Élections municipales – les propositions des personnes en situation d’itinérance
Jean-Christophe, Montréalais vivant l’itinérance, partage son regard sur la crise du logement et de l’itinérance. Crédit photo: Charline Caro
24/10/2025

Élections municipales – les propositions des personnes en situation d’itinérance

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Alors que la campagne en vue des élections municipales bat son plein, les candidats à la mairie de Montréal présentent leur programme de lutte contre la crise de l’itinérance, qu’ils jugent « urgente » et « prioritaire ». Qu’en pensent les personnes concernées ?

« Merveilleux ! » En arrivant dans la cafétéria de la Mission Old Brewery, Jean-Christophe est très enthousiaste à l’idée de parler des élections municipales. « Je vais en avoir, des choses à dire là-dessus ! » se réjouit-il.

Comme pour marquer l’occasion, il porte une veste de costume par-dessus son sweatshirt. Il affiche un grand sourire dans sa barbe, et ses yeux verts pétillent d’excitation. Un café à la main, il s’assoit à la table, s’excusant de son léger retard.

Jean-Christophe est un Montréalais de 35 ans en situation d’itinérance depuis décembre dernier, « à la suite d’une séparation ». Après avoir été hébergé quelque temps par une connaissance, il est arrivé en septembre à la Mission Old Brewery, un organisme qui accompagne les personnes en situation ou à risque d’itinérance.

Jean-Christophe enchaîne tout de suite sur les élections municipales, l’objet principal de notre rencontre, à laquelle il s’est préparé la veille. « Je suis pas mal au courant de tout ça », nous dit-il sur fond de bruit de machine à café. « Je lis le Journal de Montréal et La Presse tous les jours », confie-t-il avec entrain, ainsi que « les plateformes des candidats ». Jean-Christophe s’informe par intérêt, mais aussi pour connaître ce que les candidats à la mairie de Montréal proposent pour faire face à la crise de l’itinérance.

Pour lui, les responsables politiques n’en font pas assez contre ce qu’il juge être une « crise énorme ». « Elles sont où, les actions ? » s’interroge-t-il, plaçant ses mains dans les airs. « Ils disent qu’ils ont investi de l’argent, mais ils l’ont mis où ? La situation est toujours aussi grave », regrette-t-il. Jean-Christophe a beaucoup d’attentes envers les aspirants maires et espère qu’ils placeront l’itinérance au sommet de leur « liste de priorités ».

« Je n’ai pas l’impression que les candidats parlent vraiment d’itinérance, ils sont plutôt occupés à se chicaner sur Facebook », fustige pour sa part Vicky, que nous rencontrons dans son appartement à Saint-Henri. Elle nous reçoit toute de beige vêtue et porte de grandes lunettes, derrière lesquelles on aperçoit ses yeux bleus. Mère de quatre enfants, elle a été en situation d’itinérance « pendant trois ans intensifs » et a eu des problèmes de dépendance à la drogue.

Elle vit aujourd’hui avec son jeune fils dans un logement social et travaille en tant que cuisinière dans un collège. Assise sur son canapé, elle surveille d’un œil son fils qui joue dans le salon, tout en revenant sur la situation de l’itinérance à Montréal et les attentes qu’elle place dans les élections.

Priorité au logement

« Quelque chose dont on a absolument besoin, ce sont des logements », déclare Jean-Christophe d’un air grave. « On a beau vouloir sortir les personnes itinérantes de la rue, s’il n’y pas de logement, elle est où la solution ? », s’exclame-t-il.

Pour les personnes rencontrées, les budgets alloués à l’itinérance doivent être investis en priorité dans les logements transitoires et sociaux. « Moi c’est ça qui m’a aidée », raconte Vicky, qui a passé plusieurs années dans un logement transitoire, le temps de « soigner [sa] santé mentale », « de travailler sur [sa] toxicomanie » et « d’entamer des démarches pour trouver un travail ». Il est selon elle indispensable d’avoir un logement transitoire pour « trouver le temps de chercher des ressources ».

Il y a aussi les logements sociaux, rappelle-t-elle ensuite, notamment pour les personnes à faible revenu ou qui sortent de l’itinérance. « C’est pas vrai que les personnes avec un salaire minimum s’en sortent », appuie-t-elle, d’autant plus dans un contexte où « les logements à Montréal sont très chers ».

Itinérance et espace public

La place des personnes itinérantes dans l’espace public est parfois remise en question dans des discours politiques et médiatiques qui mettent de l’avant la sécurité et la tranquillité des résidents. Au printemps dernier, la Société de transport de Montréal (STM) avait interdit le flânage dans le métro pour atténuer un sentiment d’insécurité grandissant des usagers. 

Pour Vicky, il faut « laisser faire » les personnes sans-abri, qui sont « majeures et vaccinées ». Elle admet toutefois que certains comportements ne sont pas sécuritaires, notamment lorsqu’il est question de consommation de drogue. « J’encourage mon fils à dire bonjour aux personnes itinérantes, mais je ne veux pas qu’il voie des situations en lien avec la drogue », soutient-elle. Elle ajoute que, sur le plan personnel, être confrontée à des scènes de consommation dans la rue « met en danger [sa] sobriété ».

Jean-Christophe estime pour sa part que les personnes itinérantes « n’ont rien de dangereux », bien que certaines puissent traverser des crises. « Tu sais, ce sont des êtres humains comme tout le monde », rappelle-t-il. En ce qui concerne les résidents qui veulent préserver leur « tranquillité », Jean-Christophe estime que la solution est d’offrir des ressources aux personnes itinérantes, plutôt que de « juste les tasser de ces quartiers ».

