Depuis le 7 octobre 2023 et l’aggravation du génocide en Palestine, une question revient avec insistance dans les cercles 2ELGBTQ+ et QTBIPOC montréalais… Fierté Montréal répond-elle toujours aux attentes de sa communauté? Plusieurs groupes ont pris leurs distances avec l’organisation, en soulignant son éloignement de ses racines radicales, d’une mémoire militante née dans les rues, issue d’émeutes et bâtie sur la résistance et la voix des personnes queers les plus marginalisées. Aux yeux de ces organismes et collectifs, Fierté semble aujourd’hui tourner le dos à ce sujet. Nous avons échangé avec eux pour comprendre ce qu’il s’est passé ces derniers mois, à l’approche du défilé controversé de Fierté Montréal qui se tiendra ce dimanche.
Helem Montréal, un organisme 2ELGBTQ+ issu des communautés SWANA (Asie du Sud-Ouest et Afrique du Nord) est la première structure à annoncer sa rupture avec Fierté Montréal. Selon Yara Coussa et Samya Lemrini, deux de ses membres, Fierté ne peut pas être à l’intersection d’identités marginalisées sans soutenir la cause palestinienne. Pour iels, défendre les droits fondamentaux des personnes 2ELGBTQ+ c’est aussi combattre, dans le même mouvement, l’apartheid, le colonialisme et toutes formes d’oppression systémiques, ici comme ailleurs.
De fait, Fierté Montréal a officiellement pris position sur le génocide en cours à Gaza le 30 juillet 2025, soit près de deux ans après les événements du 7 octobre 2023.
Selon Helem Montréal, c’est cette position tardive qui pousse l’organisme à se dissocier publiquement du festival et à appeler d’autres groupes queers à faire de même.
« On a tellement voulu travailler avec eux [à ce sujet] puis les rencontrer à mi-chemin. Parce qu’on l’aime notre fierté ! Je suis pas dure avec Fierté Montréal, en fait j’ai le cœur brisé », précise Samya, pointant des limites qui, pour elle, sont non-négociables.
Leur rupture avec le festival prend racine en mai 2024. Comme plusieurs autres collectifs, Helem Montréal a été invité à un événement d’adhésion à Fierté Montréal. Ses membres y ont vu une occasion d’ouvrir un espace de dialogue sur la Palestine. Lors de ce rassemblement, le groupe a donc tenté d’introduire cette perspective d’entrelacement des luttes palestiennes et queers, une position essentielle face à un génocide, estime Samya.
Samya leur a notamment envoyé la déclaration de la Cour internationale de Justice, pour souligner la plausibilité d'un génocide commis à Gaza, dans l’idée que Fierté Montréal se positionne fermement.
L’organisme a aussi suggéré à Fierté Montréal qu’elle se dissocie de plusieurs de ses commanditaires, comme la Banque TD et Bubly, des entreprises tirant des bénéfices du génocide du peuple Palestinien ou qui, du fait de leur implantation physique ou de leur participation à l’économie Israélienne, sont considérées comme impliquées dans le processus de colonisation de la Palestine. Ces requêtes sont restées sans réponse.
Pourtant, ailleurs dans le pays, les choses bougent : St. John’s Pride, Fredericton Pride et Halifax Pride coupent rapidement les ponts avec leurs commanditaires liés à Israël, et prennent position en faveur de la Palestine. Dans leurs communiqués, ils affirment que refuser d'être solidaire avec la Palestine, sous le prétexte d’une focalisation sur les droits 2ELGBTQ+ trahit la promesse d’intersectionnalité et de libération au sein de leur engagement.
Cette tension s’accentue lors du défilé de la fierté de 2024, durant lequel Helem Montréal se retrouve à marcher à proximité de Ga’ava, un organisme pour la communauté LGBTQ+ juive de Montréal, qui brandissait des drapeaux israéliens, racontent Yara et Samya. Sur ses réseaux sociaux, Ga’ava partage régulièrement des publications mettant en avant l’implication de personnes queers dans les forces armées israéliennes, du pur pinkwashing* selon des groupes comme Voix Juives Indépendantes Montréal.
Pendant le défilé de la fierté de 2024, une marche pacifique organisée par les organismes Helem Montréal, Mubaadarat et Voix Juives Indépendantes s’est tenue, pour attirer l’attention sur la situation en Palestine. Les manifestants présents étaient entourés par des dizaines de policiers, ce qui a renforcé l’impression de ne pas être réellement bienvenu à la marche, insiste Helem Montréal.
