautaire qui cherche à créer des liens entre voisins. À l’extérieur, en face du Santropol Roulant, des passants de la rue Roy se joignent à des personnes sans-abri de Milton Parc pour écouter leurs histoires et se réchauffer près du feu. À l’intérieur, de la soupe et des boissons chaudes sont offertes à tous.

Autour du feu, Junior, un homme de Kuujjuaq, partage les joies de la chasse et de la pêche dans le Nord. Puis Sam, un Inuk, raconte son chemin de guérison. Il se prépare à aller à Waseskun, un centre de traitement autochtone, pendant quelques mois. Des enfants du voisinage glissent sur une butte de neige près de lui, pendant que leurs parents regardent Sim, un artiste inuk, fabriquer une sculpture de glace. 

« L’intention, c’est d’apporter des ressources, de faire en sorte que tout le monde soit dans la même vibe, mais vraiment pour les personnes qui en ont le plus besoin », résume Jonathan.

Trouver un appartement sans perdre sa communauté

De retour sur l’avenue du Parc, Chris nous parle des difficultés qu’il affronte en sortant de l’itinérance. 

Il a un domicile, mais avec les loyers en hausse perpétuelle, il ne peut pas se permettre un appartement plus près de sa communauté. « J’ai un appartement à Lachine, c’est un logement social, et j’arrive à peine à joindre les deux bouts, même avec mes deux emplois. Je travaille dans un café aussi. Je voyage beaucoup, Lachine est pas mal loin, l’épicerie est chère. Mais je connais beaucoup d’organismes où je peux trouver de la bouffe moins chère, des frigos communautaires. On doit se servir de l’aide qui est disponible. »

Même avec ses difficultés financières, Chris pense que d’autres personnes peuvent sortir de la rue. Selon lui, l’itinérance « est un enjeu que nous devons tous avoir en tête ». « En nous entraidant, nous pouvons surmonter ces défis. L’itinérance n’est pas une impasse pour tout le monde ici. Ce n’est qu’un incident de parcours. Je l’ai surmontée, même si la route est encore un peu cahoteuse. Mais au moins, tout s’améliore quand tu t’occupes de tes affaires et que tu as des organismes pour t’aider. »

Chato René Rivas Melara, un artiste maya, vit une expérience de locataire semblable à celle de Chris. Chato vient du Salvador. Il s’est retrouvé dans la rue dans le quartier Milton Parc il y a quelques années. Bien qu’il ait maintenant un appartement, il passe l’essentiel de son temps sur le Plateau, avec sa famille choisie.

« Maintenant, j’ai mon propre appartement avec mon chien, c’est un endroit très sécurisé où vivre, mais là je suis encore dans la rue. Je veux dire, j’ai mon appartement, mais ma vie, c’est être dans la rue et aider ces personnes. »

Chato a déménagé trois fois au cours des dernières années à cause de la hausse des loyers. « Je vis loin, je vis à Laval. Donc, c’est comme s’ils déplacent les personnes de leur chez-soi, nous sommes des déplacés. C’est pour ça que du monde dans Milton Parc, sur le Plateau-Mont-Royal, ou au centre-ville sont dans la rue – c’est parce qu’on n’a aucune autre option », dit Chato, déçu.

Un espace pour créer

Le lendemain, au coin de Rachel et de Papineau, nous retrouvons Chato à l’atelier d’art Tlachiuak. Un endroit dont il assure la coordination afin d’offrir un refuge et la guérison à la communauté des sans-abri. Avec l’aide de Comm-Un, l’atelier d’art a ouvert ses portes à la mi-janvier dans une salle du sous-sol de l’église de la paroisse de l’Immaculée-Conception. « ”Tlachiuak” veut dire solidarité en langue náhuat. Nous sommes comme en union, l’oscillation des personnes et du cercle de la vie », explique Chato en anglais.

En nous guidant à travers l’espace, il nous montre une table remplie de bijoux mayas fabriqués à la main, une station de sculpture munie de tables basses et d’outils, des percussions, une machine à coudre, des pinceaux, de la peinture et d’autres matériaux d’art. « La création fait partie de l’humain. [Elle permet] de se concentrer, d’oublier des choses, de mauvaises choses et des choses traumatisantes, tu sais, l’alcool, ou même le travail. Si tu travailles trop au bureau, tu peux faire de l’art et tu peux t’exprimer », nous explique Chato d’une voix douce, mais passionnée. 

Deux artistes inuit de Milton Parc, Sim et Nathan, sculptent la pierre à savon avec Andres Hasbun, l’ami de Chato et co-organisateur de l’atelier. 

Andres a commencé à travailler avec Comm-Un tout récemment. Il a déménagé à Montréal dans les années 2010 et a maintenant une famille et un domicile à Ahuntsic. Avant, au Salvador, Andres était itinérant. « Je suis aussi reconnaissant de mon passé difficile, de mon vécu. J’étais dans la rue aussi. Ça fait maintenant 10 ans que je vais bien, donc je veux aider les autres », dit-il. 

Les efforts de Chato et d’Andres sont appréciés par les personnes de la communauté itinérante de Milton Parc. « Des gens me disent qu’ils se sentent mieux et qu’ils sont contents dans l’espace. [...] Ils disent que ça fait du bien, que c’est un espace bienveillant », dit Chato avec un sourire.

Nathan, un des sculpteurs inuit, polit un petit inukshuk en pierre à savon. C’est sa première visite à l’atelier. Sans interrompre son travail, il me dit que l’atelier est « très beau ». « Je peux sculpter à l’intérieur, parce qu’il fait froid dehors. J’aime bien l’espace, parce que je peux travailler », ajoute-t-il 

En occupant une salle dans une église, Chato estime que la communauté autochtone reprend sa place. « C’est pour ça que j’essaie de créer cet espace. C’est pour revenir à la culture, parce que nous n’avons jamais disparu. Nous sommes toujours ici, nous fabriquons des choses, dans l’église, ce sont de belles choses à faire », nous confie-t-il. Pour lui, occuper une salle dans une église est une manière pour les communautés autochtones de récupérer un espace dans l’institution qui les a dépossédés. « Nous ne l’oublions jamais, nous n’avons jamais disparu. »

Le cœur d’une communauté

Par le biais du travail de rue, des événements communautaires et de l’art, Chris Brown, Jonathan Lebire et Chato René Rivas Melara tentent d’améliorer la vie des itinérants de Milton Parc. Certains quittent la rue et arrivent à reconstruire leur vie, mais ce coin de rue, anodin pour certains, demeure le cœur de leur communauté. 

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Le centre Comm-Un, situé au 3516, avenue du Parc, est ouvert du mardi au jeudi de 14 h à 16 h. 

L’Atelier Tlachiuak, situé au 1801, rue Rachel Est, salle 5, est ouvert à tous du lundi au jeudi de 9 h à 14 h.

Pour consulter les événements de Comm-Un, visitez la page Facebook de l’organisme. 

Des dons en argent et des vêtements peuvent être envoyés à Open Door.

L’actualité à travers le dialogue.
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