Emblématique, la plaza Saint-Michel reflète l'esprit qui anime l'artère du même nom, entre les rues Louvain et Legendre. Photo: Rin Eadie
Logement
Le Comité Logement Citoyen Saint-Michel : « l’aide qu’on attendait depuis longtemps »
4/11/23
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Le 19 octobre 2023, les gouvernements Legault et Trudeau ont annoncé des investissements conjoints, et à parts égales, de 1,8 G$ pour la construction de logements sociaux et abordables dans la Belle Province.

À Montréal, dans le quartier Saint-Michel, la nouvelle coïncide avec la création d’un comité logement. Elle est accueillie avec optimisme, mais aussi avec appréhension par une bande d’intervenants et de bénévoles. Le quartier, qui est la porte d’entrée de plusieurs nouveaux arrivants et de jeunes familles qui vivent sous le seuil de la pauvreté, est affecté par le manque de logements abordables.

La Converse a parcouru les rues de ce quartier de l’est de la métropole pour tendre l’oreille et recueillir les propos des locataires qui y résident.


« Maintenant, on ne cherche plus le bon endroit, on cherche juste un toit ! »


Sous une tente plantée à l’entrée du Café Saint-Mich, c’est l’heure de la pause clope pour Redouane. Après une journée de travail passée à sillonner les rues de Montréal, le chauffeur de taxi attend patiemment ses copains dans la pénombre de la nuit tombante. Une cigarette dans une main, un espresso dans l’autre, Redouane est inarrêtable quand il s’agit de parler de la difficulté à se loger à prix abordable, à Saint-Michel comme ailleurs dans l’île.

Le Café Saint-Mich est le repère de nombreux travailleurs en soirée, dont Redouane et Mohamed.


Il arrive du Maroc en 2018 avec la tête pleine de rêves, mais sa lune de miel avec la province prend fin avec la hausse brutale du prix des loyers et du coût de la vie. Cadre dans son pays natal, et détenteur d’une maîtrise en gestion, Redouane plaque tout avec son épouse pour vivre l’aventure du Québec. Aujourd’hui, il se dit déçu et réalise que la promesse d’une existence nouvelle n’était qu’un mirage. « Tout est cher ! Moi, tout ce que je demande, c’est avoir de la stabilité pour pouvoir vivre. Juste ça. Vivre bien. Mais c’est devenu impossible. »

Père de quatre enfants âgés de 3 à 11 ans, il raconte combien la récente recherche de logement qu’il a dû effectuer pour lui et les siens a été éprouvante. « Ç’a vraiment été la croix et la bannière ! Les propriétaires me demandaient de fournir mon historique de crédit ; moi, c’est à peine si j’utilise ma carte. Ils me demandaient aussi combien d’enfants j’ai, alors qu’ils n’ont même pas le droit. J’ai été stressé jusqu’à la fin. Ils préfèrent louer un 5 ½ à une famille de trois personnes plutôt qu’à une famille comme la mienne. »

Heureusement, Redouane réussit à la dernière minute à se dénicher un logement dans un HLM à Montréal-Nord. Mais la bonne fortune laisse très vite la place à la désillusion. Consterné par l’état des lieux – et sans solution de rechange –, il en prend quand même possession. « C’est un appartement qui a été très mal entretenu, c’est très mal isolé. Le chauffage me coûte 253 $ par mois. C’est indécent ! Notre appartement est situé au sous-sol, et certaines des fenêtres des chambres sont bloquées ; ça nous fait des sorties d’urgence en moins ! Ce n’est pas sécuritaire. (...) Maintenant, on ne cherche plus le bon endroit, on cherche juste un toit ! » s’exclame-t-il. Si le visage de Redouane semble exprimer une grande lassitude, l’homme n’a cependant pas dit son dernier mot.

