Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
Recevez notre infolettre chaque semaine pour Découvrir le «making-of» de nos reportages!
Un problème est survenu lors de l'envoi.
Contact
Honorer la tradition et la souveraineté : Quelques-uns votent, beaucoup ne votent pas à Kanehsatà:ke
Gordie Okie. Photo : Spencer Turcotte
21/4/2025

Honorer la tradition et la souveraineté : Quelques-uns votent, beaucoup ne votent pas à Kanehsatà:ke

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
Soutenez ce travail
Note de transparence

Kanehsatà:ke, une communauté kanien'kehá:ka (mohawk) située sur la rive du lac des Deux Montagnes, à 50 km à l'ouest de Montréal, est reconnue pour faire preuve de résistance politique. 

Un grand nombre de Québécois connaissent Kanehsatà:ke à cause de la résistance de Kanesatake – plus communément appelée la crise d'Oka – où en 1990, les membres de la communauté se sont opposés à l'expansion d'un terrain de golf sur leurs territoires non cédés, qui comprenait notamment un cimetière. Au terme d'un affrontement de 78 jours entre les défenseurs des terres Kanien'kehá:ka, la police québécoise, la GRC et l'armée canadienne, le projet d'agrandissement du terrain de golf a été annulé, mais les terres n'ont pas été rendues à la communauté : elles ont été achetées par le gouvernement fédéral. Aujourd'hui encore, la propriété du terrain fait l'objet d'un litige entre la ville voisine d'Oka, Kanehsatà:ke et le gouvernement fédéral.

À l'heure actuelle, cette communauté continue de s'engager politiquement ; les élections au conseil de bande sont toujours très animées. Mais, à l'instar de leurs compatriotes mohawks de Kahnawà:ke, beaucoup d'entre eux ne votent pas aux élections fédérales canadiennes. Les habitants de Kanehsatà:ke représentent environ 2 750 personnes sur les 100 600 habitants de Mirabel, leur circonscription électorale.

 

« Nous ne participons pas au vote de la société blanche »

L’aîné, Gordie Oke, suit de près la politique canadienne et américaine. Cependant, il ne votera pas lors des élections fédérales. « En tant que peuple mohawk, nous ne participons pas au vote de la société blanche, car elle n'a pas tenu ses promesses tout au long de son histoire », explique-t-il. 

S'adressant aux Canadiens non autochtones, désireux de savoir pourquoi les Mohawks ne votent pas, Gordie Oke déclare : « Nous sommes différents de vous, mais nous faisons partie de la société. N'oubliez pas que vous êtes les envahisseurs de notre terre, et que les gouvernements, la religion, les tribunaux nous ont toujours lésés. Je ne veux donc pas participer à cela. »

Selon lui, les promesses politiques futures, comme la restitution des terres, ou les éventuelles menaces politiques à l'encontre des droits des autochtones ne l'incitent pas à aller voter. « Leurs paroles ne sont que des paroles.... Les gouvernements n'ont que des mots à la bouche. [Ils disent] qu'un programme sera mis en place, qu'il coûtera 20 millions de dollars, mais qu'il s'étalera sur dix ans. Puis le gouvernement suivant arrive et peut tout changer. Il n'y a pas d'espoir. Peut-être qu'un jour il y en aura. Mais pour l'instant, c'est assez difficile », confie Gordie Oke. 

L'aîné ne méprise pas les Mohawks qui choisissent de voter, mais ce n'est pas quelque chose qu'il envisage de faire de sitôt. « Les Mohawks de l'île de la Tortue ne sont pas nombreux à voter. Certains le font. C'est très bien. C'est un choix individuel et j'y crois. Exercez vos droits si vous le souhaitez. Mais pour beaucoup d'entre nous, nous préférons ne pas le faire. C'est aussi simple que cela. »

« Le gouvernement fédéral est le fiduciaire et nous en sommes les bénéficiaires »

Serge Simon. Photo : Spencer Turcotte

Serge Simon, chef du Conseil Mohawk de Kanesatake, a voté lors des dernières élections fédérales. « Dans notre cas, en raison de nos traités, la Couronne britannique est le garant, le gouvernement fédéral est le fiduciaire et nous sommes les bénéficiaires de cette fiducie. Bien entendu, dans toute fiducie, j'ai mon mot à dire sur la personne qui va administrer mes prestations. Je me limite à ça en votant à l'élection », précise-t-il. 

Il respecte, dit-il, l'opinion des gens qui ne votent pas, mais pense qu'il est important de voir le lien entre le gouvernement fédéral et ce qui se passe sur le territoire. Il envisage de voter lors de cette élection après avoir constaté que le gouvernement fédéral peut à la fois nuire à sa communauté, et l'aider. Les négligences provinciales et fédérales, ainsi qu’une poignée de résidents de Kanehsatà:ke, ont laissé les terres de Kanehsatà:ke contaminées par le déversement illégal de substances toxiques dans un « centre de recyclage » (G&R Recycling) pendant près d'une décennie

Bien que de nombreux habitants de Kanehsatà:ke aient tiré la sonnette d'alarme, le gouvernement provincial n'a révoqué le permis d'exploitation de la décharge qu'après une enquête menée en 2020 par The Rover, Ricochet Media et The Eastern Door. Le gouvernement fédéral a accordé à la communauté 3,5 millions de dollars pour récupérer le terrain, et une injonction provinciale a mis fin à la décharge illégale.

