Génocide : les dessous d’un mot puissant et complexe
Sur les réseaux sociaux comme sur le reste de la Toile, au Canada et ailleurs dans le monde, plusieurs dignitaires, chercheurs, organisations et membres de la société civile qualifient les attaques israéliennes lancées depuis le 8 octobre de prélude à un « génocide ». Cela n’est pas sans causer des débats houleux dans l’espace public et au sein de la classe politique. Des spécialistes appellent pourtant dans des médias occidentaux à ne pas utiliser ce terme dans l’immédiat. Malgré tout, les massacres en cours à Gaza sont quotidiennement qualifiés de « génocide ». Le terme semble persister dans les esprits. Comment expliquer ce paradoxe ? Et est-ce qu’un génocide se déroule actuellement sous nos yeux ?
D’autre part, quand peut-on faire appel à ce concept juridique et quelles en sont les limites ? La Converse a tendu le micro à des experts afin de démêler les fils de cet enjeu aux ramifications complexes.
Qui parle de génocide et pourquoi ?
À Gaza, plusieurs journalistes locaux documentent quotidiennement le sort de leur peuple depuis les attaques du Hamas en Israël. Entre les interruptions de courant et l’impossibilité d’accéder régulièrement à Internet, leurs reportages font découvrir au reste du monde l’enfer dans lequel est plongée cette petite bande de terre depuis le 8 octobre. Bombardements incessants, manque d’eau et de nourriture, soins de santé et d’urgence limités, voire inexistants, déplacements forcés, familles décimées… la peur et l’insécurité rôdent.
Le 21 novembre, 5 journalistes palestiniens relaient un message signé par leur collègue Yara Eid sur le réseau Instagram. Vidéos à l’appui, cette dernière y lance un cri du cœur : « Gaza se fait toujours anéantir. [...] Nous avons besoin que vous demandiez un cessez-le-feu permanent. Nous avons encore besoin que vous demandiez de mettre fin à ce génocide. »
Au même moment, côté israélien, plusieurs élus tiennent publiquement des propos déshumanisants à l’endroit des Palestiniens et se félicitent du sort qui les attend. « Nous combattons des animaux humains », déclare par exemple le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, le 9 octobre. Ghassan Alian, un haut général de Netanyahou, reprend quelques jours plus tard la même expression et ajoute une promesse de « destruction » et d’« enfer ».
Le 28 octobre, le média Mekomit révélait le contenu d’un document du ministère israélien du Renseignement recommandant le transfert forcé des 2,2 millions d’habitants de Gaza vers le mont Sinaï, en Égypte, réveillant les craintes d’un nettoyage ethnique chez plusieurs observateurs.
Pour les journalistes de Gaza et nombre de défenseurs des droits humains, ces propos et ces révélations ne laissent aucun doute sur le fait que les attaques en cours relèvent du génocide.
Du côté des manifestants qui se réunissent chaque semaine depuis le début de l’assaut israélien, les mots de Yara Eid sont repris et scandés haut et fort. À Montréal, les pancartes et les chants répètent la même chose : « Un cessez-le-feu maintenant ! Mettez fin au génocide immédiatement ! »
Parmi la foule montréalaise, nous croisons Rama El-Malah, qui est d’origine palestinienne. Elle fait partie des organisateurs du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM). L’étudiante vit intensément les attaques qui ciblent les siens depuis plus d’un mois. « Cela a été très difficile, c’est certain. Je pense que tous les membres de la communauté peuvent en témoigner. Chacun y fait face à sa manière. Certaines personnes sont en deuil, en particulier celles qui ont de la famille à Gaza… C’est une réaction tout à fait normale. D’autres ont continué à s’organiser. »
Elle s’inquiète du sort des Palestiniens de l’ensemble des territoires occupés, alors qu’on recense aussi une hausse des attaques contre les civils en Cisjordanie. « Tous les yeux sont rivés sur Gaza, mais ça va de soi en raison du génocide qui s’y déroule présentement. »
Aux quatre coins du monde, d’autres voix s’élèvent pour parler d’un génocide imminent ou en cours sur le territoire gazaoui. Parmi eux, plus de 800 chercheurs et praticiens en droit international et en études des conflits et des génocides, qui signent une déclaration collective le 15 octobre pour tirer la sonnette d’alarme, disant craindre qu’un génocide soit en cours à Gaza.
