Les 5 jeunes de la cohorte 2023-2024 de l'École Converse Podcast.
l’École Converse
Que vivent les jeunes des quartiers montréalais ?
16/4/24
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Initiative de journalisme local
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De novembre 2023 à mars 2024, cinq jeunes Montréalais issus de divers quartiers ont intégré l’École Converse Podcast 2024 en collaboration avec la Puce à l'oreille. Kester, Nesim, Sadjida, Sami et Adrianna, qui sont âgés de 16 à 19 ans, représentent une diversité tant géographique qu’ethnique. Malgré leurs différences de parcours et de provenance, ils partagent une chose : le désir de faire connaître la réalité des jeunes des quartiers, qui est souvent banalisée.

« On n’est pas importants, parce qu’on habite au fin fond de Montréal, parce qu’on vient d’un mauvais quartier, parce qu’on est Noirs, parce qu’on est Arabes », lâche Kester. « C’est pas parce que t’es Arabe que tu vas finir bandit ! » s’exclame Sami.

Originaires de différents quartiers de Montréal, dont Rivière-des-Prairies, Laval, Saint-Michel et Saint-Léonard, les jeunes découvrent au fil des semaines qu’ils ont des préoccupations similaires, notamment le mal social. Leurs expériences communes dépassent les frontières de leurs quartiers respectifs.

Le fruit de leur collaboration, intitulé « Pas tout Montréal », expose la réalité des jeunes des quartiers, entre stigmatisation et désir de faire entendre sa voix.

Ces jeunes incarnent la résilience et l’espoir. Au-delà des luttes de leur quotidien, ils partagent leurs aspirations en un avenir meilleur. En revendiquant leur place dans la société, ils sont les porte-parole d’une génération déterminée à faire entendre sa voix.

Le mal social, c’est quoi ?

Interrogés sur la nature du mal social, les étudiants de l’École Converse font part de leur expérience commune de manière concise : « Le mal social, c’est la société malade dont nous subissons les symptômes. Ce n’est pas juste une difficulté sociale, mais un problème persistant. C’est une injustice, un rejet, une situation qui persiste au quotidien », résume Kester.

Pour illustrer cette idée, Sami offre un exemple concret : « Un de mes amis algériens, quand il est arrivé au Canada à cinq ans, il éprouvait de la difficulté à parler et à se faire des amis. Ça, c’est une difficulté sociale. Mais des années plus tard, au secondaire, il continuait à se faire rejeter. Il a commencé à se sentir seul parce qu’il était discriminé ; et ça, c’est un mal social. »

Sadjida partage une perspective similaire, soulignant que le mal social découle souvent de la valorisation d’une communauté par rapport à une autre. Dans son quartier, elle observe un rejet des populations racisées, même si celles-ci sont majoritaires. Elle cite à cet égard certains exemples comme la conversion d’un terrain de soccer en terrain de baseball, un sport pourtant moins prisé par les habitants du quartier. Sami renchérit, faisant état d’une indifférence générale envers les Maghrébins dans son propre quartier.

« Au départ, on ne pensait pas partager les mêmes maux sociaux, mais nous avons fini par réaliser que nos expériences étaient similaires », explique Sami.

Réunis par leurs luttes quotidiennes contre le rejet social, la stigmatisation, le racisme et les violences policières, ces jeunes vivent chacun un mal social. Peut-être vous reconnaîtrez-vous dans le témoignage de l’un d’entre eux.

« Pas tout Montréal n’est sécuritaire »

Kester, qui a 18 ans, réside à Rivière-des-Prairies. Amateur de balados depuis quelques années, il a tout de suite saisi la balle au bond lorsqu’un intervenant de son quartier lui a parlé de l’École Converse. Le jeune homme voit cela comme un tremplin. C’est pour lui l’occasion d’apprendre à mettre des mots sur ce qu’il vit au quotidien, nous dit-il.

Prenant la parole pour se présenter, il se décrit comme un jeune qui ne brille pas particulièrement à l’école, qui s’ennuie souvent en classe, mais qui déborde de créativité. C’est avec spontanéité et une touche d’humour que Kester se présente tout au long du balado, captivant l’audience par sa personnalité attachante et son esprit vif.

En prenant la parole, le jeune homme veut faire ressortir les différences flagrantes qui peuvent exister entre les quartiers prisés de Montréal et celui de Montréal-Nord. « Dans l’ouest de Montréal, les gens savent ce qui se passe à Montréal-Nord, mais ils ne savent pas vraiment ce qui se passe. » Selon lui, « pas tout Montréal n’est sécuritaire ».

Témoin de plusieurs incidents où des armes ont été utilisées, Kester rentre souvent de l’école avec la peur au ventre « Ça affecte ma santé mentale », avoue-t-il.

« Je veux que les gens sachent, je veux qu’ils prennent conscience de nos réalités. Il y a un côté de Montréal qui n’est pas médiatisé », déclare-t-il. « Ils ne savent pas ce que c’est que de se sentir délaissé », ajoute Kester. « À Rivière-des-Prairies… c’est vide, vide, vide », martèle-t-il pour bien souligner l’isolement qu’il éprouve dans son quartier.

