Les Mamans du Congo : dénoncer à travers la musique
(De gauche à droite) Robin, Zuangui, Penina, Mel et Gladys, du groupe Les Mamans du Congo. Crédit photo : Emmanuel Leroux-Nega.
25/7/2025

Les Mamans du Congo : dénoncer à travers la musique

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En 2018, Gladys Samba, ou Mama Gladys, crée un groupe de musique pour, dit-elle, défendre les droits de la femme au Congo, Brazzaville. Sur scène, les artistes utilisent des ustensiles, des pilons, des cuillères, des fourchettes, des paniers et des objets récupérés, clin d'œil aux tâches associées aux femmes au foyer. Nous les retrouvons la veille de leur spectacle au Festival International Nuits d’Afrique, pour les questionner  sur les objectifs du groupe.

Mardi 15 juillet, la journée est ensoleillée. Nous retrouvons cinq membres du groupe : Gladys, fondatrice et chanteuse principale, Zuangui et Penina, les danseuses, ainsi que deux hommes, Mel et Robin, les percussionnistes et arrangeurs musicaux. Leur hôtel est situé à quelques mètres du Quartier des spectacles de Montréal. Leurs bagages et instruments de musique sont encore à l’accueil, ils viennent tout juste d’arriver de la Ville de Québec, où leur concert a été annulé à cause des orages. 

Nous nous installons dans le jardin de l’hôtel. Les artistes s’assoient sur les chaises que nous avons déplacées, et la fatigue accumulée des derniers jours se fait ressentir, en plus de la chaleur. L’amour et la fierté de Gladys pour ses racines se portent à son poignet. Il est décoré par un bracelet avec un pendentif de couleur or, qui représente le continent africain. Lorsqu’ils parlent de la fondatrice du groupe, tous les membres l'appellent « maman », par respect. « La tradition congolaise enseigne que quand une femme atteint 18 ans, qu’elle ait un enfant ou pas, elle est déjà maman, parce que c’est une mère en devenir, clarifie Gladys. Il faut dire ‘’ma’’ devant son prénom. Dès que tu dépasses 40 ans, il faut dire “mama’’ », nous informe Mama Gladys. La même règle s’applique aux hommes, en plaçant un « ta » devant le prénom.

« On cherche juste l’équilibre »

Autour de son cou, Gladys porte un large collier de coquillages porcelaine et un foulard bleu marine et orange est enroulé sur sa tête. La musique l’accompagne depuis l’enfance. « Je préparais déjà intérieurement que la musique serait ma passion et que ce serait mon job, même si mes parents ne voulaient pas, précise-t-elle. En grandissant, dans nos villes et nos villages, il y a de la musique partout. Quand tu te réveilles, tu entends le papa du coin qui fait sa musique pour vendre sa bière ! La musique, on naît avec, on meurt avec. »  

Elle explique les motivations qui l’ont poussée à créer Les Mamans du Congo. « [Avant], les mamans ne pouvaient pas parler devant tout le monde », explique Gladys. Derrière elle, Mel acquiesce de la tête. « La femme devait rester à la maison, à la cuisine, s'occuper des enfants, poursuit Gladys. Avec la liberté d'expression que nous avons en tant qu'artistes, je me suis dit ‘’pourquoi pas parler de ça dans les chansons, dans des spectacles, pour véhiculer un message ?’’. » À sa droite, Robin écoute avec attention le discours, les bras croisés par dessus son chandail noir aux lignes multicolores. 

L’émancipation des femmes, le travail comme moteur de liberté sont des thématiques qui lui tiennent à cœur. Pour autant, Mama Gladys n’aime pas l’étiquette de « féministe ». Ce que le groupe recherche, c’est diffuser un message d’égalité pour les femmes de son pays natal. « L'émancipation de la femme va de pair avec sa tradition, soutient la chanteuse, l’index levé en l’air. Il faut la connaître pour la moderniser. On ne peut pas aller directement à la modernisation et laisser l'ancien temps, mentionne-t-elle, les sourcils froncés. Où est votre fondation ? Pour construire la maison, il faut qu'il y ait une fondation. Et nous, notre fondation, c'est notre tradition. » 

Le groupe était de passage à Montréal, dans le cadre de leur tournée canadienne. Crédit photo  : Emmanuel Leroux-Nega.

