Ce 5 mai 2025, près de 200 personnes se sont réunies au square Cabot pour la Journée de la robe rouge, l’occasion de rappeler au grand public le sort des femmes, des filles et des personnes 2LGBTQ+ autochtones disparues et assassinées au Canada. Dans la foule, les nombreuses pièces de vêtements rouges frappent l’œil. La journée est chargée en émotions, des larmes coulent sur certains visages.
L’événement est organisé par le Projet Iskweu, une initiative du Foyer pour femmes autochtones de Montréal. Des représentants de la communauté sont invités sur une scène en plein centre du square. Entre chants, musique de tambour, discours et témoignages, le moment est au recueillement.

Peine et colère
Dans la foule, nous rencontrons Jolie-Ann, de la nation anichinabée, une nation de l’Abitibi, près du lac Simon. Elle est vêtue d’une robe rouge, et une main est tracée à la peinture sur sa bouche. Elle évoque la perte de sa cousine, un drame non élucidé malgré les années : « On l’a retrouvée sur le bord de la route 117, à l’entrée de Val-d’Or. On n’a jamais retrouvé le coupable. Ça va faire 22 ans. »
« C’est le sentiment d’injustice qui m’amène ici – pour dénoncer la situation de ma famille, mais aussi pour toutes les familles qui vivent cette perte-là aujourd’hui », ajoute-t-elle.
Les femmes qui partagent leurs témoignages, sur scène ou entre elles, ont malheureusement l’habitude d’entendre ce genre de récits. Ces drames, elles les connaissent intimement. Selon le ministère canadien de la Justice, chaque année, le taux de féminicides chez les femmes et filles autochtones est de 4,5 à 7 fois plus élevé que chez les femmes allochtones. On compte également une surreprésentation des femmes autochtones dans les cas de disparitions non résolues.
Shara, une Mohawk d’Akwesasne, leur rend hommage en entonnant un chant sur scène. Un peu plus tard, elle nous expliquera, émue, avoir subi, comme ses deux sœurs, des violences sexuelles au cours de sa vie. « C’est pourquoi je fais tout ça, pour que mes enfants, mes nièces et mes neveux n’aient pas à vivre ça. »
Partager ses traumas, les exposer, « c’est une guérison, mais c’est aussi une colère », confie-t-elle.
Dans la foule, Nahomé, de la nation anichinabée algonquine, brandit une pancarte sur laquelle on peut lire, en anglais : « Ils l’ont réduite au silence. Je parle, je me bats et je me souviens en rouge. » Sur sa bouche, la même main tracée à la peinture. Elle nous déclame un poème qu’elle a écrit pour l’occasion. « Ce qu’il est important de retenir en cette journée, c’est qu’on est toujours ici. Il y a beaucoup de femmes qui sont enlevées et qui ne reviennent jamais à la maison. Aujourd’hui, c’est une journée pour se remémorer toutes ces femmes qui ont disparu. »

Toujours dans l’attente
Six ans se sont écoulés depuis le dépôt de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Mais les 231 appels à l’action du rapport d’enquête tardent à être mis en œuvre dans leur intégralité. Sur la scène du square Cabot, les discours évoquent la frustration provoquée par cette attente.
Du côté du gouvernement fédéral et de l’Assemblée des Premières Nations, on ne s’entend pas sur le nombre exact d’appels à l’action mis en œuvre depuis 2019. Pour la sénatrice et commissaire de l’ENFFADA Michèle Audette, l’instauration d’un poste d’ombudsman permettrait de suivre leur exécution.
« Certains appels vont voir le jour, mais pour moi, ce n’est pas systémique ; ils n’entrent pas dans le système. Alors ça, oui, ça fait mal. On dit que c’est une volonté politique, mais on n’en fait pas une priorité », s’indigne la sénatrice.
Si les recommandations de l’ENFFADA peinent à être toutes appliquées, Mme Audette constate toutefois certaines retombées positives de la commission d’enquête. « Ça ne va pas assez vite, mais il y a des endroits où ça bouge. Le milieu universitaire, par exemple. Beaucoup de cégeps vont m’appeler pour que j’aille parler de l’ENFFADA – c’est dans les curriculums, dans les cursus. Je trouve ça “wow” ! Et à la Cour suprême du Canada, c’est utilisé comme preuve, se réjouit-elle. Avec tout ça, on se dit que, peut-être que ça dort quelque part, que ça ne bouge pas assez, mais il y a une intelligence collective qui fait qu’on va puiser dans ce rapport des exemples ou de l’information qui est précieuse. »
Parmi les mesures prioritaires pour la sécurité des femmes, filles et personnes 2LGBTQ+ autochtones, elle plaide pour la mise en place à l’échelle du pays d’un système d’alerte destiné au grand public en cas de disparition. Déjà mise en œuvre au Manitoba, la procédure fonctionne sur le même mode que le système AMBER. Mme Audette ne manquera pas de rappeler son utilité au nouveau gouvernement fédéral, nous confie-t-elle.