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« Hood Heroes », épisode 20 : Jessey Charles, fondatrice d’un organisme de soutien aux mères monoparentales racisées
Interview avec Jessey Charles, fondatrice d’un organisme de soutien aux mères monoparentales racisées
9/5/2025

« Hood Heroes », épisode 20 : Jessey Charles, fondatrice d’un organisme de soutien aux mères monoparentales racisées

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

La fête des Mères provoque parfois un sentiment de solitude chez certaines de ces mamans. Conscient de l’isolement que peuvent vivre ces femmes durant leur maternité, l’organisme La Maison de Débora tend la main à de jeunes mères racisées. Fondé par Jessey Charles, infirmière et intervenante communautaire à Rivière-des-Prairies, l’organisme offre un refuge où la parole se libère, où la confiance renaît et où l’on apprend à se relever. Son objectif ? « Briser le cycle des traumatismes générationnels et permettre à ces femmes de passer de la survie à la vie. »

Rivière-des-Prairies, un jeudi matin chargé. Dans le petit bureau de Jessey Charles, les sacs de dons s’entassent et débordent jusque dans l’entrée. Manteaux d’enfants, bottes et vêtements soigneusement triés attendent leur prochaine destination. « On prépare un bazar pour les familles de Montréal-Nord, surtout pour les nouveaux arrivants. On récolte, on trie, on distribue », explique-t-elle, concentrée, derrière son téléphone qui vibre sans cesse. Parents, adolescents, jeunes mères – tous savent qu’ils peuvent compter sur elle.

À 41 ans, Jessey a une énergie débordante. Lunettes épaisses, boucles créoles et queue de cheval tirée en arrière, elle affiche un style résolument jeune. Plus qu’une intervenante, elle est infirmière de formation. Elle a passé plusieurs années dans des CLSC de Montréal avant de répondre à un appel plus profond : celui de l’intervention communautaire. « Parfois, je me dis que je me suis trompée de métier. J’aurais dû être travailleuse sociale », confie-t-elle.

Retrouver son identité au milieu de plusieurs intersectionnalités 

En 2014, Jessey fonde La Maison de Débora, un organisme qui soutient des mères monoparentales et racisées de 16 à 41 ans. Le nom qu’elle choisit n’est pas anodin : « Débora, dans la Bible, est une juge, une guerrière, une leader. Une figure de force. C’est ce que je souhaite pour ces femmes : qu’elles se relèvent et deviennent des piliers. »

Qu’elles soient enceintes ou jeunes mamans, ces femmes ont l’occasion d’être suivies pendant un an. Actuellement, La Maison de Débora vient en aide à une vingtaine d’entre elles. Certaines ont des suivis rapprochés, d’autres sont rencontrées de façon plus occasionnelle, explique Jessey. « Pendant longtemps, nous n’avons pas pu faire de suivis structurés à cause de diverses embûches », précise-t-elle. Elle évoque notamment un manque de fonds. L’organisme a obtenu récemment un financement qui lui permet enfin de poser des bases solides et de se structurer officiellement.

Grâce à La Maison de Débora, Jessey accompagne ces femmes au quotidien. « Dès lors qu’un besoin se manifeste, reprend-elle, on les écoute, on répond à tous leurs besoins immédiats et, au-delà de ça, on propose aussi des activités rassembleuses ; ça leur permet de s’épanouir. » 

Des ateliers de cuisine où on parle autant qu’on mange, des conférences, des sorties familiales, mais aussi des séances de thérapie en relation d’aide sont proposés. « Certaines ont été abusées, plusieurs vivent des traumatismes profonds. Être jeune, mère et racisée, c’est une intersectionnalité qui les isole davantage. Il faut leur donner l’occasion de retrouver leur identité », déclare-t-elle. 

Ce combat, Jessey le mène aussi en écho à sa propre vie. « Ma mère est tombée enceinte jeune. Elle n’a pas eu de soutien, et j’ai vu les conséquences qu’il y a eues sur sa vie personnelle. Elle a souffert, et moi aussi, par ricochet. » L’intervenante évoque avec douceur, mais franchise les blessures laissées par une mère aimante, mais devenue vulnérable à la suite d’une dépression. « Elle me rabaissait sans le vouloir. Elle m’aimait, mais la maladie fait dire des choses qu’on ne dirait jamais autrement… Donc, ça m’a encore plus consolidée dans ce désir de servir ces mamans-là », laisse-t-elle tomber. 

Alors, pour Jessey, aider ces jeunes mères, c’est également permettre à leurs enfants de mieux grandir. « Il faut qu’elles puissent guérir de leurs propres traumas pour ne pas les transmettre », conclut-elle. 

« Ça fait toute une différence quand une personne croit en toi ! »

Le mardi suivant notre première rencontre, il est 9 h du matin quand nous retrouvons Jessey dans un appartement baigné de lumière à Ahuntsic. Face à elle, concentrée, Jeanne Rosebertha St Fort, 28 ans et maman d’une fillette de 2 ans, manie pinceaux et anti-cerne avec douceur. Ce soir, Jessey animera un épisode du balado Le Tournant, et c’est cette maman, qu’elle accompagne depuis plusieurs mois, qui est chargée de sa mise en beauté.

