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David Bontemps, porteur de mélodies vivantes
Le compositeur David Bontemps, avec la partition de La Flambeau Photographe Kevin Calixte
17/5/2025

David Bontemps, porteur de mélodies vivantes

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Nous rencontrons le pianiste et compositeur David Bontemps, chez lui, à Montréal. Dehors,  l’air est frais, mais l’idée de parler de musique haïtienne classique avec le musicien réchauffe l’âme et les oreilles. David fredonne un air, convaincu qu’on en reconnaîtrait facilement la mélodie. Si en effet la chanson m’est familière, je ne pourrais en dire l’origine, ni le nom. « C’est Nibo Ludovic Lamothe, qui a remporté le premier prix du Carnaval en 1934. Les gens ne savent pas qui l’a écrit, ça fait partie de la culture populaire, mais c’est une pièce classique haïtienne. »

La musique classique haïtienne est un patrimoine culturel méconnu. Son répertoire se décline en des pièces composées avec les codes de la musique classique européenne, mais qui incorporent des influences haïtiennes dans les thèmes développés, les rythmes, les titres et paroles. Ces pièces, qui émergent depuis le 19e siècle, ont malheureusement été très peu enregistrées – ce à quoi remédie David Bontemps, qui les interprète, et en compose lui-même.

C’est dans sa maison d’enfance, à Port-Au-Prince, que la musique a d’abord trouvé David. « C’était assez éclectique. Il y avait beaucoup de musique classique, mon père écoutait beaucoup de jazz ancien, comme Louis Armstrong, Nat King Cole et puis le kompa ». Chez les grands-parents du jeune David trônait un piano droit désaccordé, où tous les cousins tapotaient. 

En Haïti, l'année 1986 marque la fin de la dictature des Duvaliers, qui aura duré 29 ans. Au cours de leur règne, la musique et les arts étaient censurés, pour éviter des œuvres  défavorables au régime politique. On assiste alors à une résurgence de la musique classique et des chansonniers haïtiens. Éventuellement, la musique populaire haïtienne locale, avec des voix comme Emeline Michel et Sidon Joseph, prend de l’essor dans tout le pays. 

Comme c’est souvent le cas pour les parents qui en ont les moyens, ceux de David inscrivent la fratrie à des cours de musique. David opte pour le piano. « J’aimais ça, de fil en aiguille c’est devenu quelque chose qui m'intéressait de plus en plus », raconte le musicien. En parallèle de ses études, il étudie auprès d’un maître, le compositeur émérite Serge Villedrouin, pendant plus de 10 ans. 

« Il m’a tout appris, et réappris ». Son professeur l’introduit au répertoire des compositeurs classiques haïtiens. Il se souvient de la première pièce qu’il a apprise : Paillettes, de Férère Laguerre… « C’était un compositeur assez moderne, la pièce est bitonale, c'est-à-dire que la main droite est en mi bémol, et la gauche en mi mineur, et c’est en contrepoint. Donc, vraiment moderne ! ». 

Ce n’est alors que le début pour le jeune pianiste. Il rencontre ensuite d'autres camarades, comme il les appelle : les compositeurs haïtiens Ludovic Lamothe, Justin Élie et Carmen Brouard. Il découvre également l’école de composition classique d’Haïti, ainsi que l’école de musique Sainte-Trinité, une institution importante de la capitale qui forme la relève musicale. Les concerts philharmoniques présentés par les étudiants laissent une forte impression au pianiste. « Les salles sont combles, les gens viennent. Ils apprécient que les enfants apprennent Bach et Beethoven, mais, quand il y a une pièce d’un compositeur haïtien, ça vibre très fort. »

Si elle ne parvient qu’à certaines oreilles, la musique classique haïtienne n’est pas un genre nouveau . « Non seulement elle a toujours existé, mais elle est dynamique et vivante », affirme le pianiste. « Les jeunes qui pratiquent un instrument soi-disant classique maintenant sont beaucoup plus au courant [de l’existence des compositeurs] qu’à mon époque », explique David, qui a rencontré plusieurs jeunes musiciens et compositeurs en Haïti.

S’épanouir à travers des modes d’expression hérités 

En 2001, David Bontemps obtient son diplôme en droit de l’Université d’État d’Haïti, à Port-Au-Prince. L’année suivante, il s’établit à Montréal pour y poursuivre des études en droit à l’Université de Montréal. Cependant, l’appel de la musique reste et demeure. En 2002, le professeur et musicologue renommé Claude Dauphin, également d’origine haïtienne, le présente comme « la relève des compositeurs haïtiens ». Depuis, David Bontemps n’a jamais cessé de jouer, de composer, d’enregistrer et d'interpréter la musique qui l’anime. 

« C’est un langage universel. Les oreilles n’ont pas de paupières », déclare le pianiste. « Même quand on dort, ou quand on est bébé, on est imprégné des sons qui nous entourent. Lorsqu’on parle, quel que soit le langage, on a toujours l’accent de l’enfance ».

Voilà qui ne cesse d’inspirer sa musique et son jeu. Avec le piano, le compositeur reproduit ce qu’il entend. « C’est vraiment un challenge, de noter certains rythmes, c’est très complexe ! »

Le système de notation moderne avec portées, largement utilisé aujourd'hui, tient son origine d’Europe. « Mon professeur faisait exprès, il ne me donnait pas les clés et me disait “essaie de trouver par toi-même”. Ça a encore plus piqué ma curiosité », raconte le pianiste. 

