Saint-Michel, entre silence électoral et soif d'écoute
Des résident·es de Saint-Michel se réunissent au Carrefour populaire pour discuter de politique municipale et de participation électorale. Crédit photo: Nouri Nesrouche
30/10/2025

Saint-Michel, entre silence électoral et soif d'écoute

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
Note de transparence
Soutenez ce travail

Vendredi 24 octobre. La suite 100 du Carrefour populaire de Saint-Michel déborde. Les tables sont dressées, les chaises serrées, les murmures impatients, et la soupe chauffe encore en cuisine. Il est 17 h 15. Les jeunes responsables de la table du quartier, Vivre Saint-Michel en santé (VSMS), échangent à voix basse, repassant le déroulement de la soirée à venir.

Une demi-heure plus tard, quand Aya Boucenna, journaliste de La Converse et membre du Forum Jeunesse de Saint-Michel, et Wismy Noster, de VSMS, prennent le micro pour ouvrir la rencontre, la salle est pleine à craquer. Devant eux, des Micheloises et des Michelois de tous horizons sont venus parler de politique municipale – un sujet qui, ici, peine souvent à mobiliser. 

En effet, dans ce quartier de l’est montréalais, où, selon Élections Canada, moins d’un électeur sur quatre s’est déplacé pour voter aux municipales de 2021, ce genre de rencontre n’est pas banal.

Un quartier à part

Fragmenté et enclavé par l’autoroute 40 et les carrières Francon et Miron, Saint-Michel est l’un des secteurs les plus densément peuplés et les plus multiculturels de Montréal.

Le portrait réalisé en 2024 par VSMS dans le cadre de la planification stratégique 2025-2029 du quartier indique que près de 70 % des résidents sont issus de l’immigration et que plus de 60 langues y sont parlées. C’est aussi l’un des arrondissements les plus jeunes – un habitant sur trois a moins de 25 ans – et les plus précaires : le revenu médian y est inférieur de 30 % à la moyenne montréalaise.

Le quartier a longtemps été un point d’arrivée pour les nouveaux Montréalais : Haïtiens, Maghrébins, Philippins, Tamouls ou Bengalis. Mais pour beaucoup, Saint-Michel n’est qu’une étape. Selon Christian Toussaint, agent de concertation à VSMS, « c’est un quartier de passage où les gens arrivent, s’établissent quelques années, puis partent dès qu’ils en ont les moyens ». Ce mouvement constant, ajoute-t-il, « rend la mobilisation difficile », ce qui oblige à « recommencer sans cesse le travail de sensibilisation – c’est un combat perpétuel ».

Le pari de la participation

Cette soirée est la dernière d’une série de quatre événements destinés à raviver la participation citoyenne. Un pari ambitieux pour un quartier dont le taux de participation est l’un des plus faibles de Montréal. En 2021, seulement 24,3 % des électeurs inscrits à Saint-Michel ont voté.

Mohamed Mimoun, directeur du Forum Jeunesse de Saint-Michel, souligne que, « dans un arrondissement où il y a un grand taux d’immigration, il n’y a pas cette culture de vote ». Questionné en marge de la soirée, M. Mimoun estime qu’« il y a des gens qui ne sont même pas au courant qu’il y a des élections municipales » et qu’« on ne [les] prépare pas à exercer leur droit de vote. » Pour lui, « les gens ne voient pas comment leur vote va faire une différence. Et ils ne voient pas, parfois, la différence entre les candidats. »


Dans la même veine, Christian Toussaint, agent de concertation à VSMS, chargé du dossier culture, sport et loisirs, parle d’un problème de transmission démocratique : « Beaucoup viennent de pays où ils n’avaient pas le droit de vote. Certains en ont peur, d’autres ne comprennent pas le système. C’est pour ça qu’il faut faire de la pédagogie tout le temps. »

Mais le contexte migratoire ne suffit pas à expliquer le faible taux de participation aux élections municipales. Pour aller au-delà de ce constat, VSMS a organisé ces dernières semaines une série d’activités – cafés-élections, rencontres d’information, débats publics – pour tenter de retisser le lien entre les habitants et les institutions. 

Ce souper-discussion devait convaincre les Michelois que la politique municipale leur appartient aussi. Finalement, il offrira surtout aux participants un espace pour expliquer pourquoi tant d’entre eux s’en sont éloignés.

Des échanges ancrés dans le quotidien

Une scène improvisée, dans un coin de la salle, a été réservée aux quatre candidats qui se disputent le district électoral de Saint-Michel à la mairie d’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. 

Les quatre candidat·es en lice dans le district électoral de Saint-Michel échangent avec les habitant·es. Crédit photo : Nouri Nesrouche.

Éric Allen Jr. (Action Montréal), Sylvain Gariépy (Ensemble Montréal), Jean-François Lalonde (Projet Montréal) et Nounthia Renord (Futur Montréal) sont venus dialoguer avec les habitants. Les thèmes soumis au débat sont l’accès au logement, le développement économique local, le développement social, la mobilité, la sécurité, la jeunesse ainsi que le désenclavement du secteur.

Le micro circule dans l’auditoire. « Bonjour, je m’appelle Samir Souanes, j’ai 21 ans. J’aimerais poser une question sur l’itinérance. J’ai remarqué que, ces derniers temps, le taux a augmenté », dit un jeune homme. Les panélistes se passent le micro, chacun pour expliquer la vision de son parti – en préconisant plus de logements sociaux, comme le veut M. Lalonde ; ou plus de ressources pour les organismes chargés de lutter contre l’itinérance, disent M. Gariépy et Mme Renord ; ou même la mise en place d’un programme particulier pour ces populations, estime M. Allen.

Sans interrompre les échanges, un repas chaud est servi : riz parfumé, poulet grillé et salade. « Un vrai festin », souffle une résidente.

