Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
L’actualité à travers le dialogue.Recevez nos reportages chaque semaine! Du vrai journalisme démocratique, indépendant et sans pub. Découvrez le «making-of» de nos reportages, le pourquoi et le comment.
Recevez notre infolettre chaque semaine pour Découvrir le «making-of» de nos reportages!
Merci! Votre demande a été reçue!
Un problème est survenu lors de l'envoi.
Contact
Décès de la famille Iordache à Akwesasne : « Un rappel brutal des réalités que vivent plusieurs Roms »
Monalisa Iordache et Florin Iordache avec leurs enfants Evelin Iordache et Elyen Iordache à Toronto Photo: Courtoisie de Peter Ivanyi
7/4/2023

Décès de la famille Iordache à Akwesasne : « Un rappel brutal des réalités que vivent plusieurs Roms »

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
Journaliste:
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
Soutenez ce travail
Note de transparence

Les corps des membres de la famille Iordache ont été retrouvés dans le fleuve Saint-Laurent à Akwesasne, près de la frontière américaine, samedi dernier. Qui était cette famille et que dit son histoire du traitement réservé aux demandeurs d’asile roms au Canada ? La Converse a enquêté.

Florin Iordache est arrivé au Canada il y a quatre ans en provenance de Craiova, en Roumanie, avec sa femme, Cristina Monalisa Zenalida Iordache. Ils se sont installés à Toronto, où ils ont eu deux enfants : une fille, Evelin, et un garçon, Eylen. Le 29 mars dernier, ils devaient se présenter à l’aéroport Pearson de Toronto pour être déportés vers la Roumanie. Quelques jours plus tard, la police de la réserve mohawk d’Akwesasne a repêché leurs corps dans le fleuve Saint-Laurent, à proximité de la frontière canado-américaine.

Les proches veulent que les gens sachent que les Iordache étaient une famille rom honnête. Florin était pianiste et travaillait dans les secteurs de la construction et du ménage à Toronto. Il était issu d’une famille de musiciens traditionnels roms. « Je connaissais Florin depuis qu’il était enfant. Nous nous sommes rencontrés en Italie lorsque j’habitais là-bas. Je connais sa mère et son père. C’était une famille de musiciens, ils jouaient de la musique dans la rue, dans le métro et dans les mariages pour gagner leur vie. Ils travaillaient fort pour vivre. Ils étaient honnêtes », nous dit au bout du fil Emil Julien Costache, qui vient lui aussi de Craiova et habite aujourd’hui en Californie. « Je veux que le Canada sache que c’était une famille honnête et qu’il soit sensible à ce que vivent nos communautés en Europe », ajoute Marcelone Pavel, un habitant de Toronto qui a vu la famille une semaine avant son départ.

Après quatre ans passés au Canada, la naissance de deux enfants, deux demandes d’asile, une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) refusée en 2022 et un appel de cette décision (également refusé), la famille rom faisait face à la déportation.

Le 29 mars, au lieu de se retrouver en Roumanie, les Iordache prennent le bateau vers les États-Unis. Comme d’autres demandeurs d’asile faisant face à un ordre de déportation du Canada, Florin et Monalisa, accompagnés de leur garçon d’un an et demi et de leur fille de deux ans, donnent leurs dernières économies à un passeur de Montréal qui leur promet de les amener aux États-Unis en passant par la réserve d’Akwesasne. Ayant des frères installés aux États-Unis, Florin décide de traverser le fleuve Saint-Laurent avec sa famille dans l’espoir de trouver refuge de l’autre côté de la frontière. « Son frère lui a dit d’aller le rejoindre aux États-Unis, car en Roumanie, il y a des problèmes, il y a beaucoup de racisme. C’est pour cela qu’il a pris le chemin pour aller aux États-Unis », explique Emil Julien Costache.

Devant la menace de déportation, certains risquent leur vie pour ne pas retourner en Europe. Deux semaines avant le départ des Iordache, une autre famille rom qui vivait au Canada a traversé la frontière en passant par la partie du fleuve Saint-Laurent qui se trouve dans la réserve d’Akwesasne. Cette famille se trouve actuellement aux États-Unis, nous confirme une source dans la communauté. « Lorsque les passeurs te disent qu’ils te passent par un chemin pour passer une frontière, tu ne sais pas comment il est, le chemin. Je ne savais pas comment allait être le chemin, je savais juste que j’allais vers un endroit plus sécuritaire pour mes enfants et mes petits-enfants », nous explique Emil Julien Costache, qui est entré aux États-Unis par le Mexique. Son fils est aussi arrivé du Mexique en décembre avec sa femme, qui était enceinte. Elle est tombée en traversant la frontière et a perdu son bébé.

