Élections municipales 2025 : à Saint-Léonard, la communauté maghrébine face au défi de la citoyenneté et de la sécurité
Affiches électorales dans le petit Maghreb, montrant les candidat.es en lice pour l’élection municipale du 2 novembre 2025. Crédit photo: Édouard Desroches
16/10/2025

Élections municipales 2025 : à Saint-Léonard, la communauté maghrébine face au défi de la citoyenneté et de la sécurité

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À Saint-Léonard, la sécurité des jeunes et la participation citoyenne de la communauté maghrébine s’imposent comme des enjeux centraux de la campagne municipale de 2025. Majoritaire dans l’arrondissement, mais encore peu représentée sur la scène politique, cette communauté fait face à une double réalité : l’inquiétude grandissante face à la violence dont est victime sa jeunesse et la difficulté à faire entendre sa voix dans le débat public. Ces élections pourraient bien mettre au jour les tensions d’un arrondissement partagé entre peur, engagement et quête de reconnaissance.

Langelier, Lacordaire, Jean-Talon Est – sur les grandes artères de Saint-Léonard, les affiches électorales montrent les noms et les visages des candidates et candidats en lice pour l’élection municipale du 2 novembre 2025. Pour la première fois depuis près de 20 ans, l’arrondissement devra se choisir un nouveau maire, Michel Bissonnet ayant décidé de tirer sa révérence après un long mandat. L’occasion semble donc rêvée pour renouveler le paysage politique dans un quartier en pleine mutation démographique.

Derrière les couleurs partisanes et les slogans de campagne, une inquiétude domine les conversations des citoyens, celle de la sécurité des jeunes. Au cours des dernières années, le quartier a été secoué par la violence armée, et les drames qui ont emporté plusieurs adolescents – dont Meriem Boundaoui, Mehdi Moussaoui et Yanis Seghouani – sont autant de blessures ouvertes.

La communauté maghrébine compose la plus grande part de la population de l’arrondissement. Elle compte plus de 20 000 personnes, dont la majorité est d’origine algérienne. Cependant, on ne recense que trois candidats issus de cette communauté parmi les formations en lice. Cette timide représentation politique s’ajoute à une participation citoyenne chroniquement faible. Le taux d’abstention aux municipales de 2021 a en effet été de plus de 62 %, et ce phénomène a été souligné, entre autres, par la table de quartier.

La peur des parents et l’urgence d’un dialogue adapté

Parmi les voix citoyennes, celle de Nabila Bouchala résonne avec force. Résidente de Saint-Léonard depuis six ans, elle connaît bien les inquiétudes des familles maghrébines. Chargée de cours au Département de sociologie de l’UQAM et mère d’une adolescente, elle dit ressentir quotidiennement le poids d’une menace diffuse. « Il y a des gangs qui recrutent, ils vont jusqu’à l’école secondaire Saint-Exupéry pour attirer des jeunes. Avant, ils recrutaient les adolescents de 15 ans. Maintenant, c’est beaucoup moins que ça : ce sont les 14, les 13, les 12 ans ! » s’exclame-t-elle. Les parents ont très peur, poursuit Mme Bouchala, d’autant plus que les gangs ciblent aussi, depuis quelque temps, les jeunes filles.

Ces enjeux n’échappent pas à son regard de sociologue. En effet, malgré la taille de la communauté, l’offre d’encadrement et de socialisation de ses membres est insuffisante : « Il y a un manque d’espaces d’expression, où les gens peuvent se reconnaître dans certaines formes d’expression, de participation citoyenne. Il y a un manque d’encadrement en réalité. » 

De plus, les initiatives, notamment celles prises par l’arrondissement et le gouvernement de Québec pour protéger les jeunes et favoriser l’intégration, demeureront inefficaces, selon elle, tant que l’approche restera superficielle : « On n’a pas suffisamment essayé de comprendre le problème de l’intérieur. […] il n’y a pas vraiment eu d’études, d’enquêtes sociologiques pour comprendre le phénomène. On a une vision globale, une vision méta du problème », déplore Nabila Bouchala. Faute de structures adaptées, ce vide laisse le champ libre aux recruteurs, qui exploitent le besoin d’appartenance des adolescents, conclut-elle. 