« C’est grâce à La Maison de Débora que j’ai pu prendre cette voie au sérieux », confie Jeanne, visiblement intimidée, mais d’un ton assuré. Grâce à Jessey, elle a décroché son tout premier contrat rémunéré en tant que maquilleuse. Un contrat petit en apparence, mais qui lui a permis de rebâtir une confiance en elle qu’elle pensait avoir perdue.

« La Maison de Débora a été un pilier pour moi en tant que maman monoparentale, poursuit-elle. J’ai traversé des choses que j’ai longtemps banalisées. Des traumatismes que j’ai normalisés, comme si c’était normal. J’ai toujours connu la solitude, mais c’est vraiment en devenant mère que j’ai réalisé ce par quoi je suis passée. »

Elle marque une pause et dépose son pinceau. « Dans ma famille, j’ai toujours été le mouton noir. La rebelle. Mais ils ne savent pas ce que j’ai vécu. Ils ne savent pas ce que mon père disait, ce qu’il faisait. Il était violent avec ma mère, violent avec moi. Il y a des choses qu’on ne devrait jamais entendre de la bouche d’un parent… »

Le silence s’allonge quelques secondes, puis elle reprend son pinceau. « J’ai hâte de raconter mon histoire. Même si ça dérange. Parce qu’on ne devrait pas avoir à taire nos émotions pour ne pas heurter les autres. »

Car c’est bien en parlant que la jeune femme a commencé à guérir, reconnaît-elle. Elle se souvient de ce premier moment avec La Maison de Débora : une simple sortie aux pommes. « On était plusieurs mamans, ma fille et moi. Ce jour-là, j’ai compris que je n’étais pas seule. »

Depuis, les choses ont évolué. Lentement, mais sûrement. « C’est à ce moment-là que j’ai proposé mes prestations de maquillage à Jessey. Et à chaque rencontre, elle me parlait, elle m’écoutait, elle m’encourageait. Même quand je doutais, elle me disait : “Vas-y, je crois en toi.” Et honnêtement… ça fait toute une différence quand une personne croit en toi ! »

La jeune mère n’oubliera jamais cette main tendue. Elle n’oubliera pas non plus les moments les plus durs : « Quand je n’avais même pas de quoi acheter des couches, La Maison de Débora était là. Jessey est vraiment un soutien pour moi… »

« Il y a beaucoup de tabous dans la communauté noire » 

Jeanne lève les yeux, comme pour chercher ses mots dans un coin du plafond. Puis, elle reprend doucement : « Ma mère a vécu beaucoup de choses. Trop, même, et elle a appris à cacher ses émotions. Et moi, j’ai fait pareil. » 

Ses mains bougent légèrement, comme pour souligner l’intensité de ce qu’elle raconte. « Tout s’est accumulé au fil des années. Et puis, quand ma fille est née, ça a explosé. J’ai fait une dépression post-partum. C’était comme si tout ce que j’avais enterré me remontait au visage d’un coup. »

Jessey hoche la tête, elle prend la parole à son tour. « On le sait, dans la communauté noire, parler de certaines choses, c’est compliqué. L’inceste ainsi que l’abus physique ou psychologique sont perçus comme des choses qui n’affectent pas l’être humain. Pourtant, ça le fait. Mais on a peur du regard des autres, peur de salir le nom de la famille, peur d’être rejeté. Il y a tellement de non-dits, de secrets gardés pour protéger l’honneur. Mais à quel prix ? »

Elle poursuit : « Il y a beaucoup de biais dans notre culture. Quand tu ne vas pas bien mentalement ou émotionnellement, tu es perçue comme faible. Comme si la vulnérabilité était une honte. »

C’est cette mentalité-là que Jessey veut déconstruire en intervenant auprès de ces mamans. Elle insiste, tout en gardant les yeux fermés pour laisser la jeune femme lui maquiller les paupières. « Refouler ses émotions, c’est dangereux. Ce silence-là, il nous rend malades. Ce manque de vulnérabilité fait qu’on emmagasine nos émotions ; ça sort dans différentes maladies physiques et mentales », conclut-elle. 

« Il est temps qu’on brise ces silences. Il est temps qu’on arrête de survivre en silence », laisse-t-elle tomber. 

Le maquillage est presque terminé, et Jessey est prête pour cette nouvelle journée. Avant de partir, elle tient à s’adresser aux jeunes filles en regardant la caméra bien en face : « Apprends à te connaître. Quand tu sais qui tu es, tu fais des choix qui te protègent, tu te laisses moins influencer par ton environnement. C’est en étant ferme dans ton identité que tu avances dans la bonne direction. » Elle sourit, puis conclut : « Tu es belle telle que tu es. Ne te conforme pas aux standards de la société. Aime-toi comme tu as été créée. Tu peux rehausser ce que tu as, oui, mais souviens-toi : la première personne qui doit t’aimer, c’est toi. » 

En savoir plus : 

La Maison de Débora

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