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Tempête de neige et mobilité réduite :  « En réalité, on ne pense jamais à nous ! »
Rue enneigée de Montréal
21/5/2025

Tempête de neige et mobilité réduite : « En réalité, on ne pense jamais à nous ! »

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

En février dernier, Montréal a connu une situation sans précédent. En trois jours, la ville a reçu près de 75 cm de neige, un phénomène exceptionnel qui n’avait pas été observé depuis les années 1950, selon Valérie Plante, la mairesse de Montréal. Ce record, résultat d’une série de fortes tempêtes, a figé les rues de la métropole. Mais l’épaisse couverture neigeuse a aussi révélé de profondes inégalités entre les habitants. 

25 février. Alors que la noirceur tombe sur les rues de Montréal, le son des déneigeuses et le bruit de la faible pluie se font entendre. L’atmosphère est apaisée par la douce fonte de la neige accumulée lors des deux dernières tempêtes glaciales. Des chemins ont été creusés dans les rues et sur les trottoirs de Montréal récemment ensevelis. Les gens exhibent gaiement leur visage après plusieurs jours cachés au chaud... Mais pour certains, le soulagement est en demi-teinte. 

Alors que nous parcourons les rues de Montréal pour évaluer la situation, une dame marchant avec une canne nous arrête. Elle nous demande si le chemin que nous venons d’emprunter est sécuritaire. Si elle tombe, dit-elle, elle ne se relèvera peut-être pas. Comme elle, de nombreux Montréalais se déplacent avec difficulté.

Neige après neige, des chez-soi qui s’effritent

1er mars. Nemours, 86 ans, habite en périphérie d’Ahuntsic. Il a des yeux doux, marqués par le temps, un sourire bienveillant et des cheveux poivre et sel. À la retraite, il trouve son équilibre dans de longues marches quotidiennes et des périodes de recueillement à l’église. Ces habitudes simples rythment sa vie, lui offrent des journées tranquilles. Mais au cours des dernières semaines, son mode de vie bien rodé a été perturbé.

« Ces tempêtes m’ont beaucoup dérangé. Ma routine journalière n’était plus la même. Mes activités ont été immobilisées, témoigne-t-il d’une voix calme, mais contrariée. Je n’ai pas pu sortir de chez moi, sans assistance, avant que les trottoirs ne soient nettoyés. »

D’ordinaire, Nemours se rend à l’épicerie et à la pharmacie à pied. Mais cette fois, la neige et la glace rendent les sorties trop hasardeuses. Il dépend maintenant de ses consœurs de l’église pour se faire apporter à manger et ce qui lui est nécessaire. Il attend donc, isolé chez lui, que la ville retrouve un semblant d’accessibilité.

Nemours a tenté de déneiger lui-même son balcon et son stationnement. Après la première tempête, il a cherché de l’aide, mais en vain. Il a donc effectué le déneigement lui-même, au risque de se blesser, ce qui a fini par arriver, nous raconte-t-il. En tentant de soulever la neige, il s’est fait mal au dos. Ce n’est qu’après la deuxième tempête qu’il a finalement reçu de l’aide de ses enfants. 

Ces malheureux épisodes lui rappellent que l’entretien de sa maison, son refuge depuis son arrivée au Canada en 1974, devient un combat quotidien. Chaque tempête le pousse de plus en plus vers une idée qu’il évite depuis des années : quitter son foyer pour une résidence pour personnes âgées.

Coincés par la neige, privés de ressources essentielles

3 mars. De l’autre côté de la métropole, ces problèmes d’accessibilité sont identiques pour les personnes à mobilité réduite, comme Avi Karp, qui habite L’Île-Bizard. Représentant du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour les personnes en situation de handicap, il milite pour une société plus inclusive.

La voix gaie et le rire facile, il reconnaît d’emblée que les dernières tempêtes sont totalement inédites. Un bordel sans précédent et du jamais-vu, selon ses propres mots. Faute d’options, de main-d’œuvre suffisante et d’une planification adaptée, les rues et les trottoirs sont utilisés de manière inappropriée, ce qui entraîne des risques pour tous.

