Comment impliquer les parents dans la prévention de la violence armée chez les jeunes racisés ?
« Où sont les parents ? » Voilà une question qui a été de nombreuses fois entendue à la suite d’incidents de violence armée impliquant des jeunes. Cette question a de graves répercussions sur les jeunes, mais aussi sur leur entourage.
Si les parents sont directement touchés par les problèmes que vivent leurs adolescents, les mesures mises en place pour prévenir ces incidents les excluent souvent. À Montréal, les parents issus de l’immigration subissent cette forme d’exclusion de façon plus prononcée.
Face à des parents bouleversés, choqués ou même endeuillés, tous réclament des solutions – en coordination avec eux, et non malgré eux. Afin de mieux comprendre pourquoi les parents sont délaissés, La Converse s’est interrogée sur les conséquences de l’isolement des familles lorsque des jeunes se retrouvent impliqués dans des histoires violentes, parfois sanglantes.
L’implication des parents
Dans une récente étude québécoise, des experts en délinquance juvénile affirment que le système québécois de protection de la jeunesse est orienté uniquement vers l’enfant – ce qui implique un déficit du côté de la responsabilité parentale. Au Québec, l’approche en matière de protection de la jeunesse se concentre donc sur les jeunes, délaissant souvent les parents et les familles des jeunes contrevenants.
Ayant travaillé à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pendant plus de 10 ans, Myriam Coppry a constaté qu’il y avait très peu ou pas de place pour les parents dans le processus de prévention et de mesures pour aider les jeunes. « Les parents ont énormément besoin d’aide », constate-t-elle d’emblée. Pour pallier le manque de ressources destinées à ces derniers, elle fonde en 2020 NunanuQ, un service de coaching parental multidisciplinaire aidant les parents en contexte interculturel.
« Malheureusement, lorsque les parents viennent nous voir pour obtenir de l’aide, ils sont déjà à bout. Le mal a déjà été fait », s’exclame l’experte en coaching parental. À court de solutions, ces parents ne réalisent la gravité de la situation que lorsque la police ou la DPJ interviennent. « On banalise, on ne se rend pas compte que notre enfant a pu aller aussi loin. Puis, on se remet en question. Où n’a-t-on pas remarqué qu’il y avait des problèmes ? A-t-on mal transmis nos valeurs ? » questionne-t-elle, elle-même mère et grand-mère.
Des réalités différentes
Pour les parents issus de l’immigration, élever un enfant dans un pays qu’on n’a pas connu plus jeunes reste l’un des plus grands défis qui soient. Mme Coppry le mentionne d’ailleurs à plusieurs reprises : « Personne n’a été formé pour élever un enfant dans l’inconnu. » Ici, la connaissance de la question interculturelle est une clé dans la compréhension et l’assistance des parents dont les jeunes vivent de la violence.
La fondatrice de NunanuQ explique qu’il existe différentes raisons pour lesquelles les parents immigrants sont, dès le début, isolés de la problématique qui touche leurs enfants. « Quand un enfant grandit dans un environnement totalement différent de celui de ses parents, il a des comportements différents à la maison et à l’extérieur. Le parent ne peut donc pas savoir qui est son enfant en dehors de la maison, puisqu’il y a souvent des codes socioculturels différents pour le jeune selon où il se trouve », indique-t-elle.
À toutes les problématiques déjà présentées plus haut s’ajoutent des défis propres aux parents immigrants. « On sait que le regard de la communauté joue beaucoup ; les parents ont souvent peur d’aller chercher de l’aide, car ils ne sont pas familiers avec le système québécois. Ça ajoute une couche supplémentaire entre le parent et les institutions comme la DPJ, par exemple », précise-t-elle.
Mme Coppry a pu constater au fil des ans le mal que l’absence des parents a pu causer aux jeunes. « J’ai vu des plans d’intervention signés sans même que les parents soient au courant. Comment est-ce qu’un jeune peut grandir et évoluer si ses parents ne sont même pas au courant des difficultés qu’il doit surmonter ? » demande-t-elle.
Aujourd’hui, les jeunes sont en contact avec la violence armée de plus en plus tôt. Si elle a diminué à Montréal au cours des deux dernières années, cette forme de violence a cependant touché plus de mineurs et, donc, plus de parents et de familles.
Traiter le problème à la racine
« Être une personne à la maison et en être une autre dehors, c’est le quotidien de beaucoup d’enfants immigrants », a répété Myriam Coppry à plusieurs reprises. C’est d’ailleurs l’un des symptômes de la déconnexion qui existe entre ces parents et leurs enfants, qui grandissent loin de la terre où sont nés leurs géniteurs.
Pour Rola Koubeissy, professeure adjointe à l’Université de Montréal se spécialisant en apprentissage en contexte de diversité et d’inclusion chez les jeunes et leurs familles, il existe plusieurs enjeux liés à la saine intégration des jeunes immigrants. « Les plus importants, reprend-elle au bout du fil, ce sont surtout les enjeux culturels et sociaux. Il est difficile de se sentir appartenir à sa société d’accueil. »
Elle insiste sur le fait que le renforcement de ce sentiment d’appartenance doit se faire par les institutions, notamment l’école. « C’est à l’école que les jeunes doivent se sentir inclus, comprendre qu’ils ont leur place ici, même s’ils ne sont pas nés ici, ou que leurs parents ne sont pas nés ici. Si ces enjeux ne sont pas pris en compte, c’est là qu’on va créer de la discrimination et de la marginalisation envers ces enfants », souligne-t-elle.
L’un des points faibles de l’intégration de ces jeunes, c’est qu’on ne met pas assez l’accent sur l’implication des parents, pense l’enseignante universitaire. « Lorsqu’on ne sait pas comment impliquer les parents dans la vie de leurs enfants, on ajoute à ce clivage qui existe entre eux, mais aussi entre les parents et les institutions. »
Qu’est-ce qui isole les parents immigrants de la vie de leurs jeunes ?
Il est facile de tomber dans les préjugés. Mme Koubeissy le mentionne notamment en expliquant qu’« il ne faut pas considérer que les parents sont désintéressés parce qu’ils ne sont pas familiers avec la culture ou le système québécois. Ils sont venus ici pour la réussite des leurs, et malgré les différences, ils partagent un but commun avec les autres acteurs dans la vie de leurs jeunes. »
L’experte en psychopédagogie trouve qu’il manque également de moyens concrets pour faciliter le dialogue entre les parents et les institutions. « Il ne suffit pas de communiquer minimalement. Il faut créer des options d’engagement, d’intérêt et d’implication pour que les parents sachent ce qu’il se passe chez les élèves. Non seulement cela favorise l’apprentissage et l’intégration des élèves, mais cela permet aussi aux parents d’être sur la même longueur d’onde que leurs jeunes, de mieux les comprendre », conclut-elle.
Pour aller plus loin
- La Ville de Montréal a mis sur pied la ligne RENFORT, un service de soutien téléphonique pour ceux et celles qui sont préoccupés par la violence armée.
- Les parents peuvent également contacter NunanuQ en toute confidentialité par courriel à info@nunanuq.services ou par téléphone au 1-833-462-2622