Pour plusieurs jeunes Montréalais issus de différentes diasporas, les mois de juillet et d’août provoquent une certaine nostalgie. Pour plusieurs, c’est l’occasion de retourner dans leur pays d’origine, auprès de leur famille. C’est de cette réalité que provient la thématique du dialogue.
Le studio de La Converse est baigné d’une lumière tamisée. Les chaises disposées autour de la table de bois rappellent une soirée que des amies peuvent passer à discuter dans une salle à manger. Les conversations débutent doucement, des rires éclatent par moments. Les participantes arrivent petit à petit, se saluent timidement et prennent place. Pour cette édition de notre soirée dialogue, quelques curieux sont présents à titre de public.
Il est 18 h 30 quand tout le monde prend place. Les micros sont installés en mode balado, ce qui permet à chacune de partager ses expériences dans une conversation naturelle.
Retourner au pays : entre retrouvailles et distance
Julie est la première à se lancer. Elle est née à Montréal de parents vietnamiens. Elle parle avec assurance et fermeté, mais son ton s’adoucit quand elle évoque le Vietnam. « Avant, je disais que j’allais en voyage. Maintenant, je dis que je retourne à la maison voir la famille », raconte-t-elle en souriant. Ses retours au pays sont devenus un ancrage : « Plus j’y vais, plus mes liens se solidifient. »
À ses côtés, Ioana se redresse. Elle est arrivée de Roumanie à l’âge de quatre ans. Son premier retour, huit ans après son arrivée, l’a marquée : « Pendant tout ce temps, je me suis construit une idée du pays à travers les histoires de mes parents. En y allant enfin, j’ai pu me faire ma propre opinion. » Mais elle a aussi constaté un décalage. « Pour mes parents, l’identité roumaine est liée au communisme. Pour les gens là-bas, aujourd’hui, ce n’est plus ça », explique-t-elle.
Tian enchaîne. Elle est née en Chine. « Quand j’étais petite, je demandais toujours à mes parents : “Quand est-ce qu’on retourne ?” » dit-elle avec un petit rire. Mais avec les années, son rapport à l’égard de la Chine a changé. « Maintenant, je me sens comme en visite là-bas. Le Canada est devenu ma maison », affirme la jeune femme.
Imen prend ensuite la parole : « Je ne suis retournée en Algérie qu’une seule fois depuis que j’ai immigré », dit-elle. Sa voix tremble légèrement. « Revoir ma famille m’a apporté du réconfort, mais aussi beaucoup de tristesse. On réalise ce qu’on a perdu. Les visages changent, les enfants grandissent… et nous aussi. » Julie, touchée par son témoignage, acquiesce. Elle ajoute doucement : « Je me demande parfois, si mes parents ne sont plus là, quel sera mon lien avec le Vietnam. »
Être de « là-bas » sans y avoir grandi
Solemani, qui est née en Belgique et est d’origine congolaise, prend ensuite le relais. Elle n’a jamais mis les pieds au Congo, même si elle a tenté d’y aller à plusieurs reprises. « Je suis très chauviniste quand il s’agit de mon pays : pour moi, le Congo, c’est le meilleur pays au monde ! » Elle rit, mais son ton se fait ensuite plus sérieux. « Ici, quand je rencontre des Congolais qui ont grandi là-bas, on me rappelle souvent que je ne suis pas une “vraie” », témoigne-t-elle. Aujourd’hui, c’est par le biais de ses études en sociologie qu’elle tente de se rapprocher de ses racines. Ses sujets de recherche sont souvent liés à la culture congolaise.
Peu à peu, la conversation glisse vers la langue. Imen explique qu’elle a « une personnalité différente selon la langue » qu’elle parle. Julie, elle, se surprend parfois à comprendre les fautes qu’elle fait en français : « Je me rends compte que ça vient du vietnamien. La langue structure notre manière de voir le monde. »
Et si l’on ne pouvait plus y retourner ?
Puis une question surgit : que deviendrait ce lien si une pandémie les empêchait de retourner dans leur pays d’origine pendant 20 ans ?
Imen croit que l’identité résisterait grâce aux réseaux sociaux, à la musique, à la nourriture, aux éléments culturels avec lesquels elle continuerait à être en contact. Solemani apporte une nuance : « Même sans internet, le Congo coule dans mes veines. Même si c’est vrai qu’on perd les mises à jour, la culture continue à évoluer sans nous. » Ioana prend un ton plus posé : « À court terme, l’identité tient. Mais sur plusieurs générations, elle se transforme. Ça devient un mélange, une nouvelle culture. »
Dans le cercle, chacun semble réfléchir à ce que signifie grandir dans une pluralité d’identités. Solemani résume ce que toutes expriment : « On n’est ni l’un ni l’autre, on est un mélange des deux. »
Des sourires apparaissent, les hochements de tête se multiplient. La soirée se conclut dans une atmosphère chaleureuse. Au bout d’une heure et demie, les discussions s’éteignent doucement, laissant place à une période de questions amorcée par des membres du petit public. L’été, c’est fait pour jouer, mais pour certains, les vacances éveillent les réflexions sur l’identité. Les conversations se poursuivent tranquillement, alors que les micros et les caméras s’éteignent. Les participantes et le public semblent avoir encore des choses à se dire.
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