Les Messagers Converse 2 – C'est pas la fin du hood
Ils ne se connaissent pas, mais lorsqu’ils débarquent pour la première fois dans les studios de La Converse, la chimie opère immédiatement entre Genki, Chérubin, Versatol, SMG et YBB. Rires complices et blagues fusent entre ces cinq jeunes, qui – ils ne le savent pas encore – sont sur le point de créer quelque chose qui va dépasser leurs attentes.
Après presque deux mois de rencontres hebdomadaires et d’apprentissage sous le mentorat de Raccoon, ils enregistrent une chanson au studio ainsi qu’un vidéoclip sur les différents sujets qu’ils abordent dans leur morceau. Parmi ces thèmes, il y a la dépendance, la violence armée et l’hypersexualisation que vivent les jeunes de leur ville.
En décrivant comment ils voient ce qui les entoure dans la société, les Messagers Converse agissent comme de véritables journalistes qui informent tous ceux qui le souhaitent sur la réalité de leur quartier et de leur communauté.
MC : entre Maîtres de cérémonie et Messagers Converse
Nous sommes à la mi-juin, c’est le début de l’été. Au quatrième étage d’un immeuble situé dans le quartier Ahuntsic, les Messagers Converse arrivent les uns après les autres et découvrent les studios d’enregistrement Toosik. Le grand jour est arrivé : c’est aujourd’hui qu’ils enregistrent leur chanson C’est pas la fin du hood. Si c’est une session normale pour certains, pour d’autres, c’est la première fois en studio. Rencontre avec les MC dans le feu de l’action.
Quand Genki, The Developer se met à rapper, il est facile de retrouver l’âme montréalaise dans ses couplets. Que ce soit dans le choix des mots ou le slang qu’il utilise, le jeune rappeur de Saint-Léonard est bien conscient de la réalité qui l’entoure, lui et les siens.
À peine âgé de 20 ans, il s’est lancé dans la musique il y a un an et demi. D’origine algérienne et espagnole, Adam est un jeune de quartier qui n’a pas peur de le dire. « Je viens de Saint-Léonard, dit-il d’emblée. Pour moi, mon quartier, c’est comme une deuxième maison. C’est un endroit familier pour moi, j’ai grandi là », déclare-t-il.
Conscient de la réalité des jeunes racisés de Saint-Léonard comme lui, il raconte que la musique est en quelque sorte venue le sauver des problèmes de la rue, qui touchent de plus en plus de jeunes isolés. « Quand j’ai commencé la musique, je voyais le rap comme une sorte d’histoire à raconter à travers les mots. C’était un synonyme d’espoir pour moi », explique-t-il.
« Avec le rap, tu peux créer un lien avec tout le monde qui t’écoute. Tu peux utiliser ton vécu, et avec ça, tu peux toucher et inspirer beaucoup de gens », pense-t-il. L’une des raisons pour lesquelles il est si connecté avec le quatrième art, c’est qu’il estime que, grâce à la musique, il est plus facile pour lui d’exprimer sa réalité, ses émotions.
« À la fin, on est tous des humains, conclut Genki. L’important, quand on est jeune, surtout lorsqu’on vient d’un hood, c’est de savoir ce qui est bon et mauvais. Il faut être capable de distinguer les choix négatifs et positifs et l’impact qu’ils peuvent avoir sur nous et les autres. » Le message qu’il souhaite transmettre à ses semblables apparaît clairement dans son couplet de la chanson des Messagers Converse. « Il y a beaucoup plus dans ton hood ; lève-toi et mets-toi en marche ! » rappe-t-il.
Il y a quelques mois à peine, Justin a commencé à utiliser le micro pour s’exprimer. De nature plutôt timide et introvertie, il adore écrire. « J’aime la musique pour le côté créatif, parce qu’on peut mettre des images dans la tête des gens », confie-t-il.
Né d’une mère haïtienne et d’un père québécois, BigJ Chérubin a grandi en périphérie de Montréal. Il estime que le rap est apparu à un moment parfait dans sa vie : « Ça m’a permis de dire tout haut ce que je pensais tout bas. J’ai longtemps été renfermé, et maintenant, j’utilise le rap pour extérioriser ce que j’ai intériorisé, ce que j’ai vu et vécu quand j’étais plus jeune », explique-t-il d’une traite.
Pour lui, le rap est tout un art, et est très technique. « Quand on grandit, les muscles se développent dans le corps, mais aussi dans la voix. Les mots se forment dans le cœur, puis dans la tête », précise-t-il, passionné. Ces mots finissent par sortir et arrivent finalement jusqu’aux autres, et pour Justin, c’est ça, le rap.