Pourquoi ne pas retourner en Roumanie ?

Dans la ville de Craiova se trouve un des plus grands quartiers roms d’Europe. La minorité y souffre d’un grand racisme. « Lorsque des membres de nos communautés tentent d’aller à la piscine, on les refuse à l’entrée, car les Roumains estiment que nous sommes sales. Dans les restaurants, on refuse de nous servir. Tu ne peux pas prendre un taxi en tant que Rom, les chauffeurs roumains te refusent, et tu ne peux pas obtenir un emploi non plus. Il y a de la discrimination quand tu cherches un emploi, et on sait que tu es Rom, les gens refusent de t’embaucher. Même quand les Roms arrivent à se trouver un emploi, ce sont des emplois qui ne leur permettent pas de vivre convenablement. Il y a beaucoup de racisme envers les Roms en Roumanie », explique Emil, qui est un activiste de longue date.

« Beaucoup de Roms quittent le pays pour s’installer dans des pays de l’ouest de l’Europe, mais aujourd’hui, avec la mauvaise représentation des Roms dans les grands médias en Europe, lorsqu’il y a des problèmes, on blâme toujours les Roms. Nous sommes le bouc émissaire. Et c’est pour cela qu’autant de Roms veulent aller au Canada ou aux États-Unis », expose l’exilé.

C’est aussi le cas de David Laurentiu Cobzaru, arrivé en tant que demandeur d’asile rom en novembre dernier. Originaire de Bucarest, en Roumanie, David a d’abord quitté le pays pour l’Allemagne, où il a vécu pendant plusieurs années. « J’avais peur et, en même temps, j’étais fatigué de devoir prouver que j’étais un être humain », nous dit-il de Toronto, où il habite aujourd’hui. En Roumanie, la maison de David a été incendiée par l’un des ses voisins roumains. Il s’est donc rendu en Allemagne, où il a été battu dans la rue par des néonazis qui attaquaient des Roms. Ses proches ont eux aussi vu leurs maisons être brûlées par des néonazis en Allemagne. « Un néonazi a essayé de brûler la maison d’un autre de mes proches en y mettant du gaz en pleine nuit », ajoute le travailleur social de formation.

Il est très peiné par la fin tragique de la famille Iordache. David Laurentiu comprend pourquoi ces derniers ont décidé de risquer leur vie pour traverser la frontière en bateau, plutôt que de retourner en Roumanie. Le demandeur d’asile rom aimerait que l’on sache qu’il n’y a pas de justice pour les Roms en Roumanie et, plus largement, en Europe. « En Roumanie, les lois stipulent que tous sont égaux et ont les mêmes droits, mais dans la réalité, c’est autre chose. Les non-Roms nous voient comme des animaux, pas comme des êtres humains. Les gens nous discriminent, nous détestent et nous blessent. Les gens d’ici doivent savoir que nous quittons la Roumanie à cause de la discrimination. Nous sommes battus par la police, nous ne sommes pas protégés par le gouvernement, et lorsque nous, les Roms, sommes battus, discriminés ou lésés, rien n’est fait. À l’inverse, lorsqu’un Rom fait quelque chose de mal, tout le monde en parle dans les médias, et la communauté entière est blâmée. Pour ma part, je préfère rester ici et vivre dans une société de paix qui valorise mes droits que de retourner en Roumanie », nous explique le père de famille.

L’avocat Marian Mandache a travaillé pendant 20 ans en Roumanie pour un organisme de défense des droits des Roms, le CRISS. Il a plaidé dans des affaires de discours haineux contre le président, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères de la Roumanie ainsi que dans des causes de ségrégation scolaire à Craiova et d’abus policiers. « La peur et la détresse de cette famille devaient être tellement grandes s’ils étaient prêts à risquer leur vie pour ne pas retourner en Roumanie », remarque-t-il.