Tout au long du balado, Kester partage ses observations et ses anecdotes, offrant un regard unique sur la réalité de son quartier et défiant les stéréotypes souvent associés à Montréal-Nord.

« Pas tout Montréal ne doit se surpasser »

Nesim, âgé de 16 ans, réside à Saint-Michel. Le jeune homme affiche une assurance calme. Sa voix est posée, presque professorale, reflétant une maturité précoce. Originaire de Saint-Michel, Nesim est engagé dans son quartier au Forum Jeunesse. C’est d’ailleurs par le biais d’un coordonnateur de l’organisme qu’il a entendu parler de l’École Converse.

Son engagement a commencé dès l’âge de 14 ans avec l’organisation Jeunesse Implique, qu’il a lui-même fondée.

Nesim n’a pas toujours fait preuve de la détermination qui l’anime aujourd’hui. Au cours du premier épisode de « Pas tout Montréal », il admet humblement que, plus petit, il n’était pas un élève particulièrement studieux. Cependant, une expérience qu’il qualifie de raciste avec un professeur l’a profondément marqué, constituant même un véritable tournant dans sa vie. Cette expérience traumatisante a été un catalyseur pour lui et l’a poussé à redoubler d’efforts afin de briser les stéréotypes, non seulement pour lui-même, mais aussi pour sa communauté.

Nesim est conscient des barrières sociales auxquelles il fait face en tant que jeune d’origine maghrébine. « À Montréal, l’Arabe est souvent associé à la violence et à la perturbation », laisse-t-il tomber. « Ce ne sont pas tous les jeunes Montréalais qui doivent se dépasser pour briser des stéréotypes », déclare-t-il quelques instants plus tard. Nesim refuse toutefois d’être réduit à son origine. Son approche est claire : « Je suis un jeune Arabe, mais je suis aussi juste un jeune, ou encore un jeune impliqué et engagé. »

Il nourrit des aspirations élevées pour l’avenir. Il souhaite poursuivre des études de droit et se diriger ensuite vers le domaine de la santé. Son objectif est de « s’améliorer sans cesse et de progresser », tant sur le plan scolaire que sur celui de l’engagement social.

« Pas tout Montréal ne doit faire des efforts pour être accepté »

Sadjida, qui a 16 ans, vit à Saint-Léonard. Lorsqu’on lui demande ce que signifie « Pas tout Montréal » pour elle, elle répond ceci : « Pas tout Montréal ne doit faire des efforts pour être accepté. »

Sadjida est une jeune fille d’origine maghrébine et elle porte le voile. Elle dit éprouver un sentiment partagé entre le rejet et la fierté d’être différente. « Le fait qu’on parle différemment avec moi, qu’on me traite différemment en raison de mes origines ou de mon voile, ça peut me faire du mal, confie-t-elle. Quand je marche dans la rue, mon voile attire l’attention et ce que je vois dans le regard des autres, c’est un malaise. »

Douce de nature, Sadjida donne l’impression d’être timide de prime abord, mais il suffit de gratter un peu pour découvrir la force et la profondeur de ses pensées. Malgré son jeune âge, elle attire l’attention et force l’admiration, tant des personnes de sa génération que des plus âgées. Elle se décrit elle-même comme une fleur, évoquant sa délicatesse, mais en même temps, elle aspire à devenir une femme forte, capable de surmonter les obstacles et de défendre ses convictions avec courage.

La jeune femme a conscience que son identité, sa personnalité et même ses aspirations les plus intimes sont souvent remises en question par les jugements préconçus des autres. « Les gens n’ont pas assez confiance en mes aspirations, peut-être parce que selon eux, les Arabes sont condamnés à un certain type de travail », avance-t-elle.

Du haut de ses 16 ans, Sadjidja réalise déjà certains de ses rêves professionnels. Elle qui souhaite consacrer sa vie à l’écriture écrit en ce moment un roman sur une jeunesse confrontée à des épreuves inéluctables. L’autrice veut redonner espoir aux jeunes. « Même si on est dans un pétrin assez difficile, on peut s’en sortir si on se pose les bonnes questions », dit-elle.

La jeune femme a plus d’un tour dans son sac. Depuis ses 14 ans, elle développe, parallèlement à ses études, une entreprise de pâtisserie sur commande. Mais son véritable coup de cœur est le journalisme, nous avoue-t-elle. Pour elle, ce balado est l’occasion de découvrir le métier.

« Pas tout Montréal est considéré »

Sami, âgé de 16 ans, habite à Laval. Il a trouvé, dans l’École Converse, une occasion de s’engager auprès de la jeunesse racisée et de se pencher sur les expériences de racisme et d’abandon social vécues par certains jeunes.

