Betyna Dorminier : une figure de confiance à Pointe-aux-Trembles
Des jeunes ont rejoint Betyna lors de l'évènement On prend la rue l’an dernier, à Rivière-des-Prairies. Crédit photo : Dave Nicolas.
8/8/2025

Betyna Dorminier : une figure de confiance à Pointe-aux-Trembles

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Betyna Dorminier est la co-coordonnatrice de la Maison des jeunes de Pointe-aux-Trembles (MDJ-PAT), en plus d’être intervenante. Depuis son arrivée en 2017 dans le quartier, elle voit « ses jeunes », comme elle aime dire, grandir et prendre leur envol vers la vie d’adulte. Ils reviennent souvent prendre de ses nouvelles. Nous avons rencontré Betyna à La Caverne, l’un de leurs deux points de services de la MDJ-PAT, afin de comprendre comment les relations qu’elle construit avec les jeunes créent un lien de confiance avec eux. 

En ce mercredi de fin juillet, aucun nuage en vue, seul un ciel bleu doux. Nous rejoignons Betyna à la Maison des jeunes, située près du parc Richelieu, un endroit nostalgique pour les plus vieux du quartier : bagarre, drague, match de basketball, rassemblement entre amis… tout s’y déroulait. Il est 13h, une heure avant l’ouverture de la maisonnette transformée en lieu d’accueil. Les deux co-coordonnatrices, Cendrine et Betyna, sont dans le salon. L’une est sur son ordinateur, l’autre dîne et nous attend. Sur le mur près de l’entrée, un babillard décoré de plusieurs photos est accroché : jeunes graduants, selfies lors des sorties, des amis qui rient… Elles témoignent des souvenirs accumulés. Nous allons au deuxième étage, dans un bureau où il fait plus frais. 

Betyna grandit dans une famille haïtienne en tant que fille unique. Sa mère travaillait de longues heures, pour s’assurer que sa fille ne manque ni de nourriture, ni de vêtements. « Ma mère est très généreuse. Quand les gens parlent d’elle, ils en parlent de la même façon qu’ils parlent de moi. Ils disent ‘’elle va tout faire pour toi’’. J’imagine que j’ai pris ça d’elle », dit-elle, assise sur un fauteuil rouge, les jambes croisées. Au secondaire, c’est chez sa grande-cousine qu’elle passe ses semaines de relâche et ses étés. « C’était ma deuxième mère. Je peux dire que c’est la personne qui me donnait de l’amour dans le duo. Ma mère provide, puis elle, elle me donne l’attention et l’amour. »

Née à Montréal-Nord en 1996, Betyna est maintenant Pointelière de cœur. En  2017, alors qu’elle a 21 ans, une amie de jeunesse et intervenante de La Caverne lui propose de  travailler avec elle. En pleine période de questionnement sur ses études universitaires en mathématiques et statistiques à l’Université de Concordia, elle accepte l’offre. « L’université, ça me rejoignait juste pas. Après, peut-être que j’ai été biaisée à cause du choix [de programme] que j’ai fait à la base, je ne sais pas, mais quand je me demandais pourquoi je suis là, je n’avais plus de réponse. » Elle débute donc sa carrière en tant qu’employée à temps partiel pour le programme d’aide aux devoirs « Persévérance scolaire ». 

Au fil des années, la jeune femme creuse sa place au sein de l’équipe. « Je suis arrivée [à la MDJ] parce que je [cherchais] un emploi, puis finalement, je me suis trouvé une passion. » Tutrice, intervenante, co-coordonnatrice… Elle porte plusieurs chapeaux lors de ses huit années au sein de la MDJ-PAT.

Se reconnaître à travers ses jeunes

Avant ça, à 17 ans, elle a d'abord travaillé dans un camp de jour de Hochelaga, sous le nom de Clin d'œil. Entourée d’enfants créatifs, elle s'était permis de s’inventer une vie. Mais à son arrivée à la maison des jeunes, il y a huit ans, elle ressent un choc. L’ambiance est différente de son ancien emploi. « [...] C’était un clash, parce que c’est des jeunes qui ont la même réalité que moi, explique-t-elle, en posant sa main sur son torse. Les blagues qu’ils racontent, je ris pour de vrai, c’est pas un "hi-hi" parce que je suis en camp de jour et il faut que je rie avec toi. Tu dis quelque chose, je peux relate et je trouve ça vraiment drôle, je peux avoir de vraies conversations avec toi sur des choses qui me sont arrivées pour de vrai ! » 

Les intervenants accompagnent les jeunes aux festivités de Montréal, comme les Grands Feux Loto-Québec. Crédit photo : Dave Nicolas

Vêtue d’un chandail noir avec le logo de la MDJ-PAT, elle raconte qu’elle encadre un comité d’été, géré par les jeunes pour organiser des activités estivales. Aux dernières 30 minutes de leurs rencontres de groupe, elle aborde toujours des sujets comme la vulnérabilité, le courage et le leadership… « Le premier speech que j’ai donné, c’était par rapport au respect. J’ai demandé ‘’comment quelqu’un te montre du respect, à toi ?’’ et j’ai eu des silences, souligne-t-elle, visiblement agacée. […] Je veux [leur] enseigner des concepts pour qu’ils les ramènent dans leur vie. »  Par cette question les jeunes comprennent que le respect peut être subjectif et dépend des relations entre les personnes, explique Betyna. 

Une question nous brûle les lèvres : pourquoi veut-elle donner des leçons de vie aux jeunes ? 

