Bien connu des jeunes Montréalais, Anas Hassouna cartonne sur les réseaux sociaux avec son collègue Oussama Fares. Le jeune humoriste produit énormément de contenu pour des médiums variés avec son entreprise Fishnet. Cela va de vidéos humoristiques sur TikTok à leur émission On est là sur YouTube. Dans celle-ci, ils discutent avec différentes personnalités publiques, de Gabriel Nadeau-Dubois à Fabrice Vil.
L’École Converse a rencontré Anas Hassouna pour comprendre celui qui ramène les codes de son quartier, le Hood, à la scène.
Naila : Anas, peux-tu nous parler de ton parcours ?
Mon parcours est quand même atypique. Moi pis mon patnais, Oussama Fares, on se connaît depuis plus de 15 ans, de Montréal-Nord. Depuis tout jeunes, on sait qu’on veut faire de la joke. Après ça, j’ai déménagé à Repentigny pendant mon secondaire. Je faisais déjà de l’impro, mais là-bas, j’ai découvert la vraie impro. À partir de là, ma conseillère en orientation a appelé mes parents pour leur dire que je n’irais pas en comptabilité. Je leur avais dit que j’allais à l’École de l’humour.
Donc, à l’École de l’humour, j’ai rencontré Romane. Pis, avec mon boy Lamine et Oussama, on a commencé un collectif. Oussama pis Lamine, ils ont acheté du matériel, pis on a commencé pas vite à faire des vidéos. On s’est retrouvés à faire des vidéos devant la caméra et aussi derrière la caméra pour beaucoup d’humoristes. C’était un peu nouveau, le fait de commencer à faire des capsules. Puis, de fil en aiguille, on a commencé à travailler pour Juste pour rire. Quelques années plus tard, j’ai commencé à travailler beaucoup plus sur la scène. Oussama Fares s’est mis à la scène récemment, pis et pis, nous voici aujourd’hui.
J’étais moins à l’avant de la scène. Aujourd’hui, j’ai quand même une bonne carrière hamdoulilah. Mon parcours a quand même été compliqué parce que ce ne sont pas toutes les institutions qui sont adaptées pour recevoir le bagage qu’on peut proposer en tant qu’immigrant et tout. Voilà, c’est un très gros résumé de mon parcours.
Ahmed : Ce que je remarque, c’est que vous avez emprunté une autre voie que beaucoup d’autres humoristes membres de minorités. Que dites-vous de cela ?
Oussama et moi, on a emprunté une voie que personne d’autre ne voulait emprunter, et que personne d’autre ne pouvait, en fait, emprunter. On représente la rue. On représente en partie ça parce qu’on vient de là et tout. Notre parcours est particulier parce qu’il n’est pas mainstream. C’est dangereux parce qu’on représente des gens qui sont quand même minoritaires, et nous, on essaie d’ouvrir. On veut représenter tout le Québec, être un pont avec ces affaires-là, mais ça prend des couilles, quoi. J’ai fait des choix quand même. C’est clair, qui je représente. Donc, si ce public-là décide que je ne les représente plus, c’est mort ; parce qu’on a affiché nos couleurs.
Marc-Elder : Comment s’est déroulé ton passage à l’École de l’humour ?
Le personnel était accueillant et tout, mais ce n’était pas possible pour moi, à ce moment-là, d’exploiter les références bien montréalaises que j’ai, d’être 100 % moi-même. J’étais surtout une version… polie, atrophiée, je dirais. Une version amputée, parce que je faisais juste ce que le public québécois mainstream pouvait comprendre.
Samira : Tu ne parlais pas des choses dont tu voulais parler ?
Je n’avais personne à qui en parler, en fait. Ce n’est pas qu’on m’empêchait ou quoi que ce soit. C’est juste que j’étais avec 12 autres Blancs, pis on jouait devant un public blanc, pis on avait des profs blancs. Je ne sentais juste pas l’espace de faire ce que je fais aujourd’hui à ce moment, mais j’étais en développement aussi et tout. C’est pour ça que je veux que ce soit clair que je ne suis pas en train de dire quoi que ce soit de mal de l’École. Jamais on ne m’a poussé à faire quelque chose que je ne suis pas. J’ai eu quand même beaucoup de latitude.
