De quoi le silence des urnes est-il le nom à Montréal ?
Candidat·e·s lors des élections municipales de Montréal 2025. Crédit photo: Montage La Converse
7/11/2025

De quoi le silence des urnes est-il le nom à Montréal ?

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Lendemain de vote à Montréal. Les affiches sont encore accrochées aux coins des rues, le visage de Soraya Martinez Ferrada trône sur les poteaux, et Ensemble Montréal et sa cheffe dirigent désormais la métropole. 

À la Maison du citoyen de Saint-Michel, un jeune intervenant ajuste les micros dans un petit studio de musique. Entre deux enregistrements, Riyadh Amokrane parle du vote, de confiance et de désenchantement. Deux jours après les élections municipales du 2 novembre, son bureau est calme. Montréal vient de changer de cap politique, mais 63 % des électeurs, dont Riyadh, ont boudé les urnes.

Le vote qui s’efface

Aux élections municipales du 2 novembre, seuls 37,02 % des Montréalais ont exercé leur droit de vote. Un taux historiquement bas, qui tombe même sous les 25 % dans plusieurs quartiers populaires.

À LaSalle, le district Cecil-P.-Newman a enregistré un taux de participation de 23,47 %. À Saint-Michel, à peine 24,07 % des électeurs ont voté. À Pierrefonds-Roxboro, arrondissement excentré qui, à l’instar de nombreux quartiers montréalais, compte un pourcentage élevé de familles vivant dans la pauvreté, la participation a plafonné à 28 %. Selon les chiffres d’Élections Québec, ce sont les quartiers les plus pauvres, les plus jeunes et les plus diversifiés culturellement qui votent le moins. 

Derrière la victoire de Soraya Martinez Ferrada, une question demeure : qui a élu la nouvelle mairesse ? Et qui a choisi de ne pas le faire ? Citoyens et ex-candidats s’expriment. 

« Je voulais voter, mais je n’ai pas insisté »

Riyadh Amokrane, qui est âgé de 30 ans, travaille en prévention de la violence à la Maison du citoyen de Saint-Michel. Dans le studio qu’il anime, La Zone LCSM, des jeunes viennent enregistrer leur musique, ou simplement parler.

Le 2 novembre, il comptait voter pour la première fois, à Montréal-Nord, où il habite. « Je connaissais un candidat à Saint-Michel, raconte-t-il. Il m’avait demandé de voter pour un ami à Montréal-Nord. Mais le jour du vote, je n’ai pas trouvé ma carte électorale. »

Riyadh aurait pu chercher, appeler, insister. Il ne l’a pas fait. « Je ne me suis pas senti poussé à aller plus loin. C’est comme si quelque chose en moi me ramenait vers la non-action », confie-t-il.

Riyadh Amokrane, intervenant à la Maison du citoyen de Saint-Michel. Crédit photo: Nouri Nesrouche

Ce « quelque chose », il l’explique par la distance qui le sépare des institutions : « Depuis qu’on est tout jeune, tout ce qui est institutionnel nous fait peur. Ce n’est pas une peur du système, non. C’est vraiment une peur d’appartenir à un système qui ne nous ressemble pas […] Nous, on n’a rien à voir avec la politique. C’est un monde d’hypocrites, entre guillemets. »

Cette déconnexion, il l’observe chaque jour : « Les jeunes ici se sentent loin de tout ça. Ils ne voient pas la politique municipale comme quelque chose qui les touche. Même moi, j’ai compris tard ce que faisait la Ville. C’est grave, ce manque d’information ! »

Selon Riyadh, les campagnes de mobilisation ratent souvent leur cible. « On fait des affiches, des concours, des campagnes, mais ce n’est pas ça qui marche. Ce qu’il faut, c’est du contact humain », avance-t-il. Il donne ensuite un exemple : « Le seul que j’ai vu venir nous parler naturellement dans le quartier, c’est Éric Allen, un candidat accessible [du parti Action Montréal, ndlr]. C’est ça qu’il faut. »

Malgré la désillusion, Riyadh conserve une conviction : « Je dis aux jeunes que voter, c’est important. Mais il faut qu’on recommence à croire que ce système nous appartient un peu. »