D’après lui, le cas de la famille Iordache prouve que le système d’immigration canadienne est brisé. « Je pense qu’on a échoué à comprendre et à analyser les circonstances de cette famille », nous dit-il. Ce qui choque Me Mandache, c’est que l’analyse de la demande d’examen des risques avant renvoi ait conclu qu’il n’y avait pas de risque à renvoyer la famille Iordache en Roumanie. « La Roumanie est un pays sécuritaire pour les citoyens roumains, mais pour la minorité rom, il ne s’agit pas d’un pays sécuritaire, car les Roms y subissent beaucoup de discrimination et de racisme. Les Roms sont parfois refusés dans les espaces publics. Ils sont plus à risque de subir de la brutalité policière et sont plus à risque d’être abandonnés par le système de justice à la suite d’incidents de brutalité policière. Les hommes roms sont plus à risque de subir des délits de fuite mortels que les non-Roms. De plus, les enfants roms sont beaucoup plus à risque d’être victimes de ségrégation raciale dans les écoles », énumère l’avocat d’origine rom en citant un récent rapport de l’Union européenne qui conclut que 50 % des enfants roms en Roumanie souffrent de ségrégation à l’école. « Ce n’est pas un climat où les Roms peuvent se sentir en sécurité », s’indigne le spécialiste.

La persécution raciale et ses conséquences

D’après Me Mandache, les demandeurs d’asile qui immigrent au Canada viennent souvent de milieux socioéconomiques défavorisés. Ces exilés subissent des persécutions raciales ou politiques. Me Mandache note que les groupes qui font face à la persécution raciale sont très vulnérables et vivent souvent sous le seuil de pauvreté. C’est notamment le cas de plusieurs demandeurs d’asile roms. Ces derniers ont peu d’éducation et de connaissances juridiques. « Ils vivent du racisme, et ce racisme est très souvent intégré et accepté dans une certaine mesure, et ils ne réalisent pas à quel point c’est dangereux et que ça les frappe. Lorsqu’ils sont rejetés par des employeurs à cause de leur ethnicité, ou quand les policiers les maltraitent, ce sont des choses qui leur arrivent quotidiennement depuis des années, rappelle Marian Mandache. Certains sont analphabètes, parfois ils ne comprennent pas à quel point il est important d’avoir accès à des rapports. Ça prend de l’argent, des connaissances, notamment des connaissances juridiques, pour défendre sa cause en cour. Ces conditions entraînent des pertes de vies humaines, comme on a pu le voir avec cette famille. »

Me Mandache se souvient d’une autre famille rom de Roumanie, en Allemagne, qui devait être déportée et qui ne voulait pas retourner en Roumanie. Cette famille a passé des années enfermée dans les bureaux de la douane allemande, sans entrer en territoire roumain. Le père a fini par se suicider. « Ils n’étaient pas équipés pour se battre dans cette bataille légale, et le système juridique et migratoire les a laissés tomber. Malheureusement, je pense que, dans le cas des Iordache, le système a échoué à leur donner une analyse juste de leurs circonstances. »

Un système qui a échoué

D’après Jen Danch, avocate de Toronto spécialisée en droit humain, la traversée irrégulière de la frontière est une conséquence directe de l’Entente sur les tiers pays sûrs. « En raison de cet accord, les lordache n’ont pas pu traverser la frontière canado-américaine à un point de passage officiel et n’ont pas non plus pu demander le statut de réfugié aux États-Unis. Au lieu de cela, ils ont été contraints de traverser les eaux traîtresses du Saint-Laurent à bord d’une petite embarcation fragile », dit-elle. « Que se passe-t-il dans ce pays pour que des enfants canadiens meurent en essayant de quitter le Canada pour aller vivre sans papiers aux États-Unis ? », poursuit l’avocate, également membre consultante de l’Alliance canadienne rom.

Elle dénonce les stratégies politiques et juridiques employées au cours des 15 dernières années par le gouvernement canadien pour empêcher les réfugiés roms d’entrer au Canada. Elle cite des exemples de ces manœuvres, dont « la campagne de panneaux publicitaires du gouvernement Harper en Hongrie en 2013 pour dissuader les demandeurs d’asile de venir au Canada et la liste, inconstitutionnelle, des pays d’origine désignés (POD), ​​adoptée en 2012, qui refusait l’asile aux Roms ».