Jusque-là silencieux, Mohamed, un compatriote et ami de Redouane, opine de la tête en tirant sur sa cigarette. Le sexagénaire, qui habite Saint-Michel depuis huit ans, a lui aussi beaucoup à dire. « Il y a deux ans, notre propriétaire nous a demandé, à ma femme et à moi, de quitter le logement où on habitait pour pouvoir y installer son fils qui, semble-t-il, venait de se marier. On n’avait aucune façon de vérifier, mais on a quand même dû partir. Heureusement, on a réussi assez vite à trouver quelque chose d’abordable. C’est arrivé au bon moment. Maintenant, je cherche un appartement pour ma fille qui arrive bientôt du Maroc. C’est de la pure folie. L’autre jour, j’ai vu un 4 ½ à 1 400 $ sur la rue Champdoré. Avant, tu n’aurais jamais vu ça à Saint-Michel ! »

Pour Redouane et Mohamed, il est impossible de se dresser contre des propriétaires qui en mènent large et abusent de la vulnérabilité des locataires fragiles. « Ce n’est pas à moi d’enquêter sur ce qu’avancent les propriétaires. Ce n’est pas mon rôle ! », fait remarquer Mohamed. Son ami enchaîne : « Où est le gouvernement dans cette guerre entre les propriétaires et les locataires ? Il faut trouver une solution. »

Dans les salons de coiffure et les restaurants du boulevard Saint-Michel, les conversations reprennent sensiblement les mêmes mots, les mêmes rumeurs, les mêmes doléances. Ici, on craint de devoir quitter son quartier pour aller plus au nord ; là, on est terrifié à l’idée de devoir sacrifier plus de sous pour se loger. Puis, il y a aussi le prix de l’épicerie qui est sur toutes les lèvres, avec toujours ce souhait de pouvoir vivre paisiblement, chez soi, tout simplement.

Le restaurant la Belle Anne est un incontournable où quelques personnes se réunissent dans la petite salle à manger.

« La création d’un comité de logement (...), c’est un point de départ »

Dans les locaux du Forum Jeunesse de Saint-Michel (FSJM), le 25 octobre au soir, une vingtaine de personnes sont réunies pour souligner la naissance d’un organisme que de nombreux citoyens espèrent depuis toujours. Au menu, des petites bouchées et des boissons fruitées. Ceux et celles qui sont là sont pour la plupart des travailleurs communautaires et des résidents du quartier. On est heureux de se retrouver entre camarades de lutte, et les conversations vont bon train.

Après plusieurs années de travail, on y est enfin. Avant cela, il a fallu affronter l’administration, la paperasse, la bureaucratie et ses mille et une tracasseries. Mais aujourd’hui, c’est officiel : le Comité Logement Citoyen Saint-Michel vient de prendre vie devant une assemblée plutôt fière. Quelques photos sont prises pour immortaliser ce moment d’importance.

Désormais, il y aura dans le quartier un organisme qui défendra les droits des locataires. En plus d’offrir un soutien individuel et de l’information aux résidents, le Comité Logement Citoyen Saint-Michel fera de la mobilisation sociale, de l’éducation populaire et de la représentation avec, au cœur de sa mission, l’intérêt des plus démunis.

Membre fondateur du comité et natif du quartier Saint-Michel, Alexandre Boucher Bonneau sait que le plus dur commence. « La création d’un comité logement, ça ne réglera pas tout, c’est un point de départ. Ce sera un lieu de rassemblement pour tous les citoyens. » Avec la gentrification qui risque d’accompagner le prolongement de la ligne bleue, l’arrivée du SRB sur le boulevard Pie-IX (service d’autobus rapides, NDLR) et les tours à condos qui poussent tout autour, il s’attend à ce que la pression sur les plus vulnérables se fasse plus forte. Se défendre ne sera sans doute pas une mince affaire.

Qu’importe. En plus d’intervenir sur le thème du logement, le comité compte aussi se relever les manches autour des questions d’aménagement du territoire. Le « p’tit gars de Saint-Michel », ainsi qu’il se présente souvent, aime rappeler que rien n’est impossible, comme l’illustre la récente mobilisation citoyenne victorieuse contre le promoteur Mondev. Il y a aussi celle en cours pour la reconversion de l’ancienne carrière Francon en un lieu de vie et de verdure à l’image du quartier. « Il y a bien le parc Frédéric-Bach : c’est vrai qu’il est beau, mais je m’excuse, c’est un parc fait pour des Blancs de Rosemont et d’Ahuntsic, c’est pas du tout pour nous ça », s’exclame celui qui se compte pourtant parmi les plus privilégiés du quartier qui l’a vu grandir.

Des mobilisations comme celles-là, il y en aura d’autres.

Dès janvier 2024, le comité sera en mesure d’offrir des services bénévoles aux résidents de Saint-Michel. En l’absence de locaux, en raison de la rareté des espaces communautaires disponibles dans le quartier, il sera dans un premier temps hébergé dans un autre local ou opérera en clinique mobile. Enfin, l’organisme aimerait pérenniser ses activités en trouvant des fonds pour recruter du personnel, notamment.