« Ils pensent que le vote municipal, ce n’est pas si important »

À Saint-Léonard, le taux de participation n’a pas dépassé 30 %. « Ce sont surtout les aînés, souvent d’origine italienne, qui votent », observe Azzouz Abdellah, 27 ans, ex-candidat pour Projet Montréal. Ruminant encore le pourcentage de votes de 11,9 % qu’il a obtenu, malgré son ancrage parmi les jeunes et la communauté maghrébine, il revient sur les obstacles qu’il a rencontrés au cours de la campagne : « Les jeunes, surtout dans la communauté maghrébine, pensent que le vote municipal, ce n’est pas si important. »

Pendant six semaines, Azzouz affirme avoir frappé à des centaines de portes. « Beaucoup me disaient qu’ils allaient voter. Le jour du scrutin, ils ne se sont pas déplacés. Ils disent oui par politesse, mais ils ne croient pas vraiment au changement », croit-il.

Selon lui, la faiblesse du taux de participation de la communauté maghrébine à Saint-Léonard [majoritaire avec environ 20 000 habitants] vient aussi d’un manque de cohésion : « On n’est pas encore une communauté soudée à 100 %. Certains votent selon l’origine du candidat, pas selon son programme. »

Malgré la défaite, Azzouz reste déterminé et réfléchit déjà à la prochaine étape, peut-être même au prochain rendez-vous électoral, dit-il. « Je veux continuer à faire bouger les choses. Peut-être autrement. »

« Les gens ne se lèvent pas »

À Montréal-Nord, seulement 27,99 % des électeurs ont exprimé leur choix. La candidate d’Action Montréal à la mairie d’arrondissement, Anastasia Marcelin, y a vu de près les raisons de cette abstention. « Les gens chialent, mais ne se lèvent pas », déclare-t-elle sans détour.

Son engagement, elle le décrit comme un acte de résistance. « Je suis militante, je suis une combattante. C’est un événement tragique – un jeune agressé par un policier – qui m’a poussée à me présenter », affirme Mme Marcelin. Militante communautaire et entrepreneure, elle a fait campagne dans les rues auprès de citoyens souvent méfiants. « J’ai rencontré des jeunes qui travaillaient dans les bureaux de vote : aucun n’avait voté », s’étonne-t-elle. 

Mme Marcelin explique ce phénomène par un manque d’éducation électorale. « Les gens se perdent. Ils confondent les partis municipaux avec les libéraux. Il faut recommencer par la base, dans les écoles, les universités, les communautés. » Pour elle, la solution passe par la pédagogie et le long terme : « Si on ne fait pas d’éducation électorale, Montréal-Nord restera verrouillée. On a quatre ans pour changer ça. » « Beaucoup de citoyens viennent de pays où voter n’est pas une habitude », constate-t-elle. 

À Saint-Michel, le vote en panne

À Saint-Michel, les efforts de mobilisation n’ont pas suffi à briser le silence électoral et à épancher la soif d’écoute. Vivre Saint-Michel en santé (VSMS) et d’autres organismes communautaires ont multiplié les cafés-élections, les rencontres et les débats. Mais la mobilisation n’a pas dépassé les murs des organismes communautaires.

Naïma Mehennek, candidate de Transition Montréal au poste de conseillère de ville dans le district de François-Perrault, en a fait l’expérience. Œuvrant depuis 20 ans dans le milieu communautaire, elle connaît les réalités de son quartier. Sa candidature, dit-elle, « c’était une façon de prolonger cet engagement ».

« Je me suis dit : “Si je peux m’asseoir autour d’une table où il y a du pouvoir et des décisions, je pourrais faire entendre nos voix” », raconte Mme Mehennek. Ses efforts n’ont pas porté leurs fruits. « Les gens ne connaissent pas les élections municipales. Ils ne savent pas à quoi sert un conseiller de ville. Et beaucoup ne sont pas citoyens ou ne croient pas que leur vote puisse changer quelque chose », avance-t-elle. 

Mme Mehennek parle d’un désintérêt, qui est, pour plusieurs, lié à leurs difficultés migratoires. « C’est un désengagement qu’ils apportent avec eux. Ils ne croient pas à la politique », souligne-t-elle.

