Mamadou, un demandeur d’asile sénégalais, nous fait part de son expérience, qui est similaire à celle de nombreuses autres personnes. Crédit: Anaïs Elboujdaïni
Migrations
Difficile d’obtenir un travail qualifié pour les demandeurs d’asile
15/4/24
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Au Québec, la recherche d’emploi peut être un parcours semé d’embûches, mais pour les demandeurs d’asile, cette recherche comporte son lot de frustrations, surtout pour ceux dont la qualification professionnelle n’est pas reconnue. Mamadou, un demandeur d’asile sénégalais, nous fait part de son expérience, qui est similaire à celle de nombreuses autres personnes. 

La lumière d’hiver filtre par les vastes baies vitrées de la Grande Bibliothèque de Montréal. 

Mamadou s’y rend souvent. Il y passe ses journées à faire des recherches. Son expertise en défense des droits de l’homme, acquise notamment auprès de l’ONU au Sénégal, ne lui a pas ouvert les portes du marché de l’emploi québécois. « J’ai de l’expérience, mais on n’en veut pas », se lamente-t-il.

Ayant également des compétences en protection de l’environnement, il se souvient d’un voyage qui l’a mené, lui et d’autres défenseurs sénégalais, en Pologne. Là, ils ont pu constater que des centrales au charbon avaient été fermées et converties en complexes de bureaux. 

« Il y a une petite ville qui s’appelle Bargny, où l’État du Sénégal a ouvert une centrale au charbon, et cela a mené à un conflit entre les habitants de Bargny et le gouvernement en place », raconte-t-il. 

Malgré ces expériences internationales de lutte contre les changements climatiques et de surveillance des rejets dangereux pour les populations locales au Sénégal, il n’a obtenu l’été dernier, au Québec, qu’un poste destiné aux gens sans expérience. Il s’agit d’un emploi dans un organisme à but non lucratif dont il préfère ne pas donner le nom.

 Rapidement, ses collègues, de jeunes cégépiens et universitaires occupant des emplois d’été, lui ont déclaré ne pas comprendre qu’avec son expérience, il n’ait pas été au moins leur superviseur. 

« Mais quand on arrive, on sent qu’il y a une certaine stigmatisation professionnelle. Parce que vous arrivez ici, on vous fait comprendre de façon indirecte que nous ne reconnaissons pas vos diplômes », relate Mamadou. 

« Aucun demandeur d’asile qui arrive n’a pour objectif de tendre la main et de recevoir l’aide sociale. Tous, ils veulent avoir une vie professionnelle », martèle-t-il. « Mais comment expliquer le fait que le Québec, qui dit avoir besoin de main-d’œuvre, rende inaccessibles les programmes d’emploi, en tout cas pour les demandeurs d’asile ?» s’interroge Mamadou. 

Inadmissibilité à des programmes en emploi

Mamadou est actif sur une page Facebook destinée aux demandeurs d’asile. Il est souvent le premier à offrir des conseils précis et fouillés en réponse aux questions qui y sont posées. Comment obtenir de l’aide sociale ? Comment arrêter de la recevoir si on a un emploi ? Où trouver un bon avocat ? Si mon colocataire a un casier judiciaire, est-ce que cela risque d’avoir un impact sur ma propre demande d’asile ? Autant d’interrogations auxquelles une communauté bienveillante et multiculturelle s’efforce de répondre au mieux de ses connaissances. Mamadou, lui, affirme que des agents communautaires lui écrivent parfois en privé pour obtenir des conseils. 

C’est grâce à ses recherches quotidiennes à la Grande Bibliothèque qu’il peut répondre à ses confrères et consœurs. « C’est ainsi que j’ai découvert que nous n’avions pas accès à certains programmes en employabilité », déplore-t-il. 

Le ministère de l’Emploi du Québec le confirme : « Les demandeurs d’asile sont toutefois inadmissibles aux mesures actives d’emploi du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. » Cette situation laisse un grand nombre d’individus dans l’impasse, incapables de mettre à profit leurs compétences et leur expérience professionnelle.

