Les jeunes diplômés de Montréal se heurtent souvent à de nombreuses difficultés lorsqu’ils cherchent leur premier emploi. Les témoignages de plusieurs d’entre eux nous ont permis d’explorer ces obstacles et les stratégies adoptées pour les surmonter.
La quête d’un premier travail est un parcours semé d’embûches pour les jeunes diplômés à Montréal. Jessica, 24 ans et diplômée en sécurité et études policières, ne fait pas exception. Elle arbore un large sourire chaleureux. Ses longs cheveux noirs bouclés, tirés en queue de cheval, encadrent un visage expressif. Son ton assuré laisse deviner une confiance tranquille et une volonté claire de faire bouger les choses. Bien qu’elle ait terminé ses études avec une formation solide, elle a fait face à une épreuve bien plus difficile que ce qu’elle avait imaginé. "On sort de l’université avec beaucoup de théorie en tête, mais pas de pratique", explique-t-elle.
Après des mois de recherches infructueuses, c’est avec l’aide d’un contact qu’elle a pu décrocher un stage dans une organisation gouvernementale.
"Ce qui va aussi faire en sorte que tu sors du lot, c’est tes contacts qui sont prêts à te référer, parce que les CV papier, ce n’est pas assez”, avance-t-elle
Malgré un marché du travail qui semble se maintenir, le taux de chômage dans la région métropolitaine de recensement de Montréal s’élève à 7,1 % en avril 2025, selon l’Institut de la statistique du Québec. Pour les personnes possédant un baccalauréat, il est de 4,8 % au pays, en 2024. Ces statistiques peuvent laisser penser que les jeunes diplômés rencontrent moins de difficultés pour trouver un emploi à la fin de leurs études. Mais ce serait tirer des conclusions trop hâtives. Pourquoi, malgré une formation universitaire, la recherche d’un premier emploi à Montréal relève d’un véritable parcours du combattant ? Qu’est-ce qui cause le plus de difficultés à ces jeunes, entre le manque de réseau professionnel ou encore le manque d’expérience?
"J’étais sur LinkedIn every day, je scrollais plus sur LinkedIn que j’allais sur mes réseaux"
Jenny, montréalaise de 24 ans elle aussi, a traversé un parcours de recherche assez similaire à celui de Jessica. On ressent très vite sa nature sociable et sa remarquable aisance à créer des contacts avec les autres. Son regard attentif trahit une grande qualité d’écoute. Diplômée en administration, c’est finalement grâce à une connaissance qu’elle a trouvé le poste qu’elle occupe aujourd’hui. "C’est en allant vers toutes sortes de personnes et en discutant de mes études avec une connaissance que j’ai pu me trouver mon poste actuel", précise-t-elle. Sa détermination à réussir professionnellement se lit dans chacune de ses paroles.

L’expérience et le réseautage, voilà deux éléments essentiels, estime-t-elle. "Faut vraiment faire le plus de stages qu’on puisse et aussi aller à des conférences pour rencontrer plein de gens qui sont sur le marché du travail", conseille-t-elle. Ces événements permettent d’élargir son réseau, un aspect crucial pour elle.
LinkedIn a aussi été un outil indispensable dans sa recherche d’emploi. Elle recommande d’exploiter toutes les fonctionnalités de la plateforme pour se connecter avec un maximum de professionnels.
Pour Louise-Josée, 25 ans, détentrice d’un baccalauréat en science politique, l’histoire est différente. Cette jeune femme au sourire francinsuffle une touche d’humour à ses récits, son rire contagieux brise instantanément la glace. Elle a passé plus d’un an à chercher un premier emploi. Une période éprouvante."Je savais que c’était un peu difficile de trouver du travail avec le diplôme que j’avais, mais je ne pensais pas que ça allait être aussi dur à ce point", confie-t-elle.
"J’étais sur LinkedIn every day, je scrollais plus sur LinkedIn que j’allais sur mes réseaux", raconte-t-elle en riant. Malgré sa persévérance, elle a trouvé cette période extrêmement décourageante. "J’avais fait tout by the book, de travailler et d’étudier, mais je trouvais rien", dit-elle, une pointe de désespoir dans la voix. "J’ai eu des répercussions physiques dues au stress de trouver ce travail," confie-t-elle.
Dans son cas, le réseautage n’a pas été une solution efficace.
L’élément clé qui l’a finalement aidée à décrocher son emploi a été d’adapter son CV en fonction des offres et de postuler sans arrêt. "Mon conseil, c’est de postuler le plus possible partout. Si tu peux, postule 100 fois par jour", conseille-t-elle en rigolant.
Devenir visible pour les recruteurs : les conseils de deux experts
Laura Balan, coach de carrières, et Mehdi Bagma, président du cabinet de recrutement Kadmaco, font le même constat. De nombreux jeunes diplômés n’adoptent pas toujours les meilleures stratégies dans leur recherche de premier emploi, notent-ils. Le problème réside souvent dans leur approche.