« Il y a beaucoup de jeunes qui se cherchent, qui n’ont pas nécessairement confiance en eux et en ce qu’ils peuvent réaliser. Malheureusement, certains vont gagner cette confiance-là au mauvais endroit », explique Justin. Il ajoute qu’il se voit beaucoup dans la jeunesse montréalaise d’aujourd’hui. « Je n’avais pas confiance en moi, mais plus tu grandis, plus il y a de choix qui s’offrent à toi. Je pense que les plus jeunes doivent voir la vie comme un marathon. C’est long, mais ce n’est pas difficile ; il faut juste continuer et ne pas abandonner », philosophe-t-il.
Apprendre de ses erreurs et bâtir sur ces apprentissages serait l’ultime conseil que donnerait Chérubin à qui souhaite avoir un conseil. Il estime avoir été « chanceux », car, d’une certaine manière, la musique est venue le sauver. Dans son couplet de C’est pas la fin du hood, il parle beaucoup de la facilité avec laquelle on peut se perdre dans la vie, lorsqu’on est jeune. « Tout se passe rapidement, mais il ne faut pas se précipiter. Il faut trouver le temps de s’épanouir ! »
Le vécu de Mistral, un jeune homme dans la vingtaine, est lourd. Il est né de parents haïtiens et a grandi dans le quartier de Fabreville, à Laval. Il en est d’ailleurs fier et n’hésite pas à le mentionner lorsqu’on discute avec lui.
« La musique et l’écriture ont toujours fait partie de ma vie », nous raconte Versatol. C’est d’abord le côté créatif de l’écriture qui l’a séduit. « J’ai commencé à écrire beaucoup dès le primaire. J’écrivais tout ce que je voyais, ce que je ressentais, ce que je vivais. Puis, ça s’est transformé en petites histoires, en poèmes, et c’est devenu du slam et du rap en vieillissant », relate-t-il.
Versatol nous confie que, lorsqu’il était plus jeune, il a eu beaucoup de difficultés à surmonter certaines épreuves. « On s’en prenait souvent à moi, sur qui j’étais, comment je parlais, à quoi je ressemblais. Ça m’a beaucoup affecté », dit-il. Il ajoute toutefois que c’est en quelque sorte grâce à ça qu’il s’est réfugié dans la musique. « Je passais beaucoup de temps seul, et ça m’a permis d’explorer la musique à fond. »
Versatol a choisi de parler des problèmes de consommation de drogue et de la façon dont cela affecte son quartier, mais aussi tous les hood de la ville ainsi que leurs jeunes. Sa réalité, comme celle de beaucoup d’autres, c’était « des parents absents et un vide qu’il fallait combler », écrit-il dans C'est pas la fin du hood.
« Garder ça et rester clean », même si c’est difficile, c’est le message que Versatol adresse à tous ceux et celles qui sont confrontés au monde de la rue. Il termine d’ailleurs la chanson des Messagers Converse par un message d’espoir, dans lequel il dit que « derrière, le hood est blessé ; derrière, avec un papier et un crayon, on peut exprimer notre passion ».
C’est en rigolant avec son groupe d’amis lorsqu’il était au secondaire que SMG (Samuel de son prénom) a touché au rap pour la première fois. Il était alors loin de se douter que ces rigolades entre amis allaient le pousser beaucoup plus loin.
SMG a grandi seul avec son grand-père sur la Rive-Sud. Ses parents n’ont pas pu l’élever, nous confie-t-il à cœur ouvert. « Ma mère a eu un accident très jeune, et mon père était impliqué dans des problèmes liés à la rue », explique-t-il.
Très jeune, il devient un « mauvais garçon », selon ses mots. « Problèmes avec la justice, beaucoup de changements d’école, etc., énumère-t-il. J’ai souvent eu à me faire de nouveaux amis, ce qui fait que je me suis retrouvé seul un paquet de fois. » Il indique toutefois que, lorsqu’il a commencé le rap, il a eu droit à beaucoup de soutien de la part de son entourage.
« Il y a quelques mois, l’un de mes amis est décédé. Ça nous a tous secoués, dit-il en parlant de ses amis. C’était quelqu’un qui m’appuyait à fond dans le rap, mais aussi dans tout en général. » Ses réussites et ses bons moments, il les vivait avec lui. Tout était partagé. « On m’a enlevé ça, c’est quelque chose que je ne peux plus vivre avec lui », dit-il avec tristesse.