Derrière ses lunettes de vue transparentes, son regard se tourne vers la fenêtre. « [En général], ma clientèle c’est des personnes comme moi, des immigrants de deuxième génération, dit-elle en reposant ses yeux sur nous. C’est les personnes avec qui j’ai les meilleurs liens, j’ai une compréhension de tout. » Selon ses observations, les enseignements reçus par les parents immigrants sont plus conservateurs, loin de la réalité des écoles du Québec. « Ça arrive qu’il y ait un clash entre la maison et l’école. Après, le jeune se sent juste incompris. Beaucoup vont à l’église et je sais qu’ils ont reçu certains enseignements. J’essaie d’amener ces trois aspects (enseignements de la maison, l'école, et l’église), d’en ressortir des choses pertinentes, pour qu’après, tu fasses tes choix. Je ne veux pas que tu penses que tu as juste une destinée [...]. », énonce-t-elle en haussant les épaules. 

« On a créé un safe space » 

Le lien de confiance que Betyna construit permet à certains jeunes de la considérer comme une grande sœur et même une mère, dit-elle. « Si t’as un panik à minuit, appelle-moi et je vais venir. Ça m'est déjà arrivé. » Cette relation de proximité lui permet également d’avoir le respect des jeunes. « Je veux que le jeune se sente entendu. Mon but, c’est qu’à long terme, tu me racontes ce qui se passe et je vais te conseiller. Si j’ai une bonne relation avec toi, je vais même te dire quoi faire », mentionne-t-elle, son tupperware en main. 

Si le jeune fait des choix avec lesquels l’intervenante n’est pas d’accord, elle souhaite tout de même être au courant. Ceci lui permet de s’affirmer, déclare-t-elle, assise au bout du fauteuil. Elle fait un parallèle avec ses leaders de l’église qu’elle fréquentait, plus jeune. « À l’église, j’étais reconnue pour mon obéissance, mais s’il y avait une chose qui me faisait désobéir, c’était si on me demandait d’aller parler en avant ! » Comme cette fois où elle ne s’est pas présentée pour diriger le service des jeunes. « Est-ce que mon leader m’a chicané ? Est-ce qu’il m’a tapé ? Non ! Il est venu me voir et m’a dit ‘’t’es pas venue ?" . Qu’est-ce qu’il a fait ? Rien ! C’est mes choix ! Ça va avec mon enseignement de base où je te conseille, je te dis quoi faire, après tu fais ce que tu veux. »

Betyna raconte comment peut naître un lien de confiance avec les adolescents. « Il y a une jeune fille que j’ai connue dans une école et qui est venue à la MDJ. Je lui ai dit ‘’hey, salut Sylvie !’’. Elle m’a regardé et m'a dit ‘’tu connais mon nom ?’’, raconte Betyna. Elle m’a demandé si c’était un mauvais signe », confie-t-elle en riant.  Si ce détail peut paraître anodin, il confirme aux jeunes qu’ils ne sont pas seulement des fréquenteurs de la MDJ-PAT, mais des personnes à part entière. « Je me souviens de leur nom, j’essaie de les écouter. » 

Elle se rappelle cette fois où elle a réussi à créer un lien de confiance avec un jeune suspendu par son école. Ses yeux se dirigent vers la fenêtre. « Il avait un background, je pense que son école le suspectait de vendre de la drogue. Il ne m’a pas raconté sa vie. Souvent, c’est pas des jeunes qui vont mettre leurs affaires dehors, leurs secrets. Je ne lui ai pas dit ‘’ce que tu fais c’est un crime’’. Je suis là, je l’écoute. » Dans cet espace, il lui confie que son frère va aller en prison. « Des fois je le voyais dans le quartier, il venait ici, disait salut, mais ne parlait pas vraiment. Quand il commençait à y avoir trop de monde, il partait. Même s'il ne vient pas me raconter toute sa vie, on a créé un lien ! »

D’ailleurs, ce sont les jeunes les plus gênés qui la surprennent, comme David*. « Même s’il ne me parle pas, je lui dis que je suis contente de le voir. Je pense que je fais une conversation, mais je fais plus un interrogatoire, en fait », dit-elle, sourire en coin. Un jour, il s’ouvre à Betyna. Il parle pendant longtemps d’un restaurant auquel il est allé et après plusieurs minutes, elle se demande pourquoi il parle autant. Mais le lendemain matin, alors qu’elle se prépare pour aller travailler, elle réalise que c’est la première fois que ce jeune se livre autant. « Je suis en train d’investir dans une relation », se dit-elle. 

Ces liens, basés sur la confiance, peuvent parfois se briser. Elle se recule contre le dossier de son fauteuil, sa voix s’abaisse. « Ça me fait de la peine… mais c’est un risque. » Le cœur lourd, elle décrit une situation marquante de son parcours. « Il s’est passé quelque chose dans la vie de mon jeune, il y a eu une ‘’explosion’’ et j’en ai fait partie. Je me suis prise des boules. […] On était à l’aide aux devoirs et il a crash out sur moi, devant tout le monde, continue Betyna. J’étais choquée. » 

Cependant, d’autres démontrent leur appréciation pour Betyna. Il est courant pour elle et ses collègues de se faire inviter à des cérémonies de graduation, des matchs sportifs et des anniversaires. « [La vie de ces jeunes], ce n'est pas la maison des jeunes. Si tu veux impacter la vie de quelqu'un, tu ne peux pas rester juste dans un lieu. » 

Betyna conclut l’entrevue et s’étonne du temps qui file. Nous redescendons à l’étage principal de La Caverne, où Cendrine est encore assise. Demain est une grosse journée : elles vont faire du go-kart à Action 500 avec les jeunes !

*Prénom fictif

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