À leur suite, les Nations unies évoquent « un risque de génocide à Gaza », le 2 novembre. Des experts de l’ONU expriment leurs préoccupations au sujet de graves violations commises contre des Palestiniens. Celles-ci sont « un renforcement de l’incitation au génocide », selon ce groupe d’experts.
À Paris, deux mois après le début des attaques sur Gaza, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) adopte une résolution qui reconnaît « le génocide en cours » du peuple palestinien et presse la communauté internationale de tout faire pour l’arrêter.
Plusieurs semaines auparavant, l’avocat spécialisé en droits humains Craig Mokhiber a quitté avec fracas son poste de directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits humains pour signifier son désarroi face à l’inaction de l’ONU. Selon lui, la situation à Gaza relève « d’un cas typique de génocide ».
Dans sa lettre, M. Mokhiber – qui a également travaillé sur les génocides subis par les Tutsis, les Yazidis, les musulmans bosniaques et les Rohingyas – évoque « le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans la continuité de décennies de persécution et d’épuration systématiques, entièrement fondées sur leur statut d’Arabes, et associé à des déclarations d’intention explicites de la part des dirigeants du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat ».
L’avocat interpelle les grandes puissances occidentales, qui « facilitent le génocide » en soutenant Israël économiquement et militairement, et en refusent d’assurer le respect des conventions de Genève. Il reproche aussi aux médias corporatifs de ces pays d’être complices de la déshumanisation continuelle du peuple palestinien, et de diffuser « de la propagande pour la guerre et l’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse ».
Cette sortie publique pour sonner l’alarme contre ce que plusieurs considèrent être un génocide à Gaza se joint à celle de plusieurs voix juives, dont Gabor Maté, un Canadien dont les parents sont des survivants de l’Holocauste. L’auteur et médecin admet n’avoir « jamais vu de telles atrocités, commises au vu de tous à la télé, et où les victimes sont présentées comme l’agresseur ».
Qu’est-ce qu’un génocide ?
Le mot génocide relève d’abord et avant tout d’un cadre juridique, celui du droit international. Le terme est défini dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, rédigée en 1946. Il correspond « à l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », au moyen de l’un ou l’autre de ces cinq actes :
a) Meurtre de membres du groupe
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe
Pour qu’un événement de violence de masse puisse être officiellement reconnu comme tel, il faut qu’une cour de justice prononce un verdict jugeant qu’il y a eu génocide. Les seules instances habilitées à juger ce type de crime sont la Cour pénale internationale (CPI), certains tribunaux nationaux des pays membres de la CPI ou encore les tribunaux internationaux mis en place à la suite de résolutions votées par l’ONU. Le plus souvent, ce sont plusieurs années après les faits que justice est rendue : dans le cas de l’ex-Yougoslavie, c’est en 2004 – soit neuf ans après les massacres – que la décision est tombée.
Pour les juristes appelés à statuer sur un possible génocide, la principale difficulté consiste à établir le motif d’intention. C’est cette intention spéciale qui distingue le crime de génocide des autres crimes internationaux.
Pour ce qui est de la situation prévalant actuellement dans la zone israélo-palestinienne, le procureur en chef de la CPI, Karim Khan, s’est récemment déplacé en Israël et à Ramallah. Le 3 décembre dernier, il a affirmé que son bureau documentait les attaques israéliennes et celles du Hamas pour enquêter sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité, en dépit du fait qu’Israël ne soit pas membre de la CPI, au contraire de l’Autorité palestinienne. Pour l’heure, la CPI n’a pas indiqué vouloir entamer des démarches pour investiguer les allégations de génocide en Palestine.
Prouver l’intentionnalité
Selon le professeur A. Dirk Moses, historien spécialisé en études des génocides et éditeur de la revue Journal of Genocide, la définition même du terme « génocide » est limitative, ce qui rend son emploi difficile devant les tribunaux internationaux.
En effet, aux yeux du droit international, et comme nous l’avons dit plus haut, il y a génocide lorsqu’un ou l’autre des actes visés est « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Pour le professeur, la mention « comme tel » vient restreindre le champ d’application et d’interprétation d’événements de violence de masse.