Mais elle y voit aussi une responsabilité collective : « Si on ne s’intéresse pas à la politique, la politique s’intéresse à nous. Ce qu’on subit comme décision, c’est le résultat de cette absence. »

« Les gens ne savent pas à quoi sert la Ville »

À Parc-Extension, le constat est le même. Abdul-Razik Khan, 29 ans, y a grandi avant d’y ouvrir un restaurant et un organisme de bienfaisance. Candidat pour Transition Montréal au poste de conseiller de ville, il n’a récolté que 736 votes. Rencontré chez Mama Khan, le restaurant pakistanais qu’il dirige sur la rue Saint-Denis, Abdul-Razik garde le sourire et reste lucide. « Beaucoup de gens ne peuvent pas voter. Ce sont des nouveaux arrivants, sans citoyenneté », explique-t-il. Mais même ceux qui le peuvent ne le font pas toujours : « Quand je leur parle du conseil de ville, plusieurs me disent qu’ils ne savent pas à quoi ça sert », ajoute-t-il.

Ses réflexions font écho à celles de ses collègues ex-candidats. « C’est un problème d’éducation politique. Les gens votent aux élections provinciales ou fédérales, mais pas aux municipales, parce qu’ils ne voient pas le lien direct. »

Il aurait pu cibler davantage les aînés au cours de sa campagne, comme le lui conseillaient certains, mais il a préféré parler aux jeunes. « Je veux qu’ils se reconnaissent dans quelqu’un comme eux. Moi, je travaille, je vis dans le quartier. C’est ça qu’ils veulent voir », dit-il. 

Entre désillusion et promesse d’avenir

De Saint-Michel à Parc-Extension, de Montréal-Nord à Saint-Léonard, quelques constats se dégagent des témoignages : les aînés votent, les jeunes s’abstiennent ; les communautés issues de l’immigration se méfient d’un système qu’elles connaissent mal ; les quartiers pauvres participent peu à la vie démocratique.

Chez celles et ceux qu’on a rencontrés, malgré la lassitude, perce quelque chose qui ressemble à un début d’espoir. Ceux qui ont perdu disent vouloir rester présents. Ceux qui n’ont pas voté parlent, déjà, de recommencer à s’informer. Ce n’est pas encore un mouvement, mais c’est un signe.

Le salut viendra peut-être d’un candidat à la Zohran Mamdani – ce jeune socialiste élu maire de New York, ce fils d’immigrés qui a su parler le langage du quotidien –, ou peut-être que ce salut viendra de plus près encore : d’un jeune qui allume son micro à Saint-Michel, d’une mère qui explique le scrutin à son enfant, d’un candidat battu qui continue à frapper aux portes.

Et si on votait autrement ?

Partout à Montréal, des initiatives locales tentent de rapprocher les citoyens de la vie démocratique, loin des slogans électoraux.

·       L’organisme L’apathie c’est plate œuvre pour « un Canada où chaque jeune est un.e acteur.ice de changement dans sa vie quotidienne, et où il ou elle est impliqué.e et inclus.e de manière significative à tous les niveaux de la démocratie ».

·       À Saint-Michel, l’organisme Vivre Saint-Michel en santé multiplie les ateliers d’éducation civique dans les écoles ainsi que les cafés-élections.

·       À Montréal-Nord, l’organisme Parole d’excluEs adopte une démarche de mobilisation citoyenne, axée sur une approche du développement du pouvoir d’agir.

·       Dans plusieurs arrondissements, des organismes comme Concertation Montréal ou CentrElles accompagnent les nouveaux arrivants dans leurs démarches citoyennes, en traduisant notamment les programmes électoraux et en expliquant le rôle du conseil de ville.

·       Enfin, des initiatives indépendantes, comme le balado Les voix du quartier ou les micros ouverts de la Maison du citoyen, offrent un autre espace de parole politique, plus accessible et moins institutionnel.

Ces expériences ne feront pas grimper le taux de participation du jour au lendemain. Mais elles rappellent que la démocratie municipale se reconstruit, souvent, à hauteur de trottoir.

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