Helem Montréal indique être resté en contact avec Fierté Montréal pendant plusieurs mois pour poursuivre les discussions au sujet de la Palestine, des interventions policières lors de leur marche, et des liens financiers des commanditaires du festival avec Israël.
Mais d’après Helem Montréal, ces sollicitations sont souvent restées sans réponse. Le 10 décembre 2024, l’organisme a rompu ses liens avec Fierté Montréal, et l'a annoncé un mois plus tard, le 22 janvier 2025, sur ses réseaux sociaux.
La Converse a contacté Fierté Montréal au sujet de ce manque de communication avec Helem Montréal portant sur son positionnement vis à vis de Gaza, mais l’organisme n’a pas répondu.
La fin de cette collaboration entraîne une vague de soutien : d’autres associations prennent la parole à leur tour, et partagent leurs propres expériences avec Fierté. Au cœur de leurs témoignages revient la cause palestinienne, résonnant avec celles du Soudan, du Congo, du Myanmar, du Tigré, et d’Haïti, des luttes liées au racisme, la misogynie et les violences de genre, expliquent fièrement les deux membres de Helem.
« Tout ce que je vois, les dénonciations qui ressortent, c’est sous le jour du colonialisme inhérent à la Fierté. Les luttes sont toutes interreliées », commente Samya, émue par le soutien reçu de groupes queers et non-queers, tels que Voix Indépendantes Juives Montréal, AlterHéros, Coalition Jeunesse LGBTQ, ou encore CALACS de l’Ouest de l'île. « J’ai pris ça comme un câlin », ajoute-t-elle.
Fierté indomptable, inventée par et pour la communauté
En réaction, une nouvelle initiative prend vie : Fierté Indomptable. Pour les groupes QTBIPOC et 2ELGBTQ+ qui s’investissent, marcher reste un acte essentiel. Iels prévoient de continuer à défiler, mais dans un esprit d’autonomie et de réappropriation.
Créée par des membres communautaires issus de divers horizons, cette initiative est née d’un « besoin et d’une nécessité », explique Yara. « Beaucoup de personnes LGBTQ+ ne se sentaient plus en sécurité à Fierté, ne se sentaient plus représentées, donc c’est né d’un désir pour une Fierté qui nous ressemble. »
Samya, elle, évoque l’héritage radical des luttes à respecter et honorer, « La fierté était une émeute, un rite pour des personnes qui nous ressemblent, des personnes qui ont réellement besoin de représentation, mais pas d’une représentation vide et sans action concrète. »
Fierté Indomptable se présente comme une ressource pour les personnes 2ELGBTQ+ en quête de communauté et de soutien collectif. Un espace bâti pour toustes : les parents, les enfants, les personnes immunodéprimées, pour la jeunesse. Une mobilisation portée par la communauté elle-même, séparée des banques, des corporations, et de la police.
Pour ce faire, les propositions d’activités sont variées. Des ateliers de militantisme, d’art plastique, et même des activités pour occuper les enfants. La programmation a été méticuleusement considérée pour accueillir n’importe quel participant et cultiver l’entraide communautaire ainsi que la diversité.
« Pour moi, ma communauté elle est diverse, elle est accessible, elle est neurodivergente, elle est autiste, elle est lesbienne, elle est trans, elle est arabe, elle est noire, elle est autochtone », explique Yara.
En collaboration avec Fierté : des voix qui appellent à la nuance
Malgré les départs marquants de plusieurs organismes, certains groupes impliqués dans la scène communautaire décident de rester affiliés à Fierté Montréal. Ils appellent à la nuance et soulignent les délicats équilibres du travail collaboratif en communauté.
Rafaël Provost, directeur général d’Ensemble pour le respect de la diversité, une association qui promeut le vivre-ensemble et lutte contre les discriminations et l’approche intersectionnelle, nous accueille dans les bureaux de la fondation situés à Sainte-Marie. Lorsqu’on discute de la situation, l’organisateur invite à aborder les enjeux sans parti pris, avec équilibre.
« C’est difficile de naviguer dans cela. C’est à l’image du reste. Il y a une polarisation, il y a une division. On ne se parle plus, et je pense que le dialogue est vraiment une des clés pour la réconciliation. Mais ça prend du temps, beaucoup de sensibilité, puis ça prend du travail de chaque côté », commence-t-il.
