Ils ne viennent pas du même quartier, n’ont pas le même âge, ni les mêmes références. Certains d’entre eux se connaissaient déjà, d’autres, pas du tout. Mais pendant deux mois, ils ont pris le temps d’échanger, d'écrire, de se conseiller, de rigoler aussi et surtout d’enregistrer un “banger” tous ensemble. Dans les studios de La Converse, une vraie connexion s’est créée entre Kester, Imene, Akashi Tonny, Kitana, Amine, Bougelite et Drippy. Ensemble, ils ont donné naissance à une chanson : Jamais trop tard.
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Encadrés par la mentor Meryem Saci, les sept jeunes artistes ont participé au projet MC Converse 2025. Ils ont enregistré un couplet ou un refrain chacun, porté par leurs mots, leurs vécus et leurs réflexions, sur une production originale de Birdzonthetrack. Le morceau a été enregistré le 21 mai dernier, au studio Toosik à Ahuntsic. Le vidéoclip, quant à lui, a été tourné une semaine plus tard, le 28 mai, sous le soleil de Montréal.
Ce rap journalistique nous raconte ce que vivent les jeunes et véhicule un message d’espoir.
Pensé comme un projet d’expression citoyenne à travers le rap, Jamais trop tard donne la parole à sept jeunes artistes qui décrivent ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent et ce qu’ils observent autour d’eux. Chacun avec sa plume, son vécu, sa perspective.
Le titre, Jamais trop tard, reflète ce message qu’ils veulent transmettre ensemble : il n’est jamais trop tard pour s’en sortir, pour changer, pour se relever, pour trouver sa voie, et ce malgré les obstacles, les erreurs et les doutes.
Ils ne racontent pas tous les choses de la même manière, mais toutes leurs paroles viennent de quelque part : d’un vécu, d’une colère, du désir de réussir, ou simplement d’un besoin de vérité. Derrière chaque couplet, il y a une personne, une histoire et un parcours de vie.
Voici les artistes derrière le morceau Jamais trop tard.
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Drippy, 18 ans, c’est une voix née entre deux continents et un cœur vissé à Montréal.
De la Roumanie au Mexique, jusqu’aux rues d'Ahuntsic-Cartierville, il a grandi entre les langues, les cultures et les sons. Son père était DJ, et c’est probablement de là que lui vient ce lien avec la musique. Depuis son enfance, la musique l’accompagne. Elle l’aide à parler quand les mots sont coincés, à exprimer ce qu’il garde pour lui.
Il a commencé à 12 ans, malgré les moqueries, malgré les doutes. D’un vieux téléphone à ses premiers enregistrements nocturnes dans sa chambre, il a avancé seul, porté par l’envie de dire ce que d’autres taisent. Aujourd’hui, il continue. Pas pour impressionner, mais pour transmettre.
Dans ses textes, il parle d’amour, de ruptures, de souvenirs, mais aussi des histoires de ses proches. Il se met dans la peau des autres, raconte leurs silences, leurs douleurs, leurs désirs.
Il mêle rap, afro beat, reggaeton, français, espagnol. Tout ce qu’il est – ses racines, ses influences, ses langues – se retrouve dans ses sons. Ses influences sont multiples : d’XXXTentacion à Vacra, en passant par Kaza, Zola et la scène montréalaise qu’il écoute activement.
« Chaque fois que j’ai un petit peu d’argent : studio. Direct. Quitte à m’endetter, je m’en fous. » affirme-t-il avec détermination.
Et d’ailleurs, dans le couplet qu’il a posé pour MC Converse, il évoque un artiste qui, par manque de moyens, emprunte la mauvaise voie pour payer ses frais liés à la musique.
Ses ambitions ? “Je rêve de grandes scènes : du Club Soda, des Francos”
Et ce qui le pousse à continuer malgré tout :
“Chaque message que je reçois, chaque personne qui se reconnaît dans mes paroles, me rappelle que j’avais raison de ne pas lâcher.”
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Kester Milhomme, alias Le petit Kester, a 19 ans.
