Nancy Patry, intervenante à la Maison Hina, fait de la sensibilisation dans les écoles et les organismes.
Inégalités
Violence conjugale et relation toxique : comment se faire aider ?
25/11/21
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Initiative de journalisme local
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Quelles options s’offrent aux femmes vivant une relation toxique et violente ? Il y a les maisons d’hébergement, les nombreux groupes de discussion ou les ateliers : autant de possibilités pour briser l’isolement, parler, se sentir écoutée et comprise, reprendre le contrôle de sa vie, se mettre en sécurité, trouver refuge.

Le plus difficile, c’est de les connaître, de les trouver et de sauter le pas. C’est justement la motivation derrière le Marathon des mots contre la violence conjugale, qui commence le 25 novembre 2021, en même temps que les 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes. Parler encore et encore de violence conjugale pour inspirer, insuffler l’idée de se faire aider à une femme qui doute. « Ce n’est pas si grave.» « D’autres femmes en ont plus besoin.» « Est-ce que j’exagère ? »

« Ce sont des maisons pour femmes battues. »

Autant de phrases que les femmes vivant de la violence conjugale peuvent se dire. Avant de se décider et d’entrer dans une maison d’aide et d’hébergement pour femmes, elles font face à des barrières psychologiques tenaces, solidement ancrées. Briser ces clichés, c’est le combat des intervenantes dévouées de la Maison L’Esther, à Laval, et de la Maison Hina, à Saint-Jean-sur-Richelieu, qui nous ont ouvert leurs portes.

Elles voudraient pouvoir crier que tout le monde y a sa place, que leurs services sont gratuits, que l’on peut simplement y venir prendre un thé et parler, si on veut. Les maisons d’aide et d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale sont un service gratuit proposant un toit ou simplement de l’aide à des femmes prises dans une relation violente. Que l’on soit en danger, que l’on se questionne, que l’on ait besoin d’une pause, que l’on retourne ensuite ou non avec son conjoint, les 80 maisons qui existent au Québec sont accessibles à toutes.

Kim-Anny McGrail-Larouche, Jennyfer Bonneau et Nancy Patry, intervenantes à la Maison Hina.
Photo: Josie Desmarais

S’échapper de prison

« Cette aide-là, je suis contente de l’avoir eue. Sans elle, je n’aurais pas réussi à tenir tête à mon ex-conjoint, j’aurais abandonné. Le centre d’hébergement m’a sauvé la vie », réalise Chloé*, une professionnelle de la santé qui préfère garder l’anonymat pour éviter que ses collègues et le père de ses deux enfants la reconnaissent. Elle a vécu 11 ans et demi avec son ancien conjoint. Les problèmes et les moments de violence psychologique se sont accumulés. La jeune maman était malheureuse depuis longtemps, mais tout s’est intensifié en 2020 avec la pandémie. « À la fin, je n’étais plus capable de manger, je ne répondais plus au téléphone pour éviter une chicane », témoigne-t-elle au téléphone d’une voix délicate.Quand elle parvient à quitter son conjoint, la Montréalaise ne saisit pas ce qui lui arrive. « C’est comme si je m’échappais de prison », nous confie Chloé.

Elle sait alors seulement qu’elle veut en finir avec les conflits et, surtout, elle pense à ses enfants. C’est sa mère, inquiète, qui lui a suggéré d’aller en maison d’hébergement, le temps de trouver un nouveau foyer pour elle et ses enfants et de régler les questions de garde avec le père. De l’extérieur, cette maison où elle doit aller ressemble à une nouvelle prison, austère et peu accueillante. C’est que les intervenantes de l’établissement ne peuvent rien laisser paraître – pour protéger les femmes et les enfants qu’elles accueillent. Chloé ne connaît personne et ne sait pas du tout ce qui l’attend. Mais une fois le pas de la porte franchi, c’est un nouvel univers, fait de bienveillance et d’écoute, qui s’ouvre à elle.

Une femme qui accueille une femme

« On leur demande : “De quoi as-tu besoin ? As-tu besoin de manger ? Veux-tu un bon café ?” », nous dit Chantal Arseneault, coordonnatrice de la Maison L’Esther de Laval et présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Depuis le boudoir de la maison, l’ancienne intervenante nous explique son travail avec passion. Elle raconte que le protocole d’arrivée dépend de chaque femme. « Certaines veulent tout de suite se charger de leur sécurité, car ça les préoccupe.

D’autres ne désirent rien de plus que de dormir », détaille la coordonnatrice. Elle insiste : « Le premier contact est fait de façon humaine. Au-delà de toutes les fiches d’intervention et de sécurité, je suis une femme qui accueille une femme. » Afin de garantir de façon absolue la sécurité des femmes, un protocole de sécurité strict est appliqué, même au moment de l’arrivée, pour que l’adresse de l’établissement reste secrète.

