Quand le Québec laisse partir celles et ceux qui voulaient rester
Magaly Cornejo a quitté le Canada à la mi-octobre après le non-renouvellement de son permis de travail. Crédit photo: Maria Gabriela Aguzzi
27/11/2025

Quand le Québec laisse partir celles et ceux qui voulaient rester

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Pendant deux ans, l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal a été pour Magaly Cornejo l’endroit où elle tissait l’espoir en lavant des planchers, en préparant des pizzas et en servant du café au milieu de la nuit pendant que la ville dormait. Ironiquement, ce même aéroport est devenu sa porte de sortie. Cette Mexicaine n’est pas partie par choix, mais parce que son profil ne « cadrait » plus avec les besoins migratoires du gouvernement du Québec.

Son histoire recoupe celle de María Caballero, artiste franco-espagnole qui a fui Kiev avec son mari ukrainien et qui est arrivée à Montréal avec l’intention de reconstruire sa vie. Presque trois ans plus tard, elle découvre que sa « terre d’accueil » s’est transformée en un mur bureaucratique infranchissable.

Ces deux femmes représentent les extrêmes du spectre de la migration temporaire : une travailleuse essentielle à bas salaire d’un côté ; une artiste francophone avec une expérience internationale de l’autre. Mais elles partagent un même destin et un même sentiment : la frustration d’être poussées vers la sortie par un système migratoire qui semble être de plus en plus restrictif.

Laisser derrière l’âgisme

Magaly est arrivée au Québec avec un permis de travail temporaire. Originaire de Veracruz, elle cherchait des occasions qui lui avaient été refusées au Mexique en raison de son âge. De caractère ferme, toujours souriante et d’un optimisme contagieux, elle rêvait de rester à Montréal malgré la nostalgie de son « México lindo y querido ».

« Mon pays est magnifique, mais après 45 ans, les portes se ferment », déplore-t-elle.

Avant de s’établir avec un statut de travailleuse temporaire, elle avait passé six mois à Montréal comme touriste – assez de temps pour lancer des démarches, retourner au Mexique et attendre l’approbation du gouvernement canadien. Un emploi l’attendait dans un restaurant de l’aéroport, ouvert 24 heures sur 24. Elle avait commencé par nettoyer et aider en cuisine, mais son dévouement lui avait rapidement valu d’autres tâches, comme préparer des pizzas, faire du café, servir les clients.

Son horaire – de 22 h à 6 h – était un défi que peu peuvent accepter. Malgré cela, Magaly avait décidé de continuer à avancer et s’était inscrite à des cours de français. Sa routine était rigoureuse : après son quart de nuit, elle rentrait, se douchait, mangeait un peu et repartait à son centre de francisation à LaSalle, où elle étudiait jusqu’à midi. Elle dormait à peine deux ou trois heures. « À 18 h, j’étais déjà debout, pleine d’énergie », raconte-t-elle en riant.

En raison de ce rythme soutenu, elle s’est blessée au dos, mais elle a pu recevoir des soins médicaux et de la physiothérapie. Elle a également été appuyée par son patron, Mohamed, qui reconnaît « l’éthique de travail des Latinos ». Mais ni ses efforts ni son intégration n’ont suffi, car son permis de travail n’a pas été renouvelé. Son profil fait partie des coupes imposées par Québec aux travailleurs temporaires à bas salaire en septembre de 2024.

Magaly est frustrée, mais reconnaissante d’avoir un foyer où retourner. Ce qui l’inquiète, c’est la difficulté qu’elle aura à réintégrer le marché du travail mexicain et les salaires qui l’y attendent. Elle garde toutefois un brin d’espoir, car elle envisage d’apprendre un métier pour tenter à nouveau sa chance, peut-être en Alberta. « C’est mieux de revenir et de rentrer légalement », affirme-t-elle.

Le nation building qui ferme des portes

Le cas de Magaly n’est pas isolé. Selon Alejandro Hernández, sociologue et professeur à l’Université Concordia, les décisions politiques du Québec s’inscrivent dans une idéologie historique marquée par un sentiment de vulnérabilité identitaire. Dans ce cadre, le gouvernement de la CAQ a consolidé un discours axé sur la « protection » et la construction d’une nation perçue comme menacée.

« Un des axes centraux de ces changements migratoires répond à ce que les politiciens présentent comme la pierre angulaire de l’identité », explique M. Hernández. Dans ce discours, l’immigrant, surtout celui qui ne correspond pas à l’idéal du Blanc francophone, est vu comme un « autre », un consommateur potentiel des ressources publiques, ajoute-t-il.

Cette idéologie contraste pourtant avec la réalité économique. Les employeurs répètent depuis des années qu’ils n’arrivent pas à recruter suffisamment d’employés pour des postes essentiels, notamment de nuit, en manufacture, dans les services ou encore dans le domaine agricole.