Engagé dans une démarche de rassemblement, il salue tout de même la prise de parole des organisations qui soulèvent la critique, ce qu’il considère comme un acte de courage. « C’est important pour les organisations de rester cohérentes avec leurs valeurs et leurs actions », insiste-t-il. Les principes comme le respect et la diversité doivent se refléter concrètement. Il ne s’agit pas de juger qui est bon ou mauvais, mais d’appliquer ses valeurs de façon équitable, précise-t-il.
Concernant certaines collaborations critiquées, comme avec le Service de Police de la Ville de Montréal, il appelle à la prudence et plaide pour une approche mesurée. Pour lui, il faut distinguer les intentions bienveillantes des problématiques structurelles. Il croit aux changements progressifs plutôt qu’aux remises en question radicales.
À maintes reprises, ses mots font écho à un temps où la Fierté se vivait principalement comme un espace de rassemblement, « Je pense qu’on a aussi le droit de célébrer, mais jamais sans oublier tout le travail qui a été fait, et celui qu’il reste à faire. Je trouve que marcher fait beaucoup plus de sens. C’est simple et c’est fort. C’est juste des humains qui marchent. C’est ce qu’on a besoin de faire », rappelle-t-il, avec passion, repensant à une fierté passée qui l’a marqué et qui lui manque.
Malgré son insistance sur la complexité des dynamiques en jeu, son attention se tourne vers les engagements et possibilités futures de l’association qu'il dirige.
Ensemble restera membre de Fierté Montréal, confie-t-il. Bien que listé comme partenaire, l’organisme n’est pas un membre actif dans les coulisses de Fierté Montréal, ajoute-t-il. Son rôle à lui, comme il le décrit, tient davantage de l’observation, il suit les développements de près, tout en restant centré sur la mission et les valeurs de son propre organisme.
Fierté Montréal prend la parole, trop tard pour certain.es
Contactée par La Converse au sujet de la situation, Fierté Montréal a initialement répondu à notre demande en affirmant qu’elle « ne commentera pas plus la situation à ce stade. » Une relance en vue d’une entrevue a été faite, mais n’a donné lieu à aucun suivi.
Toutefois, le 30 juillet 2025, Fierté Montréal diffuse un communiqué sur ses réseaux sociaux ainsi que par courriel, addressant « sa position » sur le conflit israélo-palestinien.
Le festival indique qu’il condamne le génocide en cours à Gaza, exprime sa solidarité envers le peuple palestinien et souhaite que la vie des personnes 2ELGBTQIA+ en Palestine, comme partout à travers le monde, soit respectée et préservée.
Fierté Montréal note aussi sa décision de « refuser la participation d'organisations aux propos haineux pour valoriser la sécurité émotionnelle et physique des communautés », soulignant un refus d’instrumentaliser ses espaces dans le contexte du conflit.
Une semaine plus tard, le 5 août, l’organisme annonce dans un autre communiqué que « toutes les communautés sont invitées à participer aux festivités, à la suite d’une prise de contact avec des représentants de la communauté juive pour clarifier la situation et assurer un espace inclusif et sécuritaire pour toustes, notamment les personnes juives 2ELGBTQIA+ qui désirent participer au défilé. »
Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) et son partenaire, le groupe 2ELGBTQIA+ juif Ga’ava ont été ré-invités.
En réponse aux dénonciations rendues publiques et répandues, Fierté Montréal a aussi pris la parole en février 2025, par le biais d’une lettre répondant aux préoccupations exprimées par plusieurs groupes communautaires queers.
Simon Gamache, le directeur général de Fierté Montréal, et le signataire du communiqué, souhaite encourager une compréhension plus nuancée du fonctionnement de Fierté, affirmant avoir à cœur la représentation de la diversité et son rassemblement.
Malgré les points adressés par Gamache et l’équipe de Fierté dans leur communiqué, aucune tentative de dialogue n’a encore été menée, indiquent Yara et Samya. Helem Montréal est pourtant à l’origine, rappellent-iels, des critiques formulées à l’égard de Fierté Montréal. « Le fait qu’ils ne le fassent pas, pour moi, cela me montre tout ce que j’ai besoin de savoir », partage Yara, visiblement épuisé. Les rares efforts de dialogue sont survenus une fois que les organismes concernés ont pris la parole publiquement pour critiquer Fierté Montréal sur les réseaux sociaux.
NB : Certaines de ces entrevues ont été traduites de l’anglais.
*Le pinkwashing est une stratégie où une entreprise ou organisation utilise des symboles ou des messages superficiellement soutenants à l’égard de la communauté queer, souvent sans véritable engagement envers les droits et l'inclusion de cette communauté. Il s'agit, en fait, d'un outil de propagande.