Cette liste controversée établissait un registre de « pays sûrs » connus sous le nom de « pays d’origine désignés (POD) », dont les demandeurs d’asile étaient soumis à un traitement différent parce qu’ils provenaient de nations dites démocratiques. Une grande partie des pays de cette liste sont des pays comptant une importante population rom. Plusieurs ont dénoncé cette loi comme ciblant cette minorité. Suspendue dans son application en 2019, la liste des POD a toutefois encore des effets secondaires, estime Me Danch. « Même si la liste des POD a été éliminée, ses retombées racistes persistent toujours », déclare-t-elle. L’avocate rappelle que, depuis l’abrogation de la liste des POD, ce sont des commissaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui prennent les décisions liées aux demandes d’asile, contrairement à ce qui se faisait après l’adoption du projet de loi C-31, alors que les considérations politiques primaient. À la suite du retrait de la liste des POD, davantage de demandeurs d’asile roms ont pu avoir accès à des audiences plus justes et plus équitables. « Cependant, les attitudes biaisées qui ont été créées par la liste des POD et le message qu’elle a envoyé aux réfugiés roms qu’ils ne sont pas les bienvenus, qu’ils sont de faux réfugiés et qu’il est peu probable qu’ils gagnent leur cause persistent et ont un effet sur les demandeurs d’asile roms ainsi que sur les fonctionnaires qui traitent leurs demandes. »

Plusieurs demandes de rencontres ont été soumises au gouvernement canadien par des organismes de la société civile roms au cours des 10 dernières années. Ceux-ci exhortent le Canada à revoir le traitement réservé aux demandeurs d’asile roms et, plus largement, la situation des droits de la personne des populations roms. À ce jour, ces demandes sont demeurées sans réponse. Devant la tragédie des Iordache, la société civile rom demande au gouvernement d’agir et de soutenir les organismes roms au Canada.  

Me Mandache, avocat spécialisé en droits des Roms, incite les autorités migratoires à « comprendre que les demandeurs d’asile sont des êtres humains avant tout ». « Leurs décisions peuvent souvent être insuffisamment justifiées ou documentées. Dans plusieurs cas, le système peut être inhumain envers ces gens. Ce sont des êtres humains, ce ne sont pas des monstres, et dans plusieurs cas, on ne traite pas les demandeurs d’asile et les réfugiés humainement. Dans ce cas-ci, la question est : “Est-ce que le système canadien de justice et d’immigration a traité ces migrants avec dignité et justice ?” », demande-t-il.

Puis, après un moment de réflexion, l’avocat poursuit en rappelant que le samedi 8 avril est la Journée internationale des Roms et que celle-ci est célébrée dans le monde. Il ajoute qu’une minute de silence sera observée au cours de nombreux événements sur le continent en mémoire de la famille Iordache. « En cette Journée internationale des Roms, nous ne devons pas oublier les enjeux auxquels nous faisons face. Cette tragédie est un rappel brutal des vies quotidiennes que vivent plusieurs personnes roms. Des vies très difficiles, marquées par le racisme et la violence. Je pense que nous devons prendre un moment pour réfléchir et voir ce que nous pouvons faire en tant que population face à ces situations », conclut Marian Mandache.

La famille demande le rapatriement des corps, les autorités se renvoient la balle

Plusieurs proches de la famille Iordache ainsi que de nombreux Roms vivant au Canada nous ont parlé au cours des derniers jours. Tous demandent au gouvernement canadien d’être plus sensible à la persécution que les Roms subissent en Roumanie et en Europe de l’Est. Ils ont également évoqué la nécessité de rapatrier en Roumanie les corps des personnes décédées. Les proches des Iordache et la communauté rom recueillent de l’argent à l’église rom de Toronto pour aider la famille à rapatrier leurs corps et leur offrir des funérailles culturellement appropriées et dignes. Ils craignent que le gouvernement canadien et l’ambassade roumaine au Canada ne fassent rien pour rapatrier les corps des quatre membres de la famille en Roumanie, où les parents de Florin et de Monalisa souhaitent enterrer leurs enfants et leurs petits-enfants.

En attendant, le père de Monalisa, Florin Caldararu, qui habite en France, a demandé le rapatriement en Roumanie des corps de sa fille, de son gendre et de leurs deux enfants aux instances gouvernementales canadiennes et aux services consulaires roumains dans une lettre dont La Converse a obtenu copie. Profondément bouleversé par la perte de ses enfants, il souhaite uniquement pouvoir leur offrir un dernier adieu digne de leur mémoire.

Le ministère roumain des Affaires étrangères, par l’intermédiaire de l’ambassade de Roumanie à Ottawa, du consulat général de Roumanie à Montréal et du consulat général de Roumanie à Vancouver, confirme « suivre les développements liés à l’incident tragique » et « être en contact avec les citoyens qui déclarent être des membres de la famille des victimes [pour fournir] une assistance consulaire conformément aux pouvoirs légaux, si nécessaire ».