Il voit dans son pays une source créatrice inépuisable. « La fibre nationaliste, ce sont de belles sources, qui permettent de pénétrer dans les traditions d’un peuple, d’une nation, de les décortiquer et de les conceptualiser. En même temps, ça permet l’ouverture. Ces sources sont des ambassadrices de la culture dont elles sont originaires. » 

Comme n’importe quelle musique, celle qui exprime un attachement à une nation particulière s’imprègne de ce qui l’entoure. « Forcément il y aura interpénétration avec d’autres modes d’expression, d’autres genres, d’autres cultures, d’autres époques », explique le compositeur. La musique classique haïtienne naît de cet alliage. Il s’agit, à l’origine, d’associations imposées suite à la colonisation du territoire par la France. En 1804, Haïti obtient son indépendance suite à une révolution, et devient la première nation indépendante fondée par d'anciens esclaves. 

Pourtant, les siècles n'ont pu effacer les traces de la colonisation. Le pays a hérité des systèmes, des mœurs des colonisateurs, toujours en place aujourd'hui. La constitution haïtienne, d’ailleurs, a été rédigée en français, qui demeure aujourd'hui l’une des langues officielles du pays. La littérature haïtienne, très riche, est écrite dans un français créolisé – ses mots, mais aussi ses images, note David.

Comment s’épanouir et faire advenir ce qui nous constitue à travers des modes d’expression dont on a hérité et qu’on ne choisit pas ? », se demande David, au sujet de la musique classique. Il évoque le compositeur germano-haïtien, Werner Jaegerhuber (1900-1953), dont il a interprété certaines œuvres. « Il a fait ses études de musique en Allemagne, il y est même devenu professeur et chef d’orchestre ». À la montée du nazisme, Werner Jaegerhuber fuit le pays et retourne vivre en Haïti avec sa famille. « La première chose qu’il fait, c'est d'aller dans les rues et de noter la musique traditionnelle du vaudou ». En reprenant des thèmes, il a composé plusieurs mélodies. « Il a même fait une messe en latin avec des thèmes du vaudou. L'évêque, un étranger, a failli l’excommunier. Ça l’a anéanti, il est mort quelques années plus tard », raconte David. 

Les traditions haïtiennes et occidentales se valent, estime David. Il mentionne la musique rara, associée au vaudou. « C’est porteur d’un message, d’une sagesse, il suffit d’ouvrir les yeux. Si on présente les mêmes [musiques, les mêmes histoires], mais qu’on les associe à un autre autre peuple, les gens s’émerveillent. », déplore-t-il. 

Lors d’un concert donné dans un CHSLD, David a assisté à un lancer de papillons, en référence à une légende autochtone. Si on confie un secret à l’insecte qui ne fait pas de bruit, il est censé aller vers le créateur pour exaucer le vœu. « Nous avons à peu près la même légende dans les contes vaudou, “Papa Loko” ». 

Sons, syllabes, idées, mots, visions du monde, couleurs, figures – tout est appelé à être interprété, à se marier. L’harmonie, ici musicale, peut aussi se faire au niveau personnel. « Nous-même, descendants de peuples colonisés, devons faire la paix avec les composantes de notre passé. C’est encore très douloureux pour beaucoup », confie-t-il. Il souhaite que ses compatriotes ne dénigrent pas une part de leur identité par rapport à une autre.

Au sujet des effets dévastateurs de la colonisation qui perdurent, le musicien dresse un parallèle avec les pensionnats autochtones au Canada. Enfant, il a lui-même été scolarisé dans une école congréganiste. « Maintenant, je sais ce que c’était : un ethnocide. À défaut de tuer physiquement un peuple, on tue son essence, son âme, sa culture, sa langue, ses croyances, sa religion, ses arts. À défaut de ne pas tuer ça, on l'infériorise pour que, par la suite, on finisse par l’abandonner. C’est ce qui nous est arrivé. Maintenant, on a même plus besoin de missionnaires pour le faire, nous le faisons nous-même allègrement. Ça, c’est une blessure », évoque le compositeur, au sujet de l’emprise de la religion sur de nombreux Haïtiens. « On peut dire religion so white ! »

« Il y a beaucoup de mots à poser sur les blessures que nous portons », explique le musicien. C’est là que, selon lui, l'art peut jouer un rôle. « J’espère que ce genre de musique, d’alliage, de métissage, cette hybridation – pourra permettre ça ». 

La haine de soi, insidieuse, inculquée d’abord par l'occupant, est l’une de ces blessures. C’est ce qui pousse à démoniser les aspects folkloriques d’un peuple, estime David. « Qu’est-ce qu’on fait avec nos compatriotes qui pratiquent le vaudou ? ». Lui-même se dit chanceux d’avoir été élevé dans une famille où l’on ne dépréciait pas cette pratique ancestrale, ce qui est loin d’être le cas pour tout le monde. « Malgré tout, le chemin a été long pour que j'y reconnaisse une source d’intérêt comme une autre – pour que je voie que c’est une source qui m’appartient, et que les gens ont conservée dans les conditions que l’on sait ».  

Il raconte à ce sujet une anecdote survenue lorsqu’il jouait en concert Offrandes Vodouesques, un cycle de 24 mélodies de Werner Jaegerhuber, avec la soprano Chantale Lavigne, à la chapelle historique du Bon Pasteur, à Montréal. « J’avais très mal joué ce soir-là ». « Mais à la fin, un monsieur avec une canne, les cheveux blancs, qui avait quitté Haïti depuis très longtemps, est venu nous voir avec les larmes aux yeux. C’était fort, parce qu’un homme haïtien, de son âge, ne pleure pas en public. Il a dit merci, merci, parce qu'il a toujours grandi et vécu en croyant que c’était une musique diabolique, et là ça l’a touché ». 

David Bontemps avec Chantal Lavigne. Photographe/ Hubert Mansion 
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