Malgré cela, le gouvernement de François Legault a annoncé une réduction graduelle des seuils d’attribution de la résidence permanente : d’environ 60 000 nouveaux résidents cette année à environ 45 000 en 2026. Le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, justifie cette mesure par la pression sur les services publics, la situation à la frontière sud et certaines décisions du gouvernement fédéral.

Depuis septembre 2024, les employeurs ne peuvent plus embaucher plus de 10 % de leur main-d’œuvre en passant par le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) dans son volet à bas salaire (visant le personnel rémunéré moins de 32,96 $ l’heure), sauf s’ils désirent remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs des soins de santé, de la construction et de la fabrication d’aliments – où le plafond de 20 % est maintenu. 

Pour des milliers de travailleurs comme Magaly, cette règle leur a fermé la porte du Québec sans avertissement.

De Kyiv à Montréal, mais…

Penser que ces politiques touchent seulement des travailleurs non qualifiés serait une erreur. Les coupes ont rendu le système tellement rigide que celui-ci expulse même des talents que la province dit vouloir attirer. Si Magaly a été écartée comme travailleuse temporaire à bas salaire, María Caballero, elle, a découvert que ni sa langue maternelle française, ni sa formation, ni son expérience artistique n’étaient suffisants.

Danseuse et chorégraphe menant une carrière internationale, elle est arrivée à Montréal en août 2022 avec son mari ukrainien grâce au programme AVUCU, qui lui offrait un permis de travail ouvert pour trois ans. Son conjoint s’est rapidement intégré au marché du travail. Elle, non.

Malgré sa maîtrise du français, de l’anglais et de l’espagnol, décrocher un emploi stable a été presque impossible. Elle a envoyé d’innombrables CV, en vain. Elle a tenté de poursuivre sa carrière dans les arts, donnant des cours de flamenco, mais la scène culturelle ne lui a offert aucune stabilité.

« Je ne sais plus combien de courriels j’ai envoyés… J’ai cherché du travail partout… Ça me fait rire quand les gens disent : “Oh, tu parles français, tu ne vas pas avoir de problème à Montréal.” Ben, moi, je trouve que ce n’est pas si simple. Je parle français, anglais, toutes les langues qu’il faut au Canada, mais j’ai eu de la misère et je n’ai rien trouvé », confie-t-elle.

Déménagement en Nouvelle-Écosse

La goutte qui a fait déborder le vase n’a toutefois pas été le manque d’emploi – car son mari, directeur de films d’animation, s’est bien intégré au marché du travail –, mais l’annonce que les résidents temporaires n’auraient plus accès à la résidence permanente. « Le Québec n’accorde plus la résidence permanente aux résidents temporaires. C’est ça qui nous a fait comprendre qu’il fallait partir », explique María.

Après presque trois ans d’efforts, le couple a compris que Montréal ne leur permettrait pas de bâtir un avenir. « On est restés presque trois ans à Montréal pour rien… Ça ne nous a servi à rien, tout ce que nous avons fait », déplore-t-elle.

Suivant les conseils d’avocats, ils ont déménagé à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Là-bas, María a rapidement trouvé un emploi comme professeure de français et d’anglais à l’Université Sainte-Anne. Son français a été immédiatement considéré comme un atout.

La stabilité a toutefois un prix, car elle doit maintenant cumuler une année complète d’expérience pour pouvoir demander la résidence permanente dans le cadre du programme provincial. Pour y arriver, elle travaille parfois jusqu’à 12 heures par jour – éprouvant même un certain épuisement.

La désillusion est profonde. « Pour moi, le Canada, c’est dur. Les gens sont durs. À Montréal, les gens ne sont pas gentils. C’est très dur. »

L’impact humain

Les histoires de Magaly et de María mettent en lumière le coût humain et psychologique des politiques migratoires, explique Alejandro Hernández, qui reconnaît que cette dimension de la question est presque absente du débat politique. 

« Je pense que, dans les situations qu’on vit en ce moment, l’humain passe au second plan, surtout parce que les gens sont directement touchés : perte d’emploi, loyers trop élevés qui continuent d’augmenter, insécurité qui progresse… Toute la question de l’itinérance, de la violence, des problèmes de santé mentale est là. On dirait qu’un peu partout, les gens commencent à voir ces situations-là », ajoute le sociologue.

Mais pour ce qui est des immigrants, il faut rappeler que plusieurs ont vendu leur maison, fui des conflits ou investi leurs économies dans un projet de vie pour se retrouver enfermés dans un système qui change les règles sans prévenir.

Les justifications officielles – la crise du logement, la pression sur la santé – tiennent mal devant des recherches qui montrent que les personnes immigrantes arrivent souvent en meilleure santé que la population locale (Étude sur les taux d’hospitalisation, Statistique Canada) et que la crise du logement est liée à de nombreux facteurs, pas uniquement à l’immigration, ajoute M. Hernández.

Pendant que le gouvernement du Québec se demande jusqu’où ouvrir ou fermer ses portes, des milliers de personnes restent en suspens – rappelant ainsi que la politique migratoire ne relève pas seulement des chiffres, mais constitue un miroir de la société.

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