Les plateformes des candidats

Les candidats à la mairie de Montréal considèrent la crise de l’itinérance tantôt comme une « priorité », tantôt comme une « urgence ». Que proposent-ils pour y faire face ?

Projet Montréal – et son candidat à la mairie Luc Rabouin – veut aménager 500 unités modulaires et 500 logements transitoires pour les personnes en situation de vulnérabilité. Le parti entend également doubler le financement des organismes communautaires en itinérance.

Ensemble Montréal – le parti de Soraya Martinez Ferrada – promet de développer 2 000 logements de transition et permanents, en plus de créer des « petits refuges » un peu partout dans la métropole. Le budget alloué à la lutte contre l’itinérance serait ensuite triplé et représenterait une enveloppe de 30 M$ par année. Le parti souhaite également mettre fin à la présence de tentes dans les rues de Montréal et assurer une cohabitation « harmonieuse » et « sécuritaire » des personnes itinérantes avec les riverains.

Transition Montréal – le parti de Craig Sauvé – s’engage quant à lui à déclarer l’état d’urgence afin de pouvoir réquisitionner des hôtels et des bâtiments vacants dans le but d’offrir de l’hébergement temporaire pendant l’hiver aux personnes en situation d’itinérance. Le parti veut ensuite interdire le démantèlement des campements et l’accès de la police à ces lieux, en plus d’y mettre en place des services communautaires et sociaux. L’administration Sauvé triplerait enfin le financement des organismes communautaires en itinérance.

Action Montréal – parti mené par Gilbert Thibodeau – propose de mieux coordonner les organismes entre eux et d’utiliser des lieux de culte comme refuges temporaires.

Écouter les personnes itinérantes 

« S’ils respectent vraiment leurs programmes, peut-être qu’on va commencer à voir la lumière au bout du tunnel », espère Jean-Christophe. Ce dernier juge plusieurs propositions « intéressantes », comme le fait d’investir 30 M$ par année dans la lutte contre l’itinérance. À la condition que « l’argent aille à la bonne place », avertit le trentenaire.

Vicky accueille favorablement la proposition de ne pas démanteler les campements. « Je dirais plus qu’il faut les tolérer, plutôt que les encourager », nuance-t-elle, sans oublier de développer des ressources d’aide en parallèle.

Au-delà des programmes, Vicky et Jean-Christophe rappellent l’importance d’écouter les personnes concernées. « C’est bien de parler d’itinérance, mais c’est important aussi de parler avec des personnes itinérantes », plaide le pensionnaire de la Mission Old Brewery. « Invite-les à ton conseil municipal et écoute leurs idées », propose-t-il aux futurs élus, qui pourront, à ce moment-là seulement, se rendre compte « des vrais enjeux ».

« Je pense que les solutions, ça vient de nous », affirme Vicky, qui aimerait faire part de ses nombreuses suggestions aux élus municipaux.

Un besoin d’accompagnement 

Avant de logement, nuance Vicky, les personnes itinérantes ont « besoin de soins ». La mère de famille plaide pour un meilleur accès aux services de santé mentale et de toxicomanie, une étape essentielle selon elle pour « se sortir de la rue ». « Moi, ça va faire cinq ans que je ne consomme plus », nous confie-t-elle, une pointe de fierté dans la voix. Mais le chemin vers la sobriété a été difficile, et l’est encore, comme elle nous l’explique.

Alors que le démantèlement des campements de personnes sans-abri alimente régulièrement le débat politique, Jean-Christophe estime que ce n’est pas l’enjeu principal. Ce qui compte, dit-il, c’est l’accompagnement qui est offert en dehors de ces campements. « Si vous envoyez ces personnes dans un logement sans résoudre leurs problèmes de dépendance, il y a 50 % de chances pour qu’elles se retrouvent de nouveau bientôt dans un campement », relate-t-il. Les responsables politiques doivent tenir compte de la longueur du processus qui est nécessaire pour sortir de la rue, soutient Jean-Christophe. Ils doivent, par conséquent, mettre « l’argent dans les ressources nécessaires ».

Au-delà de l’accompagnement disponible, Vicky rappelle qu’on ne peut pas obliger quelqu’un à sortir de l’itinérance. « Si la personne n’en a pas la volonté, ça ne marchera pas, témoigne-t-elle. Je suis sortie plusieurs fois de la rue et de la consommation avant d’y retourner, parce que je n’étais pas prête mentalement. »

Face aux discours qui veulent résoudre à tout prix la crise de l’itinérance, Vicky nuance : « On voudrait que tout le monde s’en sorte, mais ce n’est pas toujours possible. Je sais que c’est plate ce que je dis. »

De la peur et beaucoup d’espoir

Dans tous les cas, le prochain maire ou la prochaine mairesse de Montréal « aura une méchante job à faire ! » s’exclame Vicky. Même si elle n’a pas encore vu de « politiciens qui aient vraiment fait un changement », elle espère que les « nouveaux visages » de la politique municipale feront une différence dans la lutte contre la crise de l’itinérance. « Je suis comme ça dans la vie, j’essaie toujours de croire en quelqu’un », ajoute-t-elle dans un sourire.

« Si je pouvais m’adresser aux candidats, je leur demanderais de respecter leurs promesses électorales », confie Jean-Christophe. « Sur quatre ans, si tu investis autant que tu le promets, c’est sûr que ça peut changer quelque chose. »

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