Knafé Stop : semer le goût de chez soi au Québec
Saad Antar, le propriétaire du Knafe Stop. Crédit photo: Sara Balkis
18/6/2025

Knafé Stop : semer le goût de chez soi au Québec

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À Laval, Saad Antar sert du  tout en offrant un aperçu de sa ville natale, Naplouse, en Palestine. Celle-ci est située en Cisjordanie occupée, et Saad nous fait découvrir son patrimoine, tout en s’ouvrant sur les actes brutaux commis par l’occupant israélien contre le peuple palestinien. Portrait.

Son restaurant, le Knafé Stop, se trouve sur le boulevard des Laurentides et accueille les visiteurs avec un doux parfum de pâte à tarte et de sirop, mêlé à l’odeur légèrement salée du fromage.

L’intérieur est décoré de cartes géographiques de la Palestine, d’œuvres d’art encadrées représentant le pays, de drapeaux palestiniens et d’une reproduction panoramique de la mosquée Al-Aqsa, un sanctuaire sacré situé dans la partie occupée de Jérusalem-Est.

Le plafond est couvert de keffiehs palestiniens, ces foulards traditionnels aux motifs complexes devenus un symbole de résistance. 

Dans la salle principale, une télévision diffuse en direct et en continu des images de Naplouse, de ses rues animées. « À un moment donné, vous pourrez voir le quartier où je vivais », précise-t-il.

La passion des habitants de Naplouse pour leur culture leur permet de faire preuve d’une résilience incroyable face à l’occupation, un système qui menace quotidiennement leurs moyens de subsistance. Et cela se reflète dans le travail de Saad. 

Il se déplace avec aisance dans le restaurant, affiche un sourire radieux et accueille les gens avec amabilité. Le sujet du knafé illumine son regard, et ses mains s’animent, traduisant tout à la fois son ambition et son dévouement envers son entreprise. Son ton devient affectueux lorsqu’il évoque ses souvenirs de Naplouse, témoignant d’une profonde gratitude pour sa ville natale. 

Faire découvrir la ville de Naplouse aux Montréalais 

Saad a quitté Naplouse pour Montréal en 2010, à l’âge de 19 ans. Son père vivait déjà à Montréal depuis l’année 2000. Ils ont dû attendre 10 ans avant qu’il obtienne sa résidence permanente et puisse enfin parrainer Saad et son frère.

Désireux de retrouver le goût du plat typique de sa ville natale, il s’est mis à la recherche d’un endroit où l’on prépare du knafé à Montréal. « Nous avons grandi à Naplouse, donc nous devons manger [du knafé] tous les jours, peut-être même deux fois par jour », dit-il en riant. Ce dessert se compose d’une pâte feuilletée recouverte de fromage, nappée de sirop et parsemée de pistaches concassées. 

Cependant, Saad ne trouvait pas de knafé ayant le même goût que celui qu’il mangeait quand il était petit. Il s’est donc donné pour mission d’apporter le knafé de Naplouse à Montréal. Il retourne dans sa ville natale en 2013 pour trouver la recette de cette spécialité. Il finit par l’apprendre dans une pâtisserie appelée Damascus’ Sweets. « Dans les livres d’histoire, Naplouse était appelée la “Petite Damas” », explique Saad avec enthousiasme. 

Le premier restaurant de Saad était petit, mais attirait beaucoup de clients. Ses trois premières années sur le marché ont été marquées par un soutien important de la communauté arabe, ainsi que d’une importante clientèle venue du monde entier. « Les gens m’encourageaient à ouvrir des établissements plus grands et plus nombreux », raconte-t-il. Aujourd’hui, Knafé Stop compte trois établissements, dont un au centre-ville de Montréal.

Après 15 ans au Québec, l’amour et l’attachement de Saad pour sa ville natale n’ont pas faibli. « Tout à Nablus est magnifique : sa cuisine, ses rues, ses habitants », dit-il en montrant l’écran de télévision et ses images de rues illuminées, alors que la nuit envahit la ville.

Considéré comme un dessert raffiné par tous les Palestiniens, le knafé revêt une importance particulière pour les habitants de Naplouse : la ville est le berceau de ce dessert. « Les Palestiniens des autres villes se rendaient à Naplouse pour y déguster le knafé, en particulier dans la vieille ville », explique-t-il.

Avec l’ouverture de Knafé Stop, Saad a non seulement apporté à Montréal le goût sucré et original du knafé, mais aussi un morceau chaleureux de son enfance. « Je viens de Naplouse, donc je sais quel goût cela doit avoir. Je sers quelque chose qui est fidèle à ses racines », renchérit-il. L’authenticité du restaurant se retrouve également dans l’utilisation d’ingrédients importés de Palestine, comme le fromage et le beurre fondu. Le café qu’on y sert vient aussi de Palestine. « Parfois, les gens viennent uniquement pour le café. » 

Knafé Stop propose aussi du Salam Cola comme solution de remplacement au Coca-Cola – en réponse aux appels au boycott en faveur de la Palestine. « Nous boycottons tout ce qui soutient ou finance l’occupation. Boycotter n’est pas difficile. Quiconque y est sensible peut trouver des solutions de rechange à ce dont il a besoin », explique Saad. 