Dans la salle, la moyenne d’âge dépasse 40 ans. Mis à part quelques membres du Forum Jeunesse de Saint-Michel, les jeunes manquent à l’appel. Leur absence ne passe pas inaperçue. Plusieurs intervenants soulignent la nécessité de trouver de nouvelles façons de les intéresser à ces questions.

« C’est quoi l’utilité de voter s’ils ne vont pas nous écouter ? »

Parmi les rares jeunes présents, Mark Dagala, 25 ans, fait part de ses sentiments.
« Oui, je vais voter, malgré les résultats qui peuvent être un petit peu… peut-être biaisés », déclare-t-il. Il cherche ses mots : « Malgré qu’on parle de nos besoins, on les ignore en quelque sorte. »

Ses amis, ajoute-t-il, ne votent pas. « Ils disent : “C’est quoi l’utilité de voter s’ils ne vont pas vraiment nous écouter ?” » Il pointe le manque de consultation dans certaines décisions locales, notamment le projet d’implantation d’une piste cyclable au cours de l’été 2022 : « Quand on a vu la piste cyclable sur la Première Avenue, personne ne nous avait consultés. Les gens se sont sentis abandonnés. » 

L’enjeu de la consultation a d’ailleurs été à l’ordre du jour de la rencontre, et des candidats ont évoqué le dysfonctionnement du mode de consultation citoyenne au sein du conseil municipal. Dans leurs interventions, Sylvain Gariépy et Éric Allen Jr. ont aussi cité le projet de piste cyclable sur la Première Avenue.

Et ce n’est pas le seul déficit, relève Mark Dagala. « Je trouve qu’il y a eu un abandon complet. Le financement a été relocalisé dans les quartiers qui ont un plus grand rendement, comme Villeray ou le Plateau. Nous, on a été un afterthought », croit-il.

Un autre jeune Michelois, Ahmed El Moudden, ancien journaliste de L’École Converse, s’implique depuis une décennie au Forum Jeunesse et fait écho aux propos de son concitoyen. « Il y a 10 ans, les jeunes étaient très engagés. Ils se rassemblaient, parlaient des enjeux politiques. Aujourd’hui, ils croient moins en Saint-Michel et à la politique en général », dit-il devant la salle, qui l’écoute attentivement.

Autour des tables, plusieurs acquiescent. Ce désengagement, Ahmed l’explique par les promesses non tenues : « Il y a beaucoup de causes que les jeunes ont poussées durant les 10 dernières années, qui n’ont pas vraiment abouti. » Il cite la carrière Francon, ce vaste trou de pierre au cœur du quartier, toujours en friche : « On s’impliquait énormément là-dessus. On a eu très peu d’avancement. La Ville a abandonné les jeunes », regrette-t-il. 

Le cas de la carrière Francon, dont la taille équivaut à 98 terrains de soccer, est cité dans plusieurs interventions. Depuis la fin de son exploitation, en 1986, cette carrière, propriété de la Ville depuis 1981, est utilisée comme entrepôt municipal, et surtout comme dépôt de neige. La population micheloise demande la requalification du site, et une consultation publique a même été organisée par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) en 2008, suivie par un processus de participation citoyenne enclenché en 2016. VSMS a élaboré en 2018 le projet citoyen Francon, cœur de notre quartier, mais aucune décision politique n’est venue concrétiser le rêve de la population locale.

Des voix multiples, une même fatigue

L’impression d’abandon revient dans plusieurs témoignages. 

Résidente du secteur Est de Saint-Michel, Sugir Selliah décrit une zone en perte de services. « Non seulement le quartier Saint-Michel est le plus défavorisé parmi les trois quartiers de l’arrondissement, mais le secteur Est [du district] est encore plus défavorisé », déplore-t-elle. Mme Selliah se désole d’un « manque d’espaces verts criant », « de jeunes dévalorisés » et de « la perte de nombreux services », illustrée, explique-t-elle, par le départ des organismes communautaires à la suite de la reprise par le CSDM des locaux où ils étaient installés.

Elle souligne aussi le fossé entre élus et habitants : « Les Michelois se sentent moins écoutés parce que les besoins proposés sont décalés. Les élus doivent aller vers les citoyens, faire du porte-à-porte, se présenter en personne. » 

Au fil des échanges, les résidents se montrent lucides sur les enjeux du quartier, et désireux d’être entendus. Entre deux interventions, on entend le bruit des couverts et le rire discret de quelques bénévoles. Dans la salle, Wismy Noster, chargé de concertation à VSMS, observe les échanges. Pour lui, chaque table, chaque question posée représente déjà un progrès. « Depuis cinq ans, c’est la première fois qu’on arrive à mobiliser autant de monde », confie-t-il.

Mais il reste lucide : « La mobilisation, ce n’est jamais facile, surtout dans un quartier comme Saint-Michel. Beaucoup de gens combinent plusieurs emplois. Quand tu les invites à des activités citoyennes, la réponse est souvent : “Monsieur, je dois faire bouillir la marmite.” » Les contraintes du quotidien expliquent en partie le faible taux de participation, selon lui : « Ce n’est pas du désintérêt, c’est de la fatigue. »

Une soirée, puis le calme

Vers 21 h, la salle se vide lentement. Les chaises sont pliées, les micros débranchés. Dehors, les rues de Saint-Michel se taisent. Seuls les cafés du Petit Maghreb restent animés, et quelques travailleurs attendent le bus sur Pie-IX. Dans ce quartier où voter n’est jamais un réflexe, la vie reprend son cours.

Vous avez aimé cet article ?

Chaque semaine, on envoie des récits comme celui-ci, directement dans votre boîte courriel.

Je m’abonne
L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.