Moi, dans ma tête, je me disais, si j’arrive pis je dis : « Yo, qu’est-ce que passe ? En forme, ranceuse ? » J’aurais eu 12 personnes qui me regardent avec les yeux ronds. Je n’avais pas l’espace parce que c’était un peu moins adapté. C’est bien parce que j’ai eu la chance de faire quelque chose qui n’avait pas encore été fait. C’est vrai que faut faire attention avec l’humour. Quand tu fais de l’humour devant des Blancs, pis tu parles de ta partie ethnique, c’est pernicieux. Tu peux finir par desservir les gens que tu représentes. Il faut faire attention avant de jeter la pierre à l’artiste.
Ahmed : Qu’est-ce qui t’inspire ?
Ce qui nous inspire, c’est la vie de tous les jours, c’est de là où on vient, man. C’est une mère immigrante qui fait survivre sa famille. Ce sont nos parents. Ce sont nos parcours. C’est le parcours des gens autour de nous. C’est des choses vraiment atypiques.
Tu viens du Hood, tu vois des choses que tu ne verrais pas ailleurs, surtout en tant que fils d’immigré. Moi, ce qui m’inspire, c’est mes parents en vérité. Plus j’avance, plus c’est ça. Mes parents, c’est le classique. Ce sont deux personnes qui ont travaillé très fort, pis ils t’élèvent là-dedans, pis ils t’expliquent le racisme, pis comment tu le vis. Moi, mon père m’a toujours dit : « Il faut que tu sois deux fois ou trois fois meilleur que les autres, sinon ils vont les prendre quand même. »
Marc-Elder : Comment tes parents ont-ils vécu ton choix de carrière ?
Mes parents, que Dieu me les garde, étaient très fâchés que j’aille en humour. Comme de bons parents. Si tu as des parents qui t’encouragent dès le début quand tu leur dis que tu vas aller en humour, je pense que tu n’as pas de très bons parents. Ou alors, ils sont riches. Mais moi, mes parents n’étaient pas d’accord, et c’est normal. Ils ont immigré ici. Ils ont souffert le martyre pour venir ici et c’est vraiment plus difficile qu’on le pense, d’immigrer ici. Puis là, tu leur dis que tu veux être humoriste – c’est très moyen. Ils devaient s’en douter. J’ai toujours fait de l’impro. J’ai toujours eu des problèmes parce que je parle trop. Mais ils avaient des attentes, parce que j’avais de bonnes notes. J’ai un peu brisé leurs attentes, mais aujourd’hui, ils sont contents. Ils commencent à avoir hâte que je perce. Ma mère est venue au dernier Olympia que j’ai fait.
Aujourd’hui, mes parents sont mes plus grands supporters.
Samira : Qui sont les humoristes qui vous inspirent ?
C’est large. J’ai écouté beaucoup d’humour québécois. Avant Rachid Badouri, il y avait Laurent Paquin, Mario Jean pour l’humour québécois, et à l’international, il y avait Jamal, Dieudonné quand c’était halal de l’écouter. J’étais un geek. J’écoutais de tout. Mais quand Rachid Badouri est arrivé, ça a tout changé [...] Le Québec n’était pas prêt au niveau de Rachid. Ça prenait un Rachid, un Arabe sympathique, qui danse et tout… et qui est très drôle sur des sujets légers. Il ne pouvait pas être un Guillaume Wagner arabe, mettons, dès le début. Ça n’aurait jamais fonctionné.
Fatima : Vous vous sentez barré des fois ?
Ça existe, mais c’est aussi parce qu’on est indépendant, pis qu’on a refusé de prendre les chemins de la grosse machine. On s’est fait approcher plusieurs fois par ça. Il y a l’indépendance, pis le fait qu’il y a du racisme au Québec qui est 100 % présent, pis si t’es un Noir ou un Arabe, on va te mettre des bâtons dans les roues. Pas nécessairement t’empêcher, mais te mettre des bâtons dans les roues. Il y a un plafond de verre. Il est en béton, en fait, le plafond.
Samira : Certains humoristes comme Arnaud Soly ou Virginie Despentes revendiquent pleinement un humour engagé. Est-ce que tu dirais que c’est plus difficile pour toi d’adopter ce type d’humour-là ?