La vie sous occupation

Saad retourne à Naplouse chaque année, parfois tous les cinq mois. Son voyage en Palestine est long et semé d’embûches. Il commence par se rendre en Jordanie et franchir les frontières terrestres. Une fois arrivé en Palestine, il doit subir les interrogatoires des autorités israéliennes, puis ceux des autorités palestiniennes, avant de pouvoir se diriger vers sa ville natale. 

Naplouse est une ville qui a beaucoup de charme, mais les forces d’occupation israéliennes ont imposé à la population palestinienne des conditions qui rendent le maintien d’une vie décente très difficile. Ainsi, il existe des postes de contrôle dans toutes les villes de Cisjordanie, ce qui rend les déplacements et l’accès à cette région extrêmement complexes. « Vous pouvez, par exemple, quitter un endroit facilement, mais quelque chose peut arriver sur le chemin du retour. Ils peuvent fermer le poste de contrôle et vous ne pourrez pas revenir », explique-t-il. 

Sa dernière visite remonte au mois de janvier dernier.

« Je suis resté deux mois à Naplouse. Je ne pouvais pas partir, car les routes étaient très dangereuses. » 

Depuis qu’Israël a lancé son offensive de bombardements sur Gaza en octobre 2023, les restrictions imposées par l’occupant en Cisjordanie se sont multipliées et ont été renforcées. Selon Saad, Naplouse est désormais encerclée par 12 portes électriques qui ne peuvent être ouvertes aux Palestiniens sans l’autorisation de l’occupant.

Un miroir en forme de carte de la Palestine, avec les noms des principales villes. Crédit photo: Sara Balkis

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) des Nations unies, les obstacles à la circulation imposés par Israël en Cisjordanie sont passés de 565 à 849 d’octobre 2023 à mars 2025. Ils comprennent des postes de contrôle permanents, des postes de contrôle occasionnels, des barrages routiers, des remblais, des barrières routières, des murs de terre et des tranchées. 

Aux points de contrôle, le stress est immense. Les difficultés du passage dépendent de l’état d’esprit du soldat en service, raconte Saad. Beaucoup finissent par dormir près des points de contrôle parce qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux. Pendant le ramadan, la situation s’aggrave encore. L’attente se prolonge, ce qui oblige les gens à rompre leur jeûne et à prendre leur suhoor (repas qui interrompt le jeûne de la journée, NDLR) sur place. 

En outre, les forces d’occupation ont fait des raids une pratique quotidienne. « Les gens sont dans la rue, font leurs courses ou vaquent à leurs occupations quotidiennes quand, soudain, des soldats d’occupation font irruption, bloquent les sorties, détruisent des biens et les agressent », rapporte-t-il. Ces violences ont tendance à s’intensifier et à se multiplier pendant le ramadan. 

« Et cela, c’est sans compter la violence des colons, bien sûr », ajoute-t-il. Les Palestiniens, y compris les enfants, sont de plus en plus souvent victimes d’attaques et d’intimidation de la part de ces Israéliens des colonies. « Lorsque vous essayez de vous rendre dans une autre ville, vous pouvez à tout moment tomber sur des colons qui tentent de vous attaquer, soit en jetant des pierres sur votre voiture, soit en vous encerclant. » 

Selon le ministère palestinien de la Santé, plus de 800 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par des colons et les forces d’occupation depuis le 7 octobre 2023.

L’aggravation du contrôle de l’occupation a eu un effet négatif sur l’économie, note Saad, car les restrictions imposées à la circulation des personnes ont rendu presque impossible la participation aux activités commerciales. 

Mais les difficultés rencontrées à Naplouse ne sont pas aussi graves que celles auxquelles sont confrontés les Palestiniens à Gaza ou dans d’autres villes de Cisjordanie, comme Jénine, précise Saad. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes. Il y en a beaucoup, mais nous disons “Alhamdullilah” (« louange à Dieu » en arabe, NDLR) ; ce n’est pas aussi grave que dans d’autres villes. »

L’espoir d’un retour

L’occupation illégale de la Cisjordanie par Israël dure depuis plus de 50 ans. « Ce n’est pas un phénomène nouveau. Nous avons grandi en faisant face à ces obstacles. Cela a commencé avant même notre naissance, rappelle Saad. Mais même face à cette occupation, les gens font de leur mieux pour tirer le meilleur parti de la situation. » 

« Ici, enchaîne-t-il, on peut se déplacer librement, personne ne viole votre espace. Vos enfants peuvent aller à l’école et en revenir sans risque que quelqu’un se mette en travers de leur chemin. C’est malheureusement ainsi », déclare-t-il, une pointe d’amertume dans la voix. 

Néanmoins, il est convaincu qu’il retournera vivre un jour en Cisjordanie. « Je ne resterai pas ici pour toujours. Je ne peux pas quitter mon pays. Je ne peux pas oublier l’endroit où j’ai grandi, où vivent mes parents et mes amis. C’est impossible. Mais la plupart du temps, je ferai la navette entre le Canada et la Palestine. »

L’actualité à travers le dialogue.
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