Les instruments de cuisine choisis ne relèvent pas du hasard. « C’est notre symbole de bataille », affirme Gladys. Robin et Zuangui hochent de la tête. « [Elle] peut faire autre chose en dehors de la lessive, la vaisselle [...] et s’occuper de son foyer. » 

Gladys se réjouit que des femmes prennent la parole pour dénoncer les injustices qu’elles subissent. Elle prend pour exemple le collectif Tosala, composé de 18 artistes, créé en 2021, qui sensibilisent aux droits des femmes. Gladys tient aussi à maintenir vivant l'héritage laissé par les aînés, s’assurer qu’il ne disparaisse pas, « pour préparer la relève », précise-t-elle. « [...] Chaque berceuse a des vertus chez nous. Ce n’est pas seulement pour endormir les enfants. Il y en a qui les poussent à grandir, elles leur donnent des phrases à fredonner, pour commencer à parler, dit-elle en pointant son oreille. Chez nous, poursuit-elle, quand une femme [donne naissance], dès qu'elle rentre à la maison, il y a des chants traditionnels. Les gens viendront chanter pour l'enfant. Donc, tu entends de la musique dès ta naissance. Les gens chantent pour toi », ajoute Gladys. 

Fières de faire partie des Mamans du Congo

Zuangui rejoint la formation en 2022. Elle a 19 ans lorsque Gladys l’a prise sous son aile. La fondatrice du groupe hésite d’abord à l’inclure dans le groupe, puisqu’elle n’est pas encore mère. « Je suis partie voir ses parents pour demander la permission [qu’elle fasse partie du groupe] [...]. J'ai vu sa maman, son père, ses frères, ils m'ont demandé [qu’est-ce qu’on fait] dans le groupe et dès que j'ai parlé du combat des femmes […], la première personne qui était intéressée, c'était son père ! » Zuangui penche sa tête vers le sol et laisse entendre un rire. « Son père m’a dit ‘’prends l'enfant, je te la donne !, parce que ça, c'est très important pour notre société’’. » 

« Avec ce qu’on vit dans notre pays, poursuit Zuangui, je me dis qu'on doit défendre cela. Il est grand temps que nous les jeunes, dit-elle en se désignant, on s’intéresse à la situation [...]. » 

Quant à Penina, l’autre danseuse du groupe, elle intègre le groupe en 2020, à 26 ans. « Au début, mes parents ne voulaient pas, mais moi j'ai voulu faire ça avec amour. À la fin, j'ai donné le meilleur de moi. [Dans notre] pays, tu ne peux pas faire deux choses à la fois. Chez nous, la place de la femme c'est à la cuisine, mais moi je me suis dit non, on doit se défendre », poursuit Penina. Aujourd'hui, sa famille est fière de ce qu'elle accomplit, confie-t-elle. Elle est souvent allée voir le groupe en spectacle.

Les festivaliers ont appris des mouvements de danse lors d’un atelier donné par le groupe. Crédit photo  : Emmanuel Leroux-Nega.

Des tatas (papas) parmis les mamas (mamans)

Deux hommes sont présents aux côtés des trois femmes : Mel et Robin. Mel, chemise bleue et locks attachées, est le percussionniste du groupe. Robin, assis en biais, est percussionniste et arrangeur musical. Mel reconnaît les défis que les femmes congolaises  peuvent rencontrer. « Quand je vois les Mamans, je pense à ma maman, confie Mel. Je vois la relation que ma mère avait avec mon père. […] On a besoin d’équilibre, souligne-t-il, en imitant une balance avec ses mains. [J’ai] honte de voir que les hommes veulent toujours être devant. On est différents, on a quelque chose que l’autre n’a pas. » Robin évoque sa relation avec ses deux jeunes garçons : les hommes peuvent aussi jouer un rôle dans l’image de la femme qu’ils transmettent à leurs enfants, précise-t-il. « On ne peut pas se voiler la face et dire ‘’c’est pas notre boulot, c’est celui de la maman’’ », souligne-t-il.

Après presque une heure de discussion, nous concluons l’entrevue et Mel lance des fleurs à Zuangui et Penina. « Elles ont l’air d’être gênées, mais sur scène, elles ne sont pas reconnaissables » . Tous se lèvent, prêts à aller recharger leur batterie avant le jour J.

L’actualité à travers le dialogue.
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