Cependant, à propos du rapatriement des Iordarche, l’ambassade et le consulat roumains indiquent de pas avoir reçu de confirmation au sujet de la citoyenneté des victimes. « En l’absence de cette notification, les missions roumaines ne peuvent pas prendre de mesures pour faciliter le rapatriement des corps en Roumanie », nous a répondu par courriel le ministère roumain des Affaires étrangères par l’intermédiaire des instances diplomatiques roumaines au Canada.

D’après des informations dont nous disposons, des preuves d’identification ont été envoyées à l’ambassade. Reste à savoir si le fait qu’Eylen et Evelin, les deux enfants des Iordache, soient nés au Canada représente un frein dans le traitement de cette demande de rapatriement. L’ambassade ne nous a toujours rien confirmé à cet égard.

D’après nos sources, les corps des défunts sont à la morgue de Montréal, et les autopsies sont terminées. Il est maintenant possible de libérer les dépouilles pour le rapatriement. Le bureau du coroner du Québec mène par ailleurs une enquête sur les décès. Au Consulat général de Roumanie à Montréal, des employés nous ont expliqué que le rapatriement des corps est géré par des entreprises privées qui se chargent des tâches administratives. C’est aux proches des victimes d’assumer la facture et de payer les frais de rapatriement, nous a dit une employée qui a souhaité garder l’anonymat.

Quant au rôle du consulat, il se limite aux services consulaires, notamment à la fourniture de documents et à la confirmation d’identités. Plusieurs maisons funéraires nous ont cependant indiqué que le rôle des instances consulaires en sol canadien est d’aider les familles en deuil à organiser un rapatriement en terre d’origine.

Le rapatriement d’une dépouille est un processus long et coûteux. Différents salons funéraires de Montréal, dont Alfred Dallaire Memoria, Urgel Bourgie et Aeterna, nous ont expliqué les procédures à entreprendre en cas de demande de rapatriement vers un pays étranger. Certains salons assument l’ensemble du processus de rapatriement, mais les frais de cette prise en charge sont de 10 000 $ à 15 000 $ par personne. Il faut en outre l’autorisation des pays concernés (dans ce cas-ci, le Canada doit autoriser la sortie des dépouilles, et la Roumanie doit autoriser leur arrivée et leur enterrement). Enfin, comme les documents légaux des victimes sont nécessaires, le processus implique la collaboration du consulat.

Mais une question revient parmi les proches de la famille et dans la communauté rom du Canada : si le gouvernement canadien comptait déporter les Iordache vers la Roumanie alors qu’ils étaient vivants, que compte-t-il faire avec leurs dépouilles maintenant qu’ils sont décédés ? Qui assumera les frais du rapatriement de leurs corps ? L’avocat en immigration qui a représenté la famille Iordache, Peter Ivanyi, pense que cela est de la responsabilité de l’État.

« Je ne pense pas que l’ambassade de Roumanie prendra cette demande aussi sérieusement », déclare-t-il. « Je pense que si les proches avaient les moyens de payer le rapatriement, cela aiderait le gouvernement à faciliter le processus. S’ils n’en ont pas les moyens, je pense que le gouvernement devrait le faire. Je ne pense pas qu’ils devaient être déportés ; donc, dans la situation actuelle, je comprends le sentiment de certaines personnes qui pensent que, si le gouvernement était prêt à payer pour les déporter, pourquoi il ne paie pas pour leur rapatriement ; et ultimement, peut-être qu’il le fera », déclare Peter Ivanyi.

Interrogé à ce sujet, le ministère d’Affaires mondiales Canada s’est contenté de nous répondre que « les familles et les amis des personnes décédées près d’Akwesasne sont dans [ses] pensées ». Au moment d’écrire ces lignes, Geneviève Tremblay, porte-parole d’Affaires mondiales Canada, nous confirme que l’instance est en contact avec les autorités roumaines à ce sujet, sans répondre à notre question sur la contribution financière du gouvernement canadien au rapatriement des Iordache. D’après les dernières informations dont nous disposions, Affaires mondiales Canada a rencontré l’ambassade roumaine jeudi matin (6 avril) pour faciliter le rapatriement. Reste à savoir qui devra payer la facture de cette tragédie.

*Avec les informations de Djazia Bousnina et Melissa Haouari

L’actualité à travers le dialogue.
L’actualité à travers le dialogue.