« Je suis correct pour marcher jusqu’à l’épicerie, si j’en ai vraiment besoin. Mais qu’en est-il des gens qui ne le peuvent pas ? Ceux qui sont en fauteuil roulant et sont coincés dans leur appartement, ceux qui sont à la retraite et qui n’ont pas beaucoup, voire pas d’argent à dépenser pour leurs besoins de base… Surtout avec le coût de la vie qui est si élevé. Je pense à ces gens. »

Avi dépend des banques alimentaires. Toutefois, avec la quantité de neige qui est tombée, aucune livraison de nourriture n’a eu lieu depuis des jours. Pour ceux qui, comme lui, dépendent de ces services et sont en situation d’invalidité, cela peut être très problématique, surtout s’ils habitent seuls ou n’ont pas de soutien.

3 mars. Sur le Plateau, où on pourrait croire que la situation est meilleure, la réalité n’est pas plus rose. Les stationnements pour personnes à mobilité réduite sont transformés en dépotoirs de neige pour libérer les parkings, et les rampes d’accessibilité sont ensevelies et oubliées sous la neige. Plusieurs Montréalais sont donc forcés de demeurer chez eux, en espérant disposer de suffisamment de ressources pour subvenir à leurs besoins.

C’est ce dont parle Allie Pauld, créatrice de contenu et activiste pour les personnes en situation de handicap, dans une de ses récentes vidéos éducatives publiées sur Instagram : « Beaucoup de personnes en situation de handicap risquent d’être confinées chez elles pendant des semaines, ce qui signifie devoir rationner leur nourriture et payer des prix exorbitants pour des livraisons indispensables. »

Pour ce qui est d’Allie, son père la prévient chaque fois qu’un épisode de température extrême est sur le point de survenir, ce qui lui permet de se préparer et de faire des provisions dans son appartement : nourriture, produits hygiéniques et tout ce qu’il faut pour tenir le coup. Ainsi, elle s’est réfugiée chez elle de la mi-février jusqu’à la fin du mois, en attendant que les tempêtes passent et que la ville redevienne enfin accessible.

Isolement forcé : quand l’accessibilité fait défaut

Mais qu’en est-il des personnes qui n’ont ni soutien ni proches pour les prévenir et les aider à se préparer à ces conditions extrêmes ?

Avi reconnaît qu’il est privilégié. Lorsque des personnes à mobilité réduite sont coincées chez elles, elles sont coupées de leurs proches, amis, familles, partenaires ou encore des organisations desquelles elles dépendent, rappelle-t-il. « Moi, j’ai des systèmes de soutien en personne, par téléphone, par internet... Des choses comme ça. Mais encore une fois, si tu es à la retraite ou si tu as un handicap, si tu as un revenu modeste, ces ressources sont parfois tout simplement inaccessibles.»

Neige, obstacles et indifférence : à qui la responsabilité ?

Allie souhaiterait quant à elle que les résidents de Montréal comprennent combien la question de l’accessibilité est cruciale.

C’est le troisième hiver qu’elle passe dans la métropole, et comme chaque année, c’est un combat. L’agent d’entretien de son immeuble prend soin de déneiger les escaliers et d’ouvrir un passage jusqu’au trottoir. La Ville, elle, s’occupe du déneigement du trottoir. Mais entre les deux, personne ne libère le passage entre la rampe d’accès et la bordure de route. L’agent d’entretien estime que cela incombe à la Ville, tandis que la Ville pense que c’est à l’agent d’entretien de s’en occuper. Allie se retrouve donc avec une rampe d’accès inaccessible et un fauteuil roulant coincé dans la neige. 

« Beaucoup considèrent ces aménagements comme des espaces en extra qu’ils peuvent utiliser quand ils en ont envie, pour leur amusement. En réalité, ils répondent à des besoins essentiels et ont été obtenus grâce aux efforts acharnés de ceux qui en ont absolument besoin », ajoute Allie, visiblement contrariée.

D’autres infrastructures importantes, comme les rampes d’accès dans les bus, ne peuvent être utilisées que si l’espace est dégagé. Trop souvent, les autorités ne prennent pas la peine de déneiger ces arrêts, ce qui les rend inutilisables pour les personnes utilisant un fauteuil roulant, comme Allie.

Ayant un accès limité, voire impossible, au transport public durant l’hiver, elle paie pourtant le plein tarif, comme tout le monde, pour sa carte OPUS. Les services ne sont pas adaptés à ses besoins, et personne ne semble assumer la responsabilité de ce manque d’inclusivité.