Le problème est aussi renforcé par une profonde méfiance envers les institutions. « Les élus ne viennent que pendant les élections », déplore Mme Bouchala, évoquant également « une rupture d’avec les écoles » et « une angoisse constante liée à la DPJ ». Cette dernière est perçue par « beaucoup de parents [...] comme une menace », ces derniers ayant « peur qu’elle leur retire leurs enfants ». Faute de dialogue, ces craintes alimentent, selon elle, des représentations négatives de part et d’autre : « Quand les deux parties ne communiquent pas, quand il n’y a pas un espace où chacun puisse s’exprimer, c’est clair que les gens restent dans leur fantasme par rapport à la DPJ », dit-elle. Puis, elle enchaîne aussitôt : « Et de l’autre côté aussi, que ce soit les élus ou les écoles, ils restent aussi dans une représentation négative – pas pour tous, mais pour beaucoup –, dans une représentation négative de l’immigration. » 

Pour Mme  Bouchala, le prochain conseil municipal devrait « faire en sorte d’impliquer les parents, d’impliquer les jeunes qui font partie du problème pour qu’ils fassent partie de la solution ». Pour ce faire, il lui faudra, dit-elle, adopter une approche adaptée aux particularités de cette population, marquée par une forte culture de l’oralité, fait-elle remarquer. Les futurs élus devront ainsi « privilégier un travail de proximité visant à établir des liens solides et à renforcer la littératie politique ainsi que la participation citoyenne. »

Rétablir la confiance : un défi central de la campagne municipale ?

Hadjira Belkacem, figure de la communauté et coordonnatrice de l’Association de la sépulture musulmane au Québec, refuse que la violence juvénile soit réduite à Saint-Léonard : « Les gangs se déplacent. Ce fléau existe partout au Québec, au Canada même. Mais comme Saint-Léonard est majoritairement maghrébin, on colle l’étiquette sur une communauté. » Selon elle, cette stigmatisation empêche la fracture entre citoyens et institutions de se résorber. « Les politiciens, on ne les voit qu’en période électorale. […] Les ressources existent, mais elles ne fonctionnent pas. […] Les mêmes stratégies produisent les mêmes résultats », regrette-t-elle.

Par ailleurs, « beaucoup de familles veulent partir ; c’est devenu invivable », alerte Mme  Belkacem. Sa colère traduit une profonde fatigue : « Ici, on doit se battre pour tout : l’école, l’hôpital, la police, la DPJ », confie-t-elle, décrivant un quotidien marqué par la lassitude et aggravé par la montée des propos anti-musulmans : « On est fatigués. On n’est pas venus ici pour se battre. » 

Membres de la communauté maghrébine de Saint-Léonard, à Montréal. Crédit photo: Édouard Desroches

Qu’elles s’expriment comme mères ou comme actrices communautaires, Mmes Bouchala et Belkacem brossent le même tableau : celui d’une communauté stigmatisée, inquiète pour sa jeunesse et méfiante envers les institutions censées la protéger. « Entre les politiciens et la réalité de monsieur et madame Tout-le-Monde, il y a une déchirure », ajoute Hadjira Belkacem.

Grandir sans espace : quand les jeunes cherchent leur place à Saint-Léonard

À 19 ans, Marwa* parle avec calme, mais ses mots résonnent comme un constat lucide : à Saint-Léonard, les jeunes manquent d’endroits pour se retrouver. « Il n’y a pas vraiment de locaux où les jeunes puissent se réunir, faire des activités, ou juste passer du temps sans traîner dehors », explique-t-elle. Née au Canada de parents maghrébins, elle est étudiante et fréquente le Forum jeunesse de Saint-Michel – un quartier voisin –, faute d’endroit similaire dans le sien. « C’est dommage, mais s’il y avait quelque chose comme ça à Saint-Léonard, je suis sûre que ça intéresserait beaucoup de jeunes. Ça pourrait créer une dynamique, tirer les jeunes de la rue. »

Ce sentiment de vide structurel correspond aux constats faits par Thi-Thanh-Hiên Pham, Nathalie Boucher et Étienne Perrault-Mandeville dans une étude intitulée Être jeunes au bon endroit ? Cartographie critique des espaces négatifs pour les jeunes à Saint-Léonard. Les chercheurs y décrivent un territoire fragmenté, où certains secteurs sont « enclavés, mal desservis et pauvres en équipements publics ». Ces zones, précisent-ils, deviennent de véritables « espaces négatifs », c’est-à-dire des lieux où « l’isolement renforce la perception d’un avenir bouché ».