Né à Montréal, d’origine haïtienne et brésilienne “pour le petit côté exotique”, précise-t-il en rigolant, il a grandi à Rivière-des-Prairies – BGP, pour les vrais.
Avant même de se mettre à rapper, il filmait déjà des vidéos humoristiques qu’il publiait en ligne.
Créateur de contenu dans l’âme, il commence à écrire ses premiers textes de rap à 13 ans, pour faire rire et piquer ses amis. « Mes sons, c’est souvent pour me foutre de la gueule de mes boys. J’ai beaucoup écrit de diss tracks. »
Son humour, il le cultive en s’inspirant de Mister V, son idole absolue : “Si j’ai un enfant, je l’appellerai Yvick.”
Mais derrière les rires, il y a aussi des réalités qu’il n’oublie pas.
Dans son couplet pour MC Converse, il aborde l’un des moments les plus difficiles qu’il a traversé avec sa famille : Il se souvient avoir quitté leur HLM de RDP pour s’installer dans une maison à Saint-Léonard grâce au travail acharné de sa mère. Mais à peine un an plus tard, sa mère a perdu son emploi du jour au lendemain. Sa famille s’est vue obligée de retourner dans le même appartement du même HLM.
Ce retour forcé, Kester ne le considère pas comme une défaite.
« Je veux transmettre la rage de vaincre encore. On tombe, mais on se relève », affirme-t-il. Aujourd’hui, il canalise cette énergie dans un style bien à lui : un mélange de rap spontané et drôle. Il explore aussi le R’n’B, joue avec les sonorités, et revendique son goût pour les sons “à vibe”. « Je suis né dans le rap. Mon père en écoutait tout le temps », explique-t-il. Quand on lui demande comment il se décrit, il répond sans hésiter : “Jeune créateur de contenu humoristique et engagé.”
Son quartier, Rivière-des-Prairies, reste au cœur de son parcours. “Peu importe ce que je fais, je vais toujours représenter RDP”, déclare-t-il.
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Bougelite, c’est un nom d’artiste qui est né d’un malentendu de classe : un prof a mal prononcé son nom de famille “Boughelit”. Il est resté et c'est devenu sa signature. “Dedans, il y a “élite”, j’ai trouvé ça stylé.” me dit-il en souriant. À 17 ans, ce jeune artiste de Saint-Michel, étudie en marketing et gestion, un choix stratégique : la musique, il la vit par passion, mais il pense aussi à la suite, explique-t-il.
Il commence à écrire à 15 ans, lors d’un atelier avec Mamie Remix, où il transforme les textes d’aînés en chanson de rap. Depuis, il est monté sur plusieurs scènes : MC Challenge, Festival jeunesse de Saint-Michel, La Zone.
Auteur, compositeur, interprète, Bougelite fait tout lui-même. Il construit ses propres instrumentales, pose ses textes dessus, travaille ses idées en solo. Très “low-key” dans la vie, il devient “arrogant et assumé” sur scène. « La scène, ça m’aide à m’ouvrir. Je suis pas la même personne quand j’y suis. »
Dans ses morceaux, il se questionne sur ses choix de vie – école, musique, avenir – et sur l’impact qu’ils ont sur son quotidien. Il explore ses réflexions personnelles et n’hésite pas à provoquer parfois, avec des lignes qui demandent à être interprétées.
« C’est pas grave s’ils comprennent pas. Je vais continuer. Et même exagérer encore plus. »
Et dans le couplet qu’il a posé pour MC Converse, il frappe fort. Il compare deux réalités que vivent les jeunes d’aujourd’hui : celle de la rue et celle de l’école. D’un côté, un jeune qui cherche à gagner de l’argent rapidement, à obtenir sa liberté coûte que coûte. De l’autre, un jeune qui étudie pour espérer, un jour, avoir un bon emploi et un avenir stable.
Deux chemins, deux pressions, deux temporalités.Mais une même question derrière tout ça : comment est-ce qu’ils vont aller chercher leur liberté financière ?