« Les gens pensent que, parce que nous sommes à mobilité réduite, nous ne sortons jamais par mauvais temps. Mais nous devons quand même aller faire des courses, acheter du shampooing, aller au travail, récupérer nos enfants à l’école… Nous avons les mêmes besoins et les mêmes responsabilités que tout le monde, sauf que nos besoins ne sont pas pris en compte. Au final, nous tombons dans les failles du système, où personne ne prend la responsabilité de nous soutenir. »

Le déneigement à Montréal : un service « extrêmement important pour les droits humains »

Selon Craig Sauvé, conseiller municipal dans l’arrondissement du Sud-Ouest depuis plus de 10 ans, la ville de Montréal a pratiquement frôlé l’état de catastrophe naturelle au cours des dernières tempêtes, et les gens doivent en tenir compte.

Il reconnaît les défis que pose le déneigement, mais souligne que des contraintes financières et logistiques limitent la capacité d’action de la Ville. 

« Lorsque nous effectuons des opérations régulières de déneigement pour des accumulations de 15 cm, cela coûte environ 25 M$ à la Ville de Montréal. Cela mobilise environ 3 000 employés, parfois même 3 500. Il y a environ 400 remorqueuses qui déplacent les voitures pour dégager les voies. C’est donc une opération très importante. Et la tempête que nous venons d’avoir était énorme », rappelle-t-il. 

À la question de savoir si la Ville a reçu des plaintes au sujet de l’accessibilité hivernale, il répond franchement et sans détour par l’affirmative.

Des groupes comme Ex aequo et le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ) sont en effet très préoccupés par le sujet. La Ville a reçu de groupes de pression des plaintes et des lettres au sujet de l’accessibilité saisonnière et générale, ce que M. Sauvé qualifie de pression saine et utile. « Elle pousse les responsables des travaux publics à rester vigilants et à améliorer leurs services. »

Les échanges de Craig Sauvé avec des aînés et des personnes à mobilité réduite ou ayant une vision diminuée lui ont permis de constater à quel point les rigueurs du climat peuvent affecter leur vie de manière significative en très peu de temps. 

« Il y a de la place pour beaucoup d’amélioration, concède-t-il. Le déneigement est un service de base extrêmement important pour les droits humains à Montréal. »

Des zones prioritaires ont désormais été ajoutées pour le déneigement, notamment devant les résidences pour personnes âgées, les hôpitaux, les cliniques, les espaces publics, les garderies, les écoles, les zones scolaires, les arrêts de bus et les artères principales. Ces priorités sont mises en place et s’améliorent, estime-t-il. 

Un problème systémique

Avec les événements du début de l’hiver, Allie espère que les dernières semaines agiront comme un signal d’alarme. « En réalité, on ne pense jamais à nous ! s’exclame-t-elle. Personne ne se charge de l’accessibilité, car tout le monde pense que c’est la tâche de quelqu’un d’autre. »

L’accessibilité ne se limite pas aux déplacements ou au transport en commun, elle est liée à tous les aspects de la vie quotidienne. « Quand les personnes à mobilité réduite expliquent qu’elles ne peuvent pas aller dans la plupart des cafés, vivre dans la plupart des appartements ou acheter une maison à cause du manque d’accessibilité, on nous répond que c’est notre corps qui ne fonctionne pas comme il le devrait, que c’est un problème personnel. Mais en réalité, c’est un véritable souci qui devrait être pris au sérieux et réglé. »

L’accessibilité ne devrait pas être un luxe, mais un droit fondamental, et Allie, Avi et Nemours insistent sur ce point durant nos conversations. Pour ces trois citoyens, il est inconcevable d’envisager comme une faveur ou une exception ce qui devrait être une norme. Ce n’est pas une question de confort ou de commodité, mais bien une question de dignité, d’autonomie et de liberté.

NB : Certaines de ces entrevues ont été traduites de l’anglais. 

Ressource utile sur le déneigement pour les personnes âgées et les personnes à mobilité réduite :

https://montreal.ca/programmes/aide-au-deneigement-pour-les-personnes-agees-et-les-personnes-mobilite-reduite

L’actualité à travers le dialogue.
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