« Pour dire que l’on est face à un génocide, il faut prouver que l’un des actes ciblés a été commis à l’encontre de membres d’un groupe uniquement parce qu’ils sont membres d’un groupe. » Les États pourront donc affirmer qu’ils ont attaqué des membres de ce groupe non pas parce que ceux-ci en font partie, mais parce qu’ils étaient soupçonnés de participer à une insurrection.
Selon lui, il est donc très facile pour les États de nier le caractère génocidaire de leurs attaques : « Ils affirment que leur comportement est motivé par une logique militaire ou sécuritaire de victoire, plutôt que par une logique destructrice de génocide. »
Le caractère restrictif du terme existerait à dessein, afin de protéger la souveraineté des États face à la Convention, précise le chercheur. Selon lui, les premiers États signataires ont sciemment introduit une faille dans le cadre de définition du génocide pour pouvoir recourir à la violence et défendre leurs intérêts en toute impunité.
« Les États [...] veulent être en mesure de mener le genre de guerre que les Israéliens font aujourd’hui, ou que les Américains ont mené en Corée dans les années 1950 et au Vietnam dans les années 1960 et 1970, ou les Russes en Tchétchénie dans les années 1990. [...] En d’autres termes, des attaques violentes sur la population civile dans le contexte d’une guerre civile. »
Un levier politique
Dans ce contexte, quel poids ont les voix qui dénoncent un génocide en cours et montrent du doigt l’État hébreu et ses alliés, comme celle du président de la Colombie Gustavo Petro ou, plus près de nous, celle de la députée ontarienne Sarah Jama ? Leur crainte est-elle fondée ?
De l’avis de l’historien, les pouvoirs occidentaux sont peu enclins à se ranger derrière les sympathisants de la cause palestinienne qui dénoncent un génocide. Après tout, rappelle-t-il, le concept juridique de génocide a été modelé d’après les atrocités perpétrées lors de l’Holocauste, et la mémoire de cet événement reste forte. Le poids symbolique du passé pèse donc lourd dans la balance. « En quelque sorte, les Juifs sont les victimes ultimes du génocide. Ils ne peuvent donc pas être les auteurs d’un événement semblable à l’Holocauste. »
Malgré cette conjoncture particulière, M. Moses remarque que cette difficulté à obtenir de la reconnaissance est le plus souvent le sort de peuples du Sud global. À l’inverse, l’attention médiatique et le soutien populaire en Occident se sont rapidement concentrés sur la guerre en Ukraine. Deux mois après le début des hostilités, en février 2021, le président des États-Unis, Joe Biden, a employé le terme pour qualifier l’invasion russe en Ukraine. Le premier ministre Justin Trudeau s’est par la suite inquiété de voir l’escalade de violences « ressembler de plus en plus à un génocide ».
Rappelons que la CPI a émis en mars dernier un mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine, pour crimes de guerre, deux semaines seulement après que le bureau du procureur en chef de la CPI eut annoncé ouvrir un dossier pour investiguer des allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.
Tout cela illustre l’aspect colonial et racial du concept, croit le professeur. Il cite en exemple la guerre au Biafra (1967-1970), qui a fait plus de 3 millions de morts. À l’époque, un mouvement de solidarité demandait à « mettre fin au génocide ». Mais le viol systématique de femmes, les morts par milliers ou le recours délibéré à un siège pour priver les populations civiles du Biafra d’eau ou de nourriture n’ont pas été des éléments retenus pour qualifier ces atrocités de génocide, ni au moment des faits, ni à ce jour.
Le génocide apparaît ainsi comme « le crime international par excellence ». Mais la barre est haute pour que l’horreur soit qualifiée ainsi.
« Pour les peuples colonisés, il est difficile de revendiquer le fait qu’ils sont victimes d’une destruction. C’est évidemment un concept puissant pour les groupes de victimes parce qu’il est considéré comme le crime des crimes en droit international, et si vous pouvez argumenter avec succès, si vous pouvez convaincre les gens que vous êtes victime d’une campagne génocidaire, alors vous obtenez une reconnaissance et, peut-être, une intervention. »
Devant ce dédale politique, M. Moses s’interroge sur la hiérarchisation des différents crimes internationaux : il est « grotesque » que ces catégorisations fassent en sorte que d’innombrables tragédies se produisent sans qu’on en fasse grand cas. Peu importe vers quel groupe elle est dirigée, « la violence de masse devrait provoquer un émoi assez fort pour être au cœur des préoccupations des acteurs internationaux et être enrayée par une réponse rapide et appropriée ».