Ensuite, c’est la visite de la maison. Petit à petit, les femmes se présentent entre elles, et les anciennes résidentes aident les nouvelles. La nourriture est fournie par la maison. « Les femmes nous font une liste d’épicerie ; nous, on achète ce qu’elles veulent », détaille Nathalie Villeneuve, directrice de la Maison Hina, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

La maison est pleine de vie : on entend des cris et des rires d’enfants, une femme cuisine son dîner, une émission passe à la télévision, un reste de gâteau trône sur le comptoir, et les intervenantes s’affairent pour assurer l’entretien de la bâtisse. Il y a des jeux pour enfants partout, les murs sont décorés et colorés, parsemés d’informations sur la maison et de conseils pour aller mieux.

Des ressources sont à la disposition de la clientèle de la Maison Hina.
Photo: Josie Desmarais

Un nouveau foyer

Au début, Chloé se sentait mal à l’aise d’amener ses enfants, mais son fils et sa fille se sont rapidement sentis chez eux. Deux jours après leur arrivée, la fille de Chloé fêtait ses trois ans.

« Toutes les intervenantes sont venues dans la cuisine, elles avaient toutes des cadeaux. Les mamans avaient fait le plus beau gâteau que j’avais jamais vu. Tout le monde est venu chanter. Ma fille se sentait comme une reine ! » raconte Chloé avec émotion.

La Maison Hina, à Saint-Jean-sur-Richelieu.
Photo: Josie Desmarais

« Il y a l’idée que les maisons sont des prisons, mais c’est comme chez vous ! Les femmes continuent à travailler ou à étudier », rassure depuis le bureau des intervenantes Mme Villeneuve. Dans les maisons, les activités sont proposées – des intervenantes fournissent l’information et sont présentes pour porter assistance aux résidentes, mais rien n’est forcé. C’est ainsi que les maisons de femmes revendiquent une approche féministe : aider les femmes à reprendre le contrôle de leur vie, ce n’est pas leur donner des ordres.

« Elles ne m’ont jamais jugée, on ne m’a jamais dit de ne pas retourner avec lui. Enfin, quelqu’un me laissait réfléchir », nous raconte Chloé, qui a fini par rester presque un mois avant de déménager avec ses enfants.

La Maison Hina acceuille les femmes et leurs enfants.
Photo: Josie Desmarais

Les services externes, une écoute 24/7

L’hébergement n’est pas le seul service proposé par les maisons. « Nous sommes des maisons d’aide et d’hébergement. C’est cette aide qui fait la différence », insiste Chantal Arseneault.

Derrière ce nom formel se cache un soutien méconnu : celui d’intervenantes spécialisées disponibles 24/7 pour écouter, conseiller et informer.

« Tu as un doute sur ta relation ? Appelle ! On sera là. C’est une aide super, car le suivi est adapté à chaque situation. Le but n’est pas d’amener une femme à quitter son conjoint ou à porter plainte », explique Kim-Anny McGrail-Larouche, intervenante en service externe à la Maison Hina.

Pour Georgia Dib, qui travaille à la Maison L’Esther, ce service est un excellent « filet de sécurité » et de prévention. Il leur permet d’évaluer la dangerosité d’une situation avant qu’elle ne dégénère et ne mène jusqu’au féminicide. Les services externes sont une solution de rechange au CLSC, où obtenir un suivi psychologique peut prendre de quatre à six mois. « Nos intervenantes ne sont pas psychologues, mais elles sont spécialisées en violence conjugale, qui est un problème spécifique », raconte Mme Dib.

Georgia Did, intervenante à la Maison L'Esther.
Photo: Marine Caleb

Des groupes de discussion pour parler et se comprendre

Au-delà des maisons d’aide et d’hébergement, les femmes peuvent aussi s’adresser à leur centre de femmes local. Parmi les 82 centres du regroupement L’R des centres de femmes du Québec, on trouve Halte-Femmes, un organisme implanté depuis 37 ans à Montréal-Nord. Son but ? Être un lieu où toutes les femmes du quartier peuvent se retrouver et discuter.Le centre est devenu un « port d’attache » pour les femmes du quartier, un lieu de vie et d’activités en tous genres. « On fait de l’intervention informelle au quotidien, en créant des liens de confiance pour qu’elles se sentent à l’aise de demander de l’aide. Cela brise l’isolement », raconte Funmilayo Sonnus, responsable de la programmation au bout du fil. Cette implantation rend les centres très accessibles aux femmes. Depuis ses débuts, l’organisme propose un groupe d’entraide sur la violence conjugale. Gratuit, il s’adresse à toutes, qu’elles se questionnent sur leur relation ou aient commencé leur cheminement pour guérir de la violence conjugale.C’est le cas de Chloé. Après son passage à la maison d’hébergement, la jeune maman se concentre sur ses enfants et sa survie, entre la garde partagée et le harcèlement de son ancien conjoint. Les mois passent et sa vie effrénée se poursuit. Le 24 mars 2021, elle est devant son poste de télévision quand Ingrid Falaise est invitée par Pénélope McQuade pour parler de la deuxième partie de son documentaire Face aux monstres : la reconstruction.