Il faut que je fasse attention, dépendamment de ce dont on parle, parce que, mettons, si je dis quelque chose qui ne plaît pas à la communauté québécoise de souche, je suis un révolté extrémiste gauchiste. Et si je dis quelque chose qui ne plaît pas dans ma communauté, je suis un vendu. Donc, ouais. 100 %. Je suis toujours entre l’arbre et l’écorce. Absolument.
Marc-Elder : Dans le fond, est-ce que tu penses que tu n’aurais pas le droit d’aller aussi loin que Mike Ward ?
Moi, c’est clair. Déjà, Mike Ward, on trouve qu’il n’a pas le droit d’aller aussi loin que Mike Ward ! Si t’es Arabe, c’est pire. Si tu viens d’ailleurs, c’est 100 % pire. Je me rappelle plus c’est quelle étude qui est sortie sur le fait que, mettons, les policiers ou des gens en situation de pouvoir ont toujours tendance à être plus indulgent avec des blancs qu’avec des Noirs pour la même chose. C’est 100 % vrai pour moi aussi.
Samira : Est-ce que tu penses que percer dans le milieu de l’humour est possible quand on ne vient pas d’un milieu aisé ?
Non, je trouve que nous [Anas et Oussama] sommes la preuve que non. Mes parents m’ont aidé pour payer mon École de l’humour. Ils avaient un salaire qui me permettait d’avoir accès à des prêts et bourses. Mais l’humour, c’est l’art du peuple. À partir du moment où tu peux parler aux gens sur Instagram, sur ton téléphone, et que tu as un stylo et une feuille sur laquelle tu peux écrire des blagues et les essayer. Être nanti, ça aide dans tout, mais ce n’est pas nécessaire dans l’humour.
Marc-Elder : Penses-tu qu’on peut rire de tout ?
Je pense que, la limite, c’est si les gens concernés rient. C’est vraiment la seule limite que je veille à respecter.
Fatima : Pourquoi ton entreprise s’appelle-t-elle Fishnet ?
Il y a un rappeur originaire de Montréal-Nord qui s’appelle Telus. Il disait souvent : « Fish cale, rich cale. Toutes mes finzs dansent. » Fish cale représente la drogue, et les finzs, ça représente les consommateurs, les accros. Et nous, nous nous voyons comme si on faisait de la vente de drogue. On est des dealers de jokes. C’est pour ça qu’on a fait ce parallèle-là. On a vraiment un parcours inspiré du rap. Ç’a toujours été à propos du fait d’être un crew. Et le nom « Fishnet » nous vient des mots « Fiscale ».
Naila : Est-ce que vous recevez beaucoup de commentaires de gens qui vous disent que vous les représentez dans ce que vous faites ?
Oui et on est là, c’est comme ramener le Hood, mais dans une grosse production, bien montée, avec des entrevues et des gens qui ne viennent pas nécessairement du Hood. Avec l’émission, on est là, nous avons beaucoup reçu le commentaire : « Vous nous représentez. » Et c’est bien, d’être représenté en dehors de la religion et pour les mauvaises raisons. C’est celui qui fait le plus plaisir, après « Tu es drôle ».
Ahmed : Pour les jeunes de Montréal-Nord et de Saint-Michel qui te suivent, qu’est-ce que tu penses que ton parcours peut leur léguer ?
Ça peut leur léguer l’impression qu’ils peuvent y arriver aussi, parce qu’on est partis de rien. Et surtout, ça peut leur donner l’envie de le faire. Et un seul conseil que j’ai envie de donner à qui que ce soit, peu importe le domaine, c’est : fais-le le plus tôt possible ; juste fais-le, même si tu es mauvais, fais-le ; et si c’est ce que tu veux faire, fais-le. Il n’y a rien de mieux que l’expérience. Ça ne marchera peut-être pas tout de suite, ça ne marchera peut-être pas dans six ans ou sept ans, car il faut que tu aimes ça assez pour affronter cette réalité, mais fais-le. Car si ça marche, toi, tu vas réaliser que ces années où il n’y avait pas de résultat, en fait, elles sont vraiment importantes, car il n’y a rien qui remplace l’expérience.