Son ami a tragiquement perdu la vie dans des circonstances liées à la violence armée. Il souhaite ainsi faire passer un message important à la jeunesse de sa ville, mais aussi à ceux qui ont pour mandat de les protéger. « J’ai réalisé que n’importe qui peut se faire tuer bêtement. De bonnes personnes qui ne méritent pas la mort perdent la vie en un claquement de doigts. Mais on est dans la réalité, et on doit en tirer les leçons ; c’est ce que j’essaie de faire avec ma musique », explique-t-il.
« Laisser tomber l’environnement dangereux de la rue et se concentrer sur ses rêves » : tels sont les sages paroles de SMG. Pouvoir vivre est un privilège, estime-t-il. « Si tu as une vie, tu dois avoir un rêve et tout faire pour le réaliser. Il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard pour regretter – que ça soit la prison ou la mort », termine-t-il d’un ton ferme.
Originaire du Bangladesh, YBB Wit Da Heat (YBB pour les intimes) est un fervent amoureux du rap. Les années où il a grandi dans le quartier Ahuntsic, dans le nord de la ville, ont forgé sa personnalité et lui ont permis d’avoir un regard honnête sur la réalité de la rue dans la métropole.
« Je fais de la musique depuis l’époque de la pandémie », dit-il d’emblée. Ce qui lui a donné la piqûre, nous raconte-t-il, c’est d’assister à une session en studio avec des amis de son plus vieux frère. « C’était très le fun d’écrire des textes. J’avais seulement 12 ou 13 ans quand j’allais au studio les premières fois, j’étais fasciné par ça. Je savais que je devais essayer de faire de la musique par moi-même », se rappelle-t-il.
Plus jeune, YBB ne voyait pas souvent son père. « Il travaillait beaucoup, je ne le voyais qu’une seule journée par semaine. Voir combien il avait sacrifié pour sa famille, surtout pour ses enfants, ça m’a beaucoup motivé à travailler aussi fort une fois plus vieux », raconte-t-il.
Le jeune homme de 19 ans a passé une grande partie de sa jeunesse avec ses frères les plus vieux. « J’ai beaucoup traîné avec des plus vieux que moi, ils m’ont appris beaucoup de choses, bonnes et mauvaises… » dit-il. Ahnaf a l’impression qu’à force de fréquenter « les anciens du hood », il est devenu mature plus rapidement que les jeunes de son âge.
L’une des problématiques dont YBB parle dans ses chansons, c’est celle de la différence qui existe entre la génération de ses parents et la sienne, surtout dans les familles immigrantes. « Je vois beaucoup de jeunes de mon âge mentir à leurs parents, profiter du fait qu’ils ne parlent pas bien la langue ou ne savent pas comment le système d’ici fonctionne… Je pense que c’est une occasion pour nous de créer des liens avec les autres et on la jette à l’eau », explique-t-il.
Pour lui, tout ça est lié à la question de l’identité, qui est très floue pour beaucoup de jeunes Montréalais issus de l’immigration. « J’essaie de montrer comment certains tentent de projeter une image fausse d’eux, et quelles sont les conséquences de ça pour les plus jeunes », expose-t-il en parlant des problèmes qu’il constate dans son entourage.
Ahnaf pense que le plus important chez les jeunes, c’est l’influence. « Il ne faut pas se laisser influencer, il faut plutôt s’inspirer de ce qu’on voit », déclare-t-il finalement. Le jugement des jeunes est inspiré de ce qu’ils voient et entendent, et c’est pour cette raison que YBB a décidé de prendre la parole et de rapper dans C’est pas la fin du hood.
Exprimer la réalité du hood par la chanson
Violence armée, mauvaise influence, consommation de drogue… À lire les grandes lignes, il est facile de tomber dans une vision stigmatisée du hood et de ce qu’il représente. Mais pour nos cinq MC, C'est pas la fin du hood est un hymne à l’espoir. C’est une promesse de réussite pour les jeunes qui viennent des quartiers que l’on a tendance à oublier ou, pire, à juger de manière négative.
Ainsi, Genki, The Developer, BigJ Chérubin, Versatol, SMG et YBB Wit Da Heat sont de jeunes rappeurs engagés dans leur communauté, mais également des membres précieux de leur quartier et de la ville. Par leur capacité à utiliser l’art du rap et de la musique pour décrire les principales préoccupations qui tourmentent les leurs, ils constituent de véritables ambassadeurs du hood.