Jeunes de la communauté maghrébine à Saint-Léonard, dans le petit Maghreb. Crédit photo: Édouard Desroches

Pour beaucoup d’adolescents, expliquent-ils, la rue devient un substitut aux institutions défaillantes : un espace d’appartenance et de reconnaissance, même au risque de la dérive.

Les constats du Forum citoyen sur la sécurité urbaine, organisé en février 2025 par Concertation Saint-Léonard, vont dans le même sens. Les participants – parents, jeunes, organismes, élus, policiers – y soulignent le besoin urgent de créer des « espaces sécurisants et attractifs » pour les jeunes. Parmi les six priorités qui sont ressorties du forum figurent la « création de lieux de socialisation pour les adolescents » et la nécessité de « réparer le lien entre institutions, écoles et familles ».

Le témoignage de Mélissa Allache illustre de manière concrète les conclusions et observations formulées par les experts qui signent ces études et consultations : à Saint-Léonard, le manque d’espaces adaptés ne nourrit pas seulement l’ennui, il fragilise le sentiment d’appartenance et amplifie le fossé entre jeunesse et institutions.

Deux voix pour une communauté en quête de représentativité

À Saint-Léonard, trois candidatures issues de la communauté maghrébine se distinguent : Arij El Korbi (Ensemble Montréal), Abdellah Azzouz (Projet Montréal) et Amina Bahri (Équipe Saint-Léonard). 

Première élue d’origine maghrébine à Saint-Léonard, Arij El Korbi, élue en 2021, brigue un nouveau mandat de conseillère d’arrondissement sous la bannière d’Ensemble Montréal. 

Mme  El Korbi défend une approche centrée sur la prévention et l’ancrage local. Dans sa plateforme, elle propose notamment la multiplication des partenariats avec les organismes communautaires pour « tout ce qui est développement des programmes pour les jeunes », et la bonification de la patrouille de police instaurée il y a quelques années pour surveiller les parcs du printemps à l’automne. 

Mais au-delà de ces « moyens traditionnels », elle reconnaît que « ce qui peut faire vraiment la différence, c’est le débloquement de milieux de vie », parce qu’à Saint-Léonard « malheureusement, on a beaucoup moins d’espace municipal pour nos citoyens ». Elle compte sur le prolongement de la ligne bleue du métro, dont l’ouverture est prévue en 2031, pour s’assurer « qu’il va y avoir un centre communautaire et des terrains sportifs pour les jeunes – des espaces qu’ils puissent s’approprier ».

Face à elle, Abdellah Azzouz incarne une nouvelle génération politique. Arrivé enfant au Québec, intervenant communautaire depuis plusieurs années, il connaît intimement les réalités de la jeunesse léonardoise. « Saint-Léonard n’était pas un quartier pauvre. Il le devient, et les infrastructures n’ont pas suivi », constate-t-il. Selon lui, l’absence de lieux adaptés accentue le sentiment d’exclusion : « Il faut des espaces indépendants, pas liés à l’école, ni à la maison ou à un lieu de culte — des endroits où les jeunes peuvent faire ce qu’ils veulent, se sentir valorisés. » Dans son programme, il propose de soutenir durablement les organismes communautaires par des financements à long terme, de créer des centres jeunesse indépendants et de favoriser la coopération entre écoles, police, parents et intervenants. « On ne devrait pas chercher à pointer du doigt, mais à créer des ponts. Les jeunes veulent être écoutés, tout comme leurs parents », résume-t-il.

Quant à Amina Bahri, éducatrice en milieu scolaire depuis plus de vingt ans et mère d’une fille, elle se présente sous la bannière d’Équipe Saint-Léonard. Mme Bahri met de l’avant son parcours d’intégration et son expérience auprès des familles du quartier. Soucieuse d’une meilleure cohésion sociale, elle dit vouloir « bâtir des ponts entre les différentes communautés pour n’en créer qu’une seule, forte et prospère ». Dans sa campagne, la sécurité urbaine et les services aux citoyens figurent au premier rang de ses priorités, tout comme « l’écoute des besoins et la simplification de la vie des familles et des aînés ».

Malgré la méfiance, la fatigue et les blessures, quelque chose semble bouger à Saint-Léonard. La parole des jeunes et les réflexions citoyennes dessinent les contours d’une communauté qui, peu à peu, fait entendre sa voix. Reste à voir si le prochain conseil municipal saura l’entendre.

*Nom d’emprunt

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