« On aimerait être une réussite collective. Personnellement, j’aimerais que ce soit le lieu de possibles et de victoires, et j’aimerais changer le récit de ce qui se passe à Saint-Michel. Mais aussi et surtout changer le destin des gens et leurs conditions de vie. On va pouvoir se dire qu’il y a des petites révolutions à échelle humaine et que ça, ça existe », espère le Michelois de toujours.

Des efforts et des besoins qui datent


Selon l’Observatoire du Grand Montréal, la métropole et son agglomération abritent 53 % des ménages locataires du Québec. À Saint-Michel, 79 % de ménages étaient locataires en 2020, et plus du tiers consacraient une part élevée de leurs revenus au loyer. En pleine crise du logement, les revendications fusent de partout, et la levée de boucliers se manifeste aux quatre coins de l’île… ou presque.

Rares sont les quartiers montréalais qui ne sont pas dotés d’un comité logement ou d’une association de locataires. Dans des secteurs défavorisés comme Montréal-Nord et Parc-Extension, les résidents peuvent compter sur une structure pour les soutenir. Mais jusqu’à tout récemment, Saint-Michel restait le parent pauvre de la défense des locataires.

Pour Dominique Perreault, directrice de la table de quartier Vivre Saint-Michel en santé (VSMS), il est difficile d’expliquer pourquoi. « Pour m’être consacrée pendant 10 ans à la question du logement dans un autre quartier, je sais que Saint-Michel a toujours été un peu à la remorque à ce niveau-là. J’imagine que ça remonte au temps où on pensait que ce n’était pas nécessaire de s’organiser. Saint-Michel, c’est un quartier où les loyers, à la base, étaient moins chers. Il y avait peut-être aussi moins de problèmes à régler, quoi qu’ils étaient probablement cachés », tente-t-elle d’analyser prudemment. Elle reconnaît aussi que les difficultés pour financer la création de tels organismes peuvent décourager les plus déterminés.

Il y a pourtant eu, il y a près de 20 ans, le Bureau Info-Logement (BIL). Andres Barahona, organisateur communautaire au Centre éducatif communautaire René-Goupil, était présent lors de la genèse du projet. « À l’époque, les résidents se plaignaient surtout de l’insalubrité des logements et des abus de la part des propriétaires. Mais il n’y avait rien qui existait dans le quartier [pour les soutenir] », explique-t-il. Le BIL est donc venu répondre à ces préoccupations, tout en informant les locataires de leurs droits et de leurs obligations. « Il y avait des immigrants qui n’osaient pas se plaindre, de peur de mettre leur statut en péril, et beaucoup de personnes craignaient de dénoncer. (...) Bien franchement, en faisant la tournée des logements, j’ai vu des choses qui m’ont fait me demander si on était encore au Québec… » s’exclame l’organisateur communautaire en levant les sourcils.

Le temps passe, mais les problèmes recensés, eux, persistent et s’aggravent. Rapidement, le BIL est submergé de demandes, les fonds reçus s’épuisent, et le recrutement s’en ressent. « Il y a quelques années, on a dû mettre tout ça sur pause », regrette M. Barahona. Le BIL a par la suite repris ses activités d’éducation populaire et de soutien aux locataires. Aujourd’hui, on s’y réjouit en accueillant l’arrivée d’un comité logement. Le quartier de plus de 56 000 habitants s’étend en effet sur un très grand territoire. « À côté de nous, le comité va pouvoir faire de la mobilisation et de la revendication. Nous, on ne veut pas avoir le monopole, surtout dans un quartier comme Saint-Michel, où les besoins sont énormes. Alors, c’est une bonne chose qu’il y ait un comité logement. On veut travailler en partenariat pour qu’on puisse être complémentaires et mieux desservir la population. »

Rejoindre tout le monde : un défi


Ancienne chargée de projet à VSMS, Yasmine Belam a accompagné et conseillé les membres fondateurs du Comité Logement Citoyen. Surtout, elle a été un témoin privilégié de leur bataille. La candidate au doctorat en sociologie à l’UQAM reconnaît que ce sont des personnes dévouées, déterminées à mettre en lumière les besoins en logement de Saint-Michel. Mais il faudra que les résidents, les jeunes, les immigrants, les précaires et les solidaires, tous ceux qui font le quartier, leur viennent en renfort.