« Ça m’a réveillée. Ce n’était pas réglé », rapporte Chloé.C’est ainsi qu’elle se retrouve dans le groupe de discussion de Halte-Femmes. Et là encore, elle hésite et s’inquiète. « Je me demandais si j’allais correspondre, si j’étais trop sensible, si mon histoire allait être jugée ou si c’était vraiment de la violence conjugale », raconte-t-elle. Face à ses doutes, la réponse du groupe est unanime : « On te croit ! » « Les femmes avaient l’air de croire plus que moi à ce que j’ai vécu », rit Chloé.« Ce n’est pas à nous de leur dire ce qu’elles vivent. Nous sommes là pour les outiller, leur permettre de prendre des décisions, de comprendre que ce n’est pas un schéma normal dans une relation », rappelle Funmilayo Sonnus. Le groupe d’entraide donne à Chloé des outils pour qu’elle puisse reprendre le contrôle de sa vie et se préparer à ses futures relations amicales ou amoureuses. « Ça fait du bien d’en parler ensemble, on se comprend, on découvre des trucs sur nous », raconte la jeune femme.

Oser demander de l’aide

À notre première rencontre, au mois de mai dernier, Chloé commençait à peine les rencontres avec Halte-Femmes. Encore en arrêt de travail, elle se sentait mieux, « mais pas encore guérie ». Aujourd’hui, à l’aube de l’hiver, Chloé a repris le travail à temps plein. Elle est suivie par une psychologue et une intervenante sociale et elle participe au groupe de discussion du CALACS, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. « Tout ce travail a eu des impacts positifs dans toutes les sphères de ma vie. Ça fait du bien de m’affirmer, c’est une sensation de simplicité et d’harmonie », se réjouit-elle, le bonheur dans la voix.

S’il y a une chose qu’elle aimerait changer, ce sont les possibilités de soutien pour les enfants. Si les siens ont été écoutés par l’intervenante jeunesse dans la maison de femmes, c’est après leur séjour qu’ils auraient eu le plus besoin d’aide. Les services externes en proposent, mais lorsque la garde est partagée, comme c’est le cas pour Chloé, il faut aussi le consentement du père. Il reste le suivi en CLSC, mais des mois après sa demande, la maman attend toujours, et l’aide n’est plus nécessaire.Demander de l’aide est pour elle la chose la plus difficile à faire. Aujourd’hui, elle souhaite plus que tout encourager les femmes qui hésitent à écouter leur « petite voix » et, surtout, à poser des questions : « C’est correct de demander de l’aide pour y voir plus clair. Si une femme ne se sent pas bien dans sa relation, c’est suffisant. »

 Lutter sur tous les fronts contre la violence conjugale

L’intervention n’est pas la seule arme face à la violence conjugale. Pour s’attaquer à ce qu’elles définissent comme un problème de société, les travailleuses sociales luttent sur tous les fronts, multipliant les formations, les ateliers, l’éducation et la sensibilisation. À Saint-Jean-sur-Richelieu par exemple, la Maison Hina a créé deux postes dédiés à la sensibilisation dans les écoles, au cégep surtout, mais aussi auprès des organismes, de la police et des CLSC. Depuis 2004, elles s’activent et sont présentes sur tous les comités. Cela a commencé en 2004 environ. « En 2007, on a monté un atelier dans les écoles primaires et secondaires », expliquent Nancy Patry et Jennyfer Bonneau, les deux intervenantes gérant ce projet. Depuis, les projets se succèdent, mais elles sont débordées et aimeraient que l’équipe de sensibilisation soit agrandie. Pour elles, « c’est une occasion d’éduquer et de perpétuer les valeurs de la maison ». 
Pour aller plus loin : d’autres ressources pour parler ou s’aider

– Les CALACS peuvent proposer des groupes de soutien aux personnes ayant été agressées sexuellement.

Les maisons de 2e étape proposent un hébergement abordable aux femmes ayant vécu de la violence conjugale.– Une aide financière d’urgence (AFU) pour soutenir les victimes de violence sexuelle et conjugale ayant un besoin urgent de quitter leur domicile. Cette aide sera contractée par les organismes SOS Violence conjugale, Info-aide, les maisons d’hébergement, les centres d’aide ou la police.  
L’actualité à travers le dialogue.
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