Le porte-parole du ministère nuance cependant les choses : « Un demandeur d’asile peut se présenter dans un bureau de Services Québec et bénéficier des services universels d’emploi comme l’accès aux services de placement en ligne et d’information sur le marché du travail et aux sessions de groupe. » Ces services portent sur le marché du travail, le curriculum vitæ et la lettre de présentation. 

Par ailleurs, le ministère de l’Emploi a récemment annoncé deux projets pilotes visant à aider les demandeurs d’asile détenteurs d’un permis de travail qui sont intéressés par le secteur touristique ou le domaine de la santé et des services sociaux. L’objectif ? Permettre à plus de personnes d’intégrer des programmes auxquels elles n’avaient pas accès. 

Simon, un demandeur d’asile, est un exemple de cette exclusion des programmes d’insertion en emploi ? Il s’est en effet vu refuser un poste en insertion sociale en raison de son statut migratoire. 

Dans un courriel qu’a pu consulter La Converse, la responsable du programme d’un organisme montréalais lui a répondu ce qui suit : « Malheureusement, votre statut de demandeur d’asile ne vous rend pas éligible à y participer. Si votre statut passe à celui de réfugié accepté (personne protégée), vous serez alors éligible pour notre parcours. »

« C’est frustrant », lâche Simon, qui a reçu ce type de message à plusieurs reprises. 

De son côté, le Centre social d’aide aux immigrants dispose d’un agent dédié à la recherche d’emploi pour les demandeurs d’asile. Les responsables du volet emploi ont toutefois décliné notre demande d’entrevue. 

D’autres centres qui offrent des services similaires n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue. 

Le Salon de l’emploi des demandeurs d’asile, révélateur d’un désir de travailler 

Cette année, El Niño a rendu l’hiver plus doux que d’habitude. La météo a cependant décidé de nous donner une vraie journée d’hiver, en décembre dernier, le jour du deuxième Salon de l’emploi des demandeurs d’asile. 

Dès l’ouverture du Salon, une longue file se forme dehors, sous les flocons. 

Manuel*, un Colombien établi au Québec depuis quatre ans, vient tout juste de terminer son parcours en francisation. Il s’étonne du nombre de personnes présentes au Salon. « J’ai attendu presque une heure pour entrer », dit-il, un peu en retrait d’un groupe de chercheurs d’emploi. 

Plusieurs organismes sont présents pour informer les demandeurs d’asile de leurs droits, et leur dire, par exemple, que l’assurance-emploi leur est acquise en cas de perte d’emploi. D’autres organismes offrent des informations sur la recherche de logement. 

Samira*, demandeuse d’asile d’Ouganda, est au Canada depuis trois mois au moment où nous la rencontrons. Elle s’étonne surtout de la quantité de ressources qui existent et dont elle n’a jamais entendu parler. Anglophone, elle croit que l’anglais est une barrière pour accéder à certains services. 

« Je suis contente d’être venue ici aujourd’hui parce que j’ai appris qu’on avait accès à de l’aide pour le logement », lance celle qui était femme de ménage dans son pays d’origine. 

Des agences de placement sont aussi là, ainsi que des employeurs, en plus petit nombre cependant. C’est le cas d’Excavation HEBR, entreprise fondée par Alexandre Hébert. Spécialisé en excavation, le jeune entrepreneur de la région montréalaise suscite un certain engouement au Salon. 

« Je pense que c’est grâce à notre gros jouet », s’exclame-t-il, tout sourire, en pointant une excavatrice format réduit, mais assez grosse pour attirer l’attention. Le jouet, une reproduction d’un véritable engin de chantier, provoque instantanément des discussions avec les hommes, qui s’empressent de lui donner leur CV. 