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Imene, c’est une voix qui s’élève quand il le faut, sans jamais se plier. Imene est une artiste qui, dit-elle, refuse les étiquettes, les attentes toutes faites, et le regard des autres sur ce qu’elle devrait être. Née en Algérie, arrivée à Montréal à 16 ans, elle a grandi entre plusieurs quartiers de l’est de la ville. Elle chante l’amour, la paix, les luttes invisibles.
« Je ne me vois pas chanter quelque chose qui n’est pas aligné avec ce que je suis. » Son rapport à l’art est sacré. Elle le dit elle-même : “La musique fait simplement partie de ma manière de vivre. L’art, en général, fait partie de moi.”
Éclectique, elle explore le rap par curiosité, par envie d’apprendre. Mais le chant reste son langage premier. Elle aime les artistes comme TIF, “pour la sincérité des textes, la sensibilité des mélodies, et l’équilibre entre émotion et retenue”. Ce qui compte pour elle, ce n’est pas le style, mais ce que les textes provoquent.
« Tout ce qui me touche, je m’en inspire. »
Ce qu’elle cherche avant tout, c’est ce qui résonne vrai : une parole sincère, une voix habitée, une émotion qui laisse une trace, explique-t-elle.
Sur scène elle a chanté avec le groupe Numidz aux Nuits d’Afrique, puis lors de la Virée classique de l’Orchestre symphonique de Montréal, aux côtés du groupe Mezghana. Des moments où sa voix, portée par des projets collectifs, a trouvé sa place.
Dans la chanson collective de MC Converse, c’est sa voix qui porte le refrain.
Une tâche assez difficile, selon elle, qu’elle a abordée avec exigence. Elle explique avoir voulu résumer en quelques mots tout ce que les autres disent dans leurs couplets : leurs parcours, leurs douleurs, leurs espoirs. Imene me confie que ce projet lui tient vraiment à cœur et qu’elle a voulu y mettre toute sa sensibilité, pour faire naître un message qui parle à chacun.
“C’est un message d’espoir, pour tous ceux qui doutent, qui tombent, qui cherchent encore leur chemin, surtout les jeunes.”
Ce qu’elle cherche ? “Aller au bout de ce qui me rend heureuse.”
Et ce qu’elle espère ? Que ceux qui la découvrent retiennent cela : “Exister selon ses propres croyances. Même quand c’est difficile. Même quand ça dérange. Juste y croire.”
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Amine, alias ZVCS, a seulement 16 ans. Né à Casablanca, il a grandi entre le Maroc et Montréal, de Côte-des-Neiges à Saint-Michel, puis Laval.
Il n’aimait ni le rap ni la scène. Jusqu’au jour où un de ses cousins, au Maroc, a raté une chance de performer. « J’ai vu qu’il avait la haine. Je me suis promis d’aller loin dans la musique, pour lui. » Depuis, cette promesse le porte. Il commence à freestyler au secondaire, dans la cour, à l’heure du dîner. Premier studio, premier son, premiers retours : il comprend qu’il a quelque chose à dire. Aujourd’hui, il écrit, rappe, produit.
Ses textes parlent des droits humains, des injustices, de la violence, de la perte.
Il puise dans ses observations comme dans son vécu. « Ce que j’écris, c’est ce que je vis ou ce que j’observe. J’essaie de faire réfléchir. » Parmi ses influences : Lost, Fouki, Manu Militari, mais aussi Zamdane, Diam’s, Damso. ZVCS ne cherche pas à être vu. Il veut simplement faire entendre ce qui compte pour lui.
« Si je pouvais rester dans l’ombre et juste faire de la musique avec ma voix, je le ferais. »
Dans son couplet pour MC Converse, il fait un pas de plus.Il parle de ce qu’il a vu en grandissant, en tant qu’enfant et adolescent : pauvreté, drogue, prositution. Des réalités dures, qu’il n’aime pas nommer. Mais qu’il a choisi de mettre en mots, une fois pour toutes, pour dire d’où il vient. Pour expliquer pourquoi il a commencé, pourquoi il a pris certains chemins, et pourquoi aujourd’hui il écrit.