« Il faut que les gens comprennent que ce qui se passe à Kanehsatà:ke, qu'il s'agisse de crime organisé, de déversement ou de tout autre problème, est directement lié à la négligence du gouvernement fédéral, ajoute Serge Simon. Si nous avions eu les ressources nécessaires, cela ne serait pas arrivé ou aurait été minimisé très rapidement. C'est la volonté de la Couronne, et non celle du Conseil ou de quiconque. On aime pointer du doigt le Conseil, mais en réalité, c'est comme blâmer un diabétique pour son diabète », explique-t-il.

Serge Simon envisage de voter lors de ces élections pour éviter un gouvernement conservateur. En 2012, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a affaibli la loi sur la protection de l'environnement et la loi sur l'évaluation environnementale. Il craint que Pierre Poilievre ne poursuive le démantèlement des mesures fédérales de protection de l'environnement et n'augmente la production de pétrole et de gaz

« Ces gars-là ne pensent qu’au pétrole et au gaz. Ils travaillent clairement pour l'industrie énergétique. Ils ne se soucient pas vraiment du reste. Ils font semblant, mais je ne fais pas confiance à Poilievre. Lui, c’est qu'une autre version de Harper, peut-être même pire. L'environnement a besoin d'être protégé. Les conservateurs ne sont certainement pas le parti pour ça », affirme-t-il.

« Nous nous éloignerions de notre propre nation »

Katsi'tén:hawe Linda David Cree. Photo : Spencer Turcotte

Katsi'tén:hawe Linda David Cree, voit les choses différemment. Katsi'tén:hawe est coordinatrice des programmes d'études pour la Mohawk Language Custodian Association, une organisation à but non lucratif dont le mandat est de revitaliser la culture et la langue kanien'kéha (mohawk).

« Cela remonte à loin : mes parents et mes grands-parents ne votaient pas. Étant traditionnels, élevés dans la tradition, nous pensons que nous nous éloignerions de notre propre nation [en votant], et qu'être en faveur de la souveraineté [voter] m'empêcherait d'être ce que je suis, c'est-à-dire Haudenosaunee, la Confédération des Six Nations », explique-t-elle. 

« Certains disent que si l'on a une carte de statut canadien, cela fait de nous un Canadien.

Mais je ne vois pas les choses de cette façon, car d'une certaine manière, on est contraint de le reconnaître pour pouvoir bénéficier des services offerts à tous », poursuit-elle. 

Les idées politiques de Katsi'tén:hawe visent également à raviver le mode de vie traditionnel des Mohawks, à savoir le gouvernement de la maison longue, où les dirigeants sont choisis par les mères de clan.

« C'est aux mères de clan de s'assurer que leurs choix [de représentants] sont bons. Elles sont censées surveiller les jeunes au fur et à mesure qu'ils grandissent. Il faut des orateurs compétents, un grand cœur, un bon esprit et une grande gentillesse. On souhaite que le meilleur soit le porte-parole de sa communauté », explique-t-elle. 

Dans le même ordre d'idées, Katsi'tén:hawe ne vote pas non plus aux élections du conseil de bande. « C'est un organe du gouvernement fédéral. Il a été imposé dans les années 1880. Nous ne l'avons pas demandé. On nous l'a imposé. Ils ont même tué un chef d'Akwesasne [Jake Ice-Saiowisakeron] pour mettre en place le système électoral. Ce système a été imposé pour se débarrasser des chefs traditionnels. »

La fidélité de Katsi'tén:hawe à la tradition lui a valu quelques embûches : elle refuse, par exemple, d'obtenir un passeport. Cependant, elle ne voudrait pas qu'il en soit autrement. « J'ai vraiment essayé toute ma vie, avec mon mari, de suivre cette voie très stricte. Nous nous sommes mariés dans la maison longue avec nos chefs des trois communautés. Nous avons nommé nos enfants dans la maison longue », dit-elle.

Elle le répète : « J'aime la position que j'ai adoptée tout au long de ma vie. J'honore mes parents pour cette raison. Et je ne choisirais pas une autre vie, même si cela a été très difficile ».

LES CANDIDATS DANS LA CIRCONSCRIPTION MIRABEL

La Converse a demandé aux candidats de la circonscription Mirabel ce qu’ils prévoient de mettre en place pour encourager les citoyens de Kahnesatà:ke à voter, et ce qu’ils promettent de faire pour servir la communauté s’ils sont élus. Voici leurs réponses.

  • Robert Fleming (Parti libéral) : M. Fleming a dit qu’il planifie d'aller à la rencontre de la communauté de Kahnesatà:ke dans les prochaines semaines. « Si j’ai l’honneur d’être élu, mon engagement ne s’arrêtera pas le soir du 28 avril. Je m’engage à maintenir un dialogue ouvert et continu avec la Nation mohawk, qui fait partie intégrante de la circonscription de Mirabel. Ma porte leur restera toujours ouverte. »
  • Mario Guay (Parti vert) : « Je suis très impliqué dans le dossier de Kanesatake pour les soutenir dans leurs défis avec le site G&R. Je suis motivé pour régler ce dossier, mais je ne le fais pas pour les votes. »

Albert Batten (NPD), Serge Dubord (Conservateur) et Jean-Denis Garon (Bloc Québécois) n’ont pas répondu à la demande de La Converse avant la publication.

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.