« Je pense que le milieu communautaire doit repenser son rôle. Historiquement, au Québec et à Montréal, le communautaire a été très politique, mais il a aussi emprunté la tradition d’être dans le service – comme on le voit davantage à Saint-Michel – plutôt que de miser sur le pouvoir d’agir des personnes, de les mettre à l’avant et de faire entendre leurs voix. (...) Les gens doivent pouvoir se reconnaître dans leurs leaders et se sentir concernés. Je crois qu’il y a quelque chose à déconstruire à ce niveau-là », insiste la doctorante.

Toutefois, elle se félicite de voir que plusieurs jalons sont déjà posés à cet égard. « On voit plusieurs personnes qui ont grandi à Saint-Michel y revenir et s’impliquer », explique celle qui a vécu plus jeune dans le quartier. Que ce soit par le biais de Forward Movements, la Clinique juridique de Saint-Michel (CSJM) ou le FJSM qu’elle cite en exemple, Yasmine Belam estime que c’est la jeunesse micheloise qui parviendra à renverser la vapeur.

Mais comment grossir les rangs de la mobilisation pour le logement ? À l’ouest de Saint-Michel, dans un quartier aux enjeux similaires, Parc-Extension, où le comité logement existe depuis 30 ans, on s’est souvent posé la question et on a trouvé depuis quelques pistes de réponse.

Amy Darwich est coordonnatrice du Comité d’action de Parc-Extension (CAPE). « Les gens ont tendance à supposer que, parce qu’une personne vit dans une situation précaire, elle n’aura pas envie de s’impliquer. Ce n’est pas notre constat. Au contraire, on remarque que ce sont les personnes précaires qui se mobilisent le plus, parce que ce sont elles qui sont le plus affectées par les questions de logement, ou encore parce qu’elles craignent d’être obligées de quitter le quartier (…) Je crois que les gens s’impliquent davantage quand l’enjeu est important », déclare la coordonnatrice.

« Il y aussi le fait que les espaces d’organisation communautaire sont souvent monopolisés par les professionnels et les militants plus aguerris, au détriment des personnes concernées. Alors, il faut trouver une façon d’inclure les gens et leur dire qu’ils comptent. » À titre d’exemple, tous les documents informatifs du CAPE sont accessibles dans au moins neuf langues, toutes parlées dans le quartier. « On est aussi attentifs au fait d’avoir des membres de l’équipe qui représentent les moins bien logés du quartier et qui parlent les langues des communautés qui s’y trouvent. » En fait, souligne Mme Darwich, être capable de bâtir des relations basées sur la confiance reste essentiel à l’action collective.

Ces réflexions, le Comité Logement Citoyen Saint-Michel les a déjà à l’esprit. Dans les années à venir, et dès que l’organisation aura gagné en vigueur, on compte voir exclusivement des personnes qui habitent le quartier siéger au sein du conseil d’administration. Si des Michelois sont actuellement membres de ce dernier, des fondateurs du comité – des travailleurs communautaires pour la majorité – y sont aussi, le temps de consolider les bases de l’organisme.

« On veut que le comité soit une figure de proue, aux côtés d’autres organismes, et qu’il devienne un lieu de rencontre pour les résidents et les citoyens qui sont aux prises avec des difficultés, mais qui ont envie de s’impliquer. Oui, on veut améliorer les conditions de vie, mais on ne transformera pas Saint-Michel en Westmount demain matin non plus. Puis ça, ça passe par la création d’un vivre-ensemble et d’un sentiment d’appartenance au quartier. On veut garder notre monde », souligne avec véhémence Alexandre Boucher Bonneau.

Retour au Café Saint-Mich. Juste en face, une passante attend l’autobus. A-t-elle entendu parler du tout nouveau comité logement ? Elle n’est pas au courant, et ne connaît pas ce type de structure. Une fois renseignée, notre interlocutrice, qui est propriétaire, se réjouit de la venue du comité : cela pourra profiter à une amie qui lui est chère et qui a des soucis avec sa recherche d’appartement.

Tout reste à faire. Mais certains signes laissent présager que le comité saura rallier la communauté micheloise de tous horizons.


Pour joindre le Comité Logement Citoyen Saint-Michel : Page Facebook

Pour trouver votre comité logement local : https://rclalq.qc.ca/comites-logement/

L’actualité à travers le dialogue.
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