D’origine algérienne, Sami a subi du racisme. Pourtant, il se dit privilégié. « C’est sûr que j’ai vécu du racisme, mais pas autant que d’autres, car je suis né ici », dit-il. Le jeune homme fait notamment référence à l’expérience de ses amis nés à l’étranger. « Mes amis immigrés ont vécu le racisme dès leur arrivée et sont constamment victimes de rejet. Personne ne veut rester avec eux. »

Résidant du quartier Duvernay, à Laval, Sami est souvent témoin de l’isolement social auquel font face certains jeunes. « Un peu plus loin de chez moi, je vois des personnes qui traînent ensemble, des jeunes qui ont été rejetés socialement, et ça, ça a des conséquences dangereuses », laisse-t-il tomber. Il a conscience que le traitement des jeunes n’est pas égalitaire. « Pas tout Montréal est considéré », affirme-t-il.

Attaché à sa communauté, Sami aspire à devenir un jour une source d’aide pour les générations futures. « Si moi je réussis et que je suis haut placé, je ne vais pas retourner ma veste. Je sais d’où je viens. Je pourrai aider les autres, car j’aurai vécu ce qu’ils vivent », nous dit-il.

Pour les années à venir, Sami envisage une carrière artistique, notamment le rap.

« Pas tout Montréal vit les mêmes réalités »

Adrianna, qui a 19 ans, habite à Rivière-des-Prairies. Elle est l’aînée du groupe. C’est la réputation de La Converse qui lui a donné envie de se joindre à l’École Converse. « J’ai une connexion dans mes valeurs avec La Converse. Il y a un vrai message qui est communiqué », dit-elle en claquant des doigts.

La jeune femme est habile de ses mains. Consultante en marketing à son compte, Adrianna aide des compagnies locales et des entreprises appartenant à des personnes racisées à développer leurs réseaux sociaux. À côté de cela, elle est aussi esthéticienne à temps partiel.

Ce parcours entrepreneurial n’est pas un chemin qu’elle pensait emprunter aussi rapidement. Jeune femme studieuse, Adrianna a été profondément bouleversée en 2022 lorsqu’une alerte a forcé l’évacuation du cégep Maisonneuve en raison de la présence potentielle d’une arme à feu dans les locaux de l’établissement d’enseignement.

Plongée dans cette situation, Adrianne s’est retrouvée confrontée aux armes des policiers. Cette expérience traumatisante, qu’elle dit être « teintée de racisme », l’a amenée à prendre une décision difficile : abandonner ses études, l’environnement scolaire étant devenu une source d’anxiété pour elle. « C’est triste, car ce n’était pas le parcours scolaire que j’avais prévu pour moi », confie-t-elle avec un mélange de regret et de résolution. Cependant, malgré l’absence de diplôme, elle garde un espoir lucide en son avenir, convaincue que sa trajectoire ne s’arrêtera pas là.

Résidente de Rivière-des-Prairies, Adrianna connaît les mêmes réalités que Kester, bien qu’elle soit une femme. « Ça fait partie de la vie, enfin de ma vie… J’ai conscience que tout le monde ne vit pas les mêmes réalités », fait-elle remarquer.

Fille d’un intervenant social, la jeune femme réfléchit à son environnement et n’hésite pas à exprimer ses opinions. Dans le studio de La Converse, elle se lance sans hésitation dans une discussion franche sur la banalisation de la violence à laquelle font face les personnes racisées, tout en ouvrant son cœur pour partager ses propres rêves et aspirations.

Pour l’avenir, Adrianna souhaite explorer plusieurs autres domaines. « J’aime faire beaucoup de choses, honnêtement. Mais ce qui me passionne, c’est vraiment le cinéma. »

Le message des jeunes

Dans le dernier épisode du balado, les étudiants se livrent et prennent le temps de rédiger une lettre à la personne qu’ils deviendront dans quelques années. Ils ont un message à adresser à ceux qui les ont opprimés, à ceux qui les ont soutenus et à ceux qui partagent leur réalité.

Sadjida se lance : « Je voudrais dire à cette personne qui me ressemble et qui m’écoute : tu n’es pas seul.e. On doit juste avoir de l'espoir et travailler. »

Nesim s’adresse à lui-même et aux auditeurs : « Si tu es rendu à ce niveau-là, c’est que tu le mérites. Tu dois être fier de toi ! »

« C’est pas parce qu’un Arabe a fait de la m*rde, que ceux qui suivent après vont également faire de la m*rde. Cet Arabe que t’as critiqué deviendra meilleur que toi plus tard ! » s’exclame Sami.

Kester insiste, lui, sur l’effet transformateur des intervenants dans sa vie. « Le fait de prendre le temps de venir me parler et de m’encourager m’a transformé. Ils me disent souvent : “Je te parle pour semer une graine en espérant qu’elle fleurisse.” Ce n’est pas une graine qu’ils donnent, mais une maison ! L’équipe RDP a véritablement transformé ma vie », déclare-t-il, ému.

Adrianna conclut cet épisode rempli d’émotions avec un mot d’encouragement : « Les épreuves que tu traverses ne te concernent pas toi uniquement, il y a toujours une raison derrière ces défis. Il est important d’apprendre de ces obstacles et de toujours chercher la lumière au bout du tunnel. »

L’actualité à travers le dialogue.
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