« On recherche une plus longue relation avec nos travailleurs. Parfois, embaucher des travailleurs étrangers temporaires, ça veut dire qu’ils ne reviennent pas nécessairement – il y a un roulement assez important et la formation est perdue. Alors qu’ici, notre initiative, c’est plus de garder une relation avec INICI, puis de bâtir une relation à long terme avec nos travailleurs [qui sont demandeurs d’asile] », explique avec conviction M. Hébert. L’organisme INICI a pour mission d’offrir des services personnalisés d’intégration, de francisation et d’aide à l’emploi aux personnes immigrantes. 

Alexandre Hébert a fait le pari d’embaucher des demandeurs d’asile. Il adore quand ils ont déjà une formation en construction de leur pays d’origine car il estime qu’il s’agit d’une occasion en or pour échanger des connaissances. Photo: Anais ElboujdaÏni

Ce que M. Hébert adore également, c’est de choisir des demandeurs d’asile qui ont une formation en construction dans leur pays d’origine afin de pouvoir comparer les méthodes une fois sur le terrain. « C’est toujours très enrichissant », confirme-t-il. 

Depuis quelques mois, les travailleurs étrangers temporaires sont au cœur des débats sur la capacité d’accueil du Québec et du Canada. 

 Ottawa a d’ailleurs durci le ton : à partir du 1er mai 2024, l’accès au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) sera réduit. Le nombre de travailleurs étrangers temporaires que les entreprises pourront embaucher ne pourra être supérieur à 20 % de leur personnel (sauf dans la santé et la construction). 

Mo, demandeur d’asile de Djibouti qui a quitté son pays pour des raisons de persécutions politiques, est banquier de formation. « Je ne suis pas ici par plaisir », lâche-t-il. 

Son regard amusé exprime néanmoins une certaine résignation. Il le sait, il ne travaillera pas comme banquier. Son rêve est donc au moins de travailler, et d’aimer un peu ce qu’il fait. « Il faut avoir de l’expérience au Québec ; je ne pense pas qu’il sera facile pour moi d’avoir un poste auquel j’aspire. On verra bien si je pourrai avoir l’un des postes auxquels j’aspire, mais je postulerai pour tout emploi. » 

Lui qui avait l’habitude de subvenir aux besoins de sa famille souhaite redevenir indépendant financièrement. « Maintenant, des amis m’hébergent parce que l’aide sociale n’est pas suffisante », explique Mo, qui attend son permis de travail depuis août 2023. 

Une terre promise…

Mamadou s’étonne que ses compétences ne soient pas reconnues. 

« En tant que demandeur d’asile, vous devez fournir encore plus d’efforts pour arriver au même niveau professionnel. Vous avez un baccalauréat, mais comme demandeur d’asile, il faut travailler encore plus fort pour faire ses preuves. On a l’impression qu’on sous-estime ici notre expérience professionnelle acquise à l’étranger », regrette-t-il.

Il ne s’attendait pas à un tel défi, car « le discours que tient le Canada à l’extérieur, c’est un discours flatteur qui dit ; “On a besoin de main-d’œuvre.” » Des filières entières d’influenceurs, en Afrique notamment, vantent un mode de vie idyllique au Canada, ce qui explique la déception une fois sur place, comme le rapporte une journaliste du Zimbabwe.

Comme plusieurs autres, Mamadou espère que les portes puissent s’ouvrir plus largement pour inclure ceux qui seront peut-être demain des citoyens canadiens. 

« Avec un peu d’effort, avec une bonne politique, je pense que le Canada peut réussir à intégrer les demandeurs d’asile », clame Mamadou. 

Il se demande toutefois s’il a fait le bon choix, car aujourd’hui, il attend encore son audience pour être entendu comme réfugié. Emprisonné à plusieurs reprises au Sénégal, il a fui la persécution. 

« Donc sur le plan mental, peut-être que vous avez fui la prison dans votre pays, mais maintenant, [le Canada a mon passeport] et je me sens un peu condamné à attendre, car on ne sait rien des dates d’audience. » 

Pendant ce temps, les offres d’emploi se succèdent. 

*Tous les noms ont été changés afin de protéger l’anonymat et la sécurité des personnes demandeuses d’asile rencontrées et citées.

L’actualité à travers le dialogue.
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