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Kitana, 19 ans, c’est une voix qui claque comme une vérité qu’on ne veut plus cacher.
D’origine algérienne, venue de l’est de Montréal, elle revendique un caractère trempé – avec le « franc-parler d’une fille qui ne baisse jamais les yeux. » Arrivée à Montréal à trois ans, elle y grandit, s’en imprègne, s’y forge. Depuis l’adolescence, la musique fait partie de sa vie.
Enfermée entre quatre murs, elle écrit ses premiers textes : « J’ai commencé à écrire quand j’étais au centre jeunesse. J’avais rien à faire, alors j’ai commencé comme ça. » C’était sa manière à elle d’extérioriser ce qu’elle ne pouvait pas dire autrement.
Au départ, elle ne voyait pas la musique comme un projet sérieux. « Avant, je faisais juste des “diss tracks”* avec mes amis. C’était pas profond. » Mais les choses changent. Aujourd’hui, elle écrit et rappe pour parler de ce qu’elle a vécu, mais aussi pour que d’autres s’y reconnaissent.
« Je sais que les gens peuvent “relate” à moi. Il y a des personnes qui vivent la même chose. Moi, j’écris pour ceux-là aussi. » Kitana rappe surtout en anglais, parfois en français. « L’anglais, ça me permet de tout dire. Je me sens plus libre. »
Dans sa partie sur le morceau collectif pour MC Converse, elle parle de son passage au centre jeunesse, de ce qu’elle ressentait à l’époque, de la tentation de la rue, de l’envie de liberté.
Elle veut montrer qu’il n’y a pas juste “une seule voie”. Il y a d’autres chemins possibles, “faut juste faire les bons choix”. Aujourd’hui, elle continue d’écrire et de poser sa voix. Et si elle fait de la musique, c’est aussi avec l’idée d’« être partout » : rap, chant, réseaux, projets sociaux. « Si je “make it”, je veux créer des associations, aider les autres. Je veux pas juste briller toute seule. »
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Akashi Tonny a 19 ans, mais refuse de se définir par son âge. « Je suis infini », nous lance-t-il. Né au Cameroun, il a grandi à Saint-Michel. Artiste polyvalent, il danse, slame, écrit, performe. Il est aussi très investi dans l’univers visuel et vestimentaire. Mais c’est la musique qui occupe le centre de sa vie. « La musique m’a sauvé. À un moment, j’avais perdu le goût de vivre. Depuis que je fais de la musique, j’ai retrouvé l’envie de rêver. (...) Si je passe une semaine sans faire de musique, je tombe malade. Je me sens très mal. »
C’est à l’adolescence, alors qu’il traverse une crise existentielle profonde, il commence à écrire. Il parle d’un besoin de s’exprimer, de transformer ce qu’il vit, ce qu’il ressent, en mots. Il ne l’a pas cherchée, « c’est la musique qui est venue à [lui]. » Son univers est marqué par l’introspection, la solitude, la mélancolie, mais aussi par la volonté de trouver une forme de lumière. Akashi décrit sa pratique comme de la poésie, pas du rap. « Ma musique est très émotionnelle. J’ai besoin d’être dans ma bulle pour la créer. »
Dans le cadre du projet MC Converse, il explique avoir relevé un grand défi : écrire et performer un texte à partir de directives assez précises. Une démarche inhabituelle pour lui, qui travaille de manière très spontanée. Son couplet aborde des thèmes lourds : violences, abus, déshumanisation. « Je parle de choses dont on ne parle pas assez. Des réalités qui dérangent. Mais qu’il faut dire. »
Solitaire assumé, Akashi reste souvent à l’écart du groupe en studio. Il dit avoir besoin de silence, de préparation mentale et physique pour livrer une performance à la hauteur de ce qu’il ressent. Et s’il devait se définir, ce serait avec cette phrase : « Be Absolute. Je suis un papillon. »
Le papillon comme symbole de métamorphose.
*Un « diss track » est un morceau de rap, souvent moqueur ou provocateur, dans lequel un artiste s’amuse à critiquer une autre personne.