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Cette histoire a été publiée à l’origine par Lookout, une salle de presse américaine qui pratique un journalisme audacieux et organise des événements communautaires dans un but unique : améliorer et étendre la représentation LGBTQ+ dans les médias locaux, tout en renforçant et en mobilisant les communautés LGBTQ+ — et leurs allié·e·s — autour de l’expérience queer.
Nous l’avons traduite ici afin qu’elle puisse toucher un public francophone plus large.
Les thérapeutes affirment qu'il est normal que les communautés marginalisées se sentent partagées, voire indifférentes, après le décès d'une personne qui les a persécutées pendant des années.
Pour de nombreuses personnes LGBTQ+, Charlie Kirk incarnait l'hostilité. Ce commentateur politique d'extrême droite et fondateur de Turning Point USA dénigrait fréquemment les personnes LGBTQ+, appelant les personnes trans de « véritables doigts d'honneur à Dieu », décrivant l'homosexualité comme un danger pour les enfants et qualifiant les identités LGBTQ+ de « contagion sociale ».
Kirk a également fait des remarques raciales, se demandant notamment s'il se sentirait en sécurité si un pilote était noir et affirmant que Dieu avait maudit les Noirs en les rendant « serviles ».
Kirk étant résident de l'Arizona et fondateur de l'un des groupes conservateurs les plus importants de l'État, tant au Capitole que sur les campus universitaires, sa mort a suscité des sentiments mitigés, en particulier au sein de la communauté LGBTQ+.
Charlie Kirk a été abattu cette semaine alors qu'il prenait la parole lors d'un événement universitaire, dans ce qui semble être un assassinat politique. Peu avant d'être assassiné, il avait répondu à la question d'un membre du public sur les fusillades de masse.
Les réactions à sa mort ont mis en évidence de profondes divisions au sein de la société américaine. Alors que les médias et les dirigeants politiques appelaient à la paix et au recueillement, minimisant souvent ou passant sous silence les propos racistes et homophobes tenus par Kirk, certains membres de la communauté LGBTQ+ et d'autres groupes visés par sa rhétorique ne manifestaient que peu de tristesse.
« Il est normal de ne pas ressentir beaucoup d'empathie pour quelqu'un qui a fait carrière en refusant d'en manifester à l’égard des autres », a déclaré le thérapeute Jeff Guenther dans un message publié sur son très populaire compte Instagram TherapyJeff. « Cela ne signifie pas que vous célébrez sa mort. Cela ne signifie pas que vous êtes insensible. Cela signifie simplement que votre compassion a des limites, et que ces limites sont souvent déterminées par le degré de compassion dont une personne a fait preuve au cours de sa vie. »
En ligne, de nombreux messages n’y vont pas par quatre chemins : un mème circulant sur Instagram a d’ailleurs ceci comme message : « Ce pays ultra violent exige que nous pleurions les personnes qui voulaient notre mort. »
D'autres messages, provenant de personnes queers, ont rapidement souligné que Kirk avait appelé à des procès de type Nuremberg contre les médecins qui dispensent des soins affirmant le genre, ou qualifié les personnes trans de « groomers » (personnes qui préparent des enfants à des abus sexuels) ou de pédophiles.
Bre Wandrych, une travailleuse sociale basée à Phoenix qui travaille avec une clientèle LGBTQ+, a déclaré que sa réaction traduisait une plus grande complexité : « Une partie de moi est triste parce qu’un homme est mort, victime d'un acte de violence armée – je pense que personne ne devrait mourir dans de telles circonstances », a-t-elle déclaré, expliquant qu'elle avait pris le temps de bien comprendre ses émotions. « Une partie de moi ne ressent cependant rien pour l’homme qui défendait la suprématie blanche et la bigoterie. Une partie de moi est peut-être horrifiée à la vue d'une vidéo explicite d'une fusillade, et une autre partie est peut-être pleine de ressentiment parce que notre communauté ne bénéficie pas du même niveau de soutien lorsqu'elle est victime de violence. »
Selon Mme Wandrych, les conversations sur l'empathie sont essentielles pour surmonter des moments comme celui-là.
Les chercheurs définissent différents types d'empathie : l'empathie cognitive, qui permet aux gens de comprendre le point de vue d'autrui ; l'empathie émotionnelle, lorsque les gens reflètent les émotions des autres ; et l'empathie compatissante, qui pousse les gens à agir. Mais les traumatismes, le deuil et ce qu'on appelle la « fatigue empathique » déterminent souvent le degré d'empathie dont les gens sont capables.
« Lorsque des clients me demandent : “Dois-je avoir honte de ne pas me soucier de sa mort ?”, je considère cela comme un jugement personnel qui s'ajoute à des émotions déjà difficiles », avance Mme Wandrych. « Souvent, ces questions viennent de personnes qui se targuent d'être empathiques, mais qui se sentent en conflit lorsqu'elles ne parviennent pas à étendre cette empathie à quelqu'un qui leur a fait du mal », poursuit la thérapeute.
Elle compare cela à la façon dont les personnes survivantes de violences conjugales peuvent réagir à l'annonce du décès de leur agresseur. « Si vous avez subi des violences répétées, il est compréhensible que vous ne ressentiez pas de tristesse lorsque cette personne disparaît », explique Mme Wandrych. « Cela ne signifie pas que vous êtes cruel, mais simplement que vous êtes humain. Notre capacité d'empathie est influencée par l'ampleur des dommages que quelqu'un nous a causés et par notre sentiment de sécurité », dit-elle.
Selon Mme Wandrych, pour les personnes LGBTQ+, ces conflits sont amplifiés par un traumatisme collectif. « Rien que cette année, plus de 900 projets de loi susceptibles d'avoir un effet négatif sur les personnes transgenres et non conformes ont été présentés », rappelle-t-elle. « Cela s'ajoute à des décennies de discrimination systémique. Lorsque vous portez ce poids historique, cela modifie le niveau d'empathie que vous pouvez – ou devriez – attendre de vous-même », souligne-t-elle.
Pour Mme Wandrych, la conclusion à tirer est que l'empathie n'est pas illimitée, et que cela ne rend pas quelqu'un immoral. « Ce sont des émotions complexes. Presque tous les sentiments que les gens éprouvent en ce moment sont valables », ajoute-t-elle.
Le psychologue Travis Munnerlyn, qui travaille avec des patients queers en Arizona, partage cet avis, affirmant que l'assassinat de Charlie Kirk crée ce que l'on appelle un « traumatisme complexe ».
« Cette mort n'a aucun sens, nous ne l'avions pas prévue, et c'est donc compliqué », affirme-t-il. « De nombreux éléments rendent cette situation complexe. Il s'agit donc d'un traumatisme complexe pour différentes personnes, pour différentes raisons, et la façon dont nous vivons le deuil d'une personne décédée est personnelle et individuelle. Il est ridicule de penser qu'il existe un modèle auquel nous sommes tous censés adhérer », témoigne-t-il.
Il précise que, pour les communautés fréquemment visées par les propos de Kirk, le manque d'empathie relève moins de la cruauté que d'une question de survie. « Ce n'est pas de l'insensibilité. C'est de l'autoprotection, explique M. Munnerlyn. Attendre des communautés ciblées qu'elles éprouvent de l'empathie pour leurs agresseurs, c'est ignorer les traumatismes qu'elles ont vécus. Elles ont construit des récits pour se protéger, lesquels disent en substance ceci : “Cette personne est dangereuse.” Par conséquent, lorsque l'agresseur meurt, leur réaction peut simplement être la suivante : “Tant mieux pour moi.” »