Le réseautage est une des clés de la réussite, affirme Mehdi. "Your network is your net worth", dit-il avec conviction. “Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’offres d’emploi si on ne voit pas d’offre disponible, les compagnies n’ont pas toujours les fonds pour afficher un poste. C’est pour ça qu’il faut aller de l’avant. Qui ne tente rien n’a rien," précise-t-il. Il conseille donc de ne pas attendre et de toujours aller à la rencontre des recruteurs. Pour ce qui est du réseautage, Laura insiste sur l’importance de LinkedIn, mais, ce n’est pas la seule manière de se faire un réseau. Pour les jeunes sans réseau, il faut prendre des initiatives, conseille-t-elle. "Ils doivent être curieux des événements de networking organisés par leur université, regarder sur les réseaux sociaux ces événements et utiliser l’établissement de leurs études pour accéder à des événements qui correspondent à leur recherche", dit-elle, optimiste.
Concernant les jeunes qui n’ont pas fait de stage ou qui n’ont pas d’expérience, "ce n’est pas un problème", affirme-t-elle avec assurance. "Il leur suffit d’insister sur leur CV sur les projets sur lesquels ils ont travaillé lorsqu’ils étaient encore aux études." Même sans expérience, les "soft skills" — compétences relationnelles et comportementales — peuvent faire toute la différence auprès d’un employeur”, affirme-t-elle, un conseil qui s’avère précieux pour ceux qui doutent de leurs capacités.
Selon Mehdi, on en revient à la question de la poule et de l’œuf : “Pour travailler, il faut de l’expérience, mais pour avoir de l’expérience, il faut travailler". Pour lui, il est possible de compenser ce manque d’expérience en mettant en avant des compétences transférables sur le CV. "Il faut relier certaines expériences qu’on a eu à celles que l’on cherche à obtenir, faire des liens entre les compétences peut faire la différence", rappelle-t-il.
Se faire une place : réseautage, visibilité et résilience pour les jeunes diplômés racisés
Candice Fuego, assistante, recruteuse et spécialiste en gestion des ressources humaines, met elle aussi en lumière les difficultés auxquelles font face les jeunes diplômés racisés dans leur recherche d’emploi.
« On connaît très bien l’enjeu du racisme systémique et du sexisme », affirme-t-elle. Un enjeu mis en lumière en 2018 par Jean-Philippe Beauregard, alors en thèse de sociologie. La recherche, menée au Québec, montre qu’un candidat fictif répondant du nom de Marc-André a 36% de chances d’être contacté pour un recrutement, contre 12% pour un candidat fictif portant le nom de Mamadou, à compétences et diplômes égaux.
Pour Candice, il est donc crucial de rester centré sur ses compétences professionnelles en entrevue et d’éviter de trop s’exposer sur sa vie personnelle. Cependant, même si l’on fait tout ce qu’on peut pour éviter de vivre ces injustices en restant discret, la décision finale revient toujours au gestionnaire, rappelle-t-elle. Un constat difficile mais réaliste, puisque, même pour un excellent candidat, certaines décisions peuvent être influencées par des biais inconscients.
Elle souligne également la pression constante pour se démarquer : « Je réfléchis toujours avec la réalité du racisme systémique qui est là, et puis le fait que tu doives te démarquer tout le temps ». Dans certaines entreprises, les personnes racisées doivent faire plus d’efforts pour obtenir la même reconnaissance que les autres, ajoute-t-elle. Tout dépend encore une fois de l’employeur et de sa culture organisationnelle.
Pour les jeunes diplômés racisés qui ne savent pas par où commencer pour créer leur réseau, Candice conseille d’activer leurs contacts les plus proches : « C’est important de parler avec sa communauté, de trouver ces personnes qui sont déjà dans le domaine qui t’intéresse, ou même dans d’autres domaines ». Cela permet de se créer un réseau dans un cadre où l’on se sent à l’aise. Elle recommande aussi de débuter, si possible, son expérience professionnelle auprès de cette même communauté, en s’appuyant sur les réseaux sociaux, les pages communautaires, ou encore des plateformes comme Eventbrite pour repérer des événements pertinents et intéressants. « Il faut se connecter avec des gens qui sont prêts à t’aider ou à te former ».
Si le réseautage, la mise en avant des compétences transférables, et la présence sur LinkedIn sont des outils communs, Candice rappelle que le racisme systémique impose un effort supplémentaire aux jeunes diplômés racisés.
Louise-Josée, elle, est consciente de cette difficulté. “ Le racisme systémique et les biais des employeurs peuvent survenir mais quand t'es rendu plus loin dans le processus d’embauche, parce que sans l’expérience tu n’arrives juste pas à la première étape d’être remarqué par l’employeur ” affirme-t-elle. Aujourd’hui avec l’expérience accumulée, elle poursuit sa recherche d’emploi. “Avec mon emploi actuel je me suis fais un peu d’expérience, mais c’est pas assez quand je regarde les descriptifs des emplois, je ne sais pas ce que le futur me réserve donc je continue a chercher”.