Colonialisme de peuplement et processus génocidaire
Au lendemain des attaques perpétrées par le Hamas, le 7 octobre dernier, la majorité des grands médias occidentaux se sont concentrés exclusivement sur la condamnation du Hamas. Toutefois, plusieurs ont décrié le manque de contexte historique pour comprendre les causes profondes de cet événement traumatique pour Israël, qui a également été le déclencheur d’une série de massacres dans le territoire gazaoui.
Selon Michaël Séguin, professeur adjoint à l’Université Saint-Paul et sociologue des relations ethniques de formation, l’histoire du conflit israélo-palestinien s’inscrit dans un processus de colonialisme de peuplement. Or, ces décennies d’attaques répétées dans la bande de Gaza sur fond d’occupation par l’État hébreu présentent toutes les caractéristiques d’un processus génocidaire. L’assaut israélien ne serait que la pointe d’un iceberg submergé dans le temps.
À la fin du 19e siècle et au début du 20e, les artisans du sionisme politique font alliance avec de grandes puissances occidentales, notamment la Grande-Bretagne (1917). Ainsi, en dépit de l’Holocauste et de la tragique répression des juifs en Europe, « l’État d’Israël est une construction sponsorisée par les Occidentaux, qui repose sur l’appropriation graduelle des terres palestiniennes », rappelle le professeur.
Avant l’arrivée de colons juifs européens, une relative harmonie existait sous l’Empire ottoman entre les communautés chrétiennes et musulmanes qui vivaient en Palestine aux côtés des Juifs. Sous le mandat britannique (1920-1948), le processus d’accaparement du territoire s’intensifie et culmine en 1947 avec le partage inéquitable du territoire historique palestinien.
L’année 1948 marque la création de l’État d’Israël et un tournant dans les relations entre les deux peuples. « Dans la guerre qui s’ensuit – que les Israéliens désignent comme la guerre d’indépendance, et les Palestiniens comme al-Nakba (la catastrophe) –, 750 000 Palestiniens deviennent réfugiés et 500 de leurs villages sont détruits par le nouvel État. Aujourd’hui, les trois quarts des résidents de Gaza sont eux-mêmes des réfugiés et des descendants de réfugiés de la campagne de nettoyage ethnique de 1948 », précise M. Séguin.
Au lendemain de la Nakba, Israël détient 78 % du territoire palestinien. Il ne laisse sous contrôle arabe que les enclaves que sont la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza. En 1967, Israël poursuit son expansion sur ces territoires.
En 2002, le jeune État entame l’édification d’un mur entre lui et la Cisjordanie, qualifié de « mur d’apartheid » par les militants de la cause palestinienne. Plusieurs colonies israéliennes s’installent le long du mur, au détriment de cultivateurs palestiniens qui se voient dépossédés de leurs terres agricoles. À compter de 2007, en réaction à l’élection du Hamas, Israël entame le siège de la bande de Gaza : contrôle des allées et venues des civils palestiniens ainsi que surveillance des voies aériennes et de l’accès à la mer.
Selon un rapport d’Amnistie internationale de 2022, cette situation s’apparente à un régime d’apartheid. « Dans ce contexte, il est inévitable qu’il y ait une résistance qui émerge et qui, la plupart du temps, soit relativement pacifique, comme on l’a vu lors des vendredis pacifiques de la Marche du retour. Mais parfois, cette résistance prend périodiquement des formes armées, avec tout son lot de drames pour ceux et celles qui en sont victimes », avance M. Séguin.
Mais qu’en est-il des accusations de génocide à Gaza à l’encontre d’Israël ? « Le colonialisme de peuplement repose sur un processus d’effacement de la présence de peuples autochtones pour implanter un peuple colonisateur à sa place (...). Cela repose sur un processus génocidaire, ça, je ne l’invente pas, c’est documenté*. On est dans la longue durée en Israël-Palestine : on est devant un processus de remplacement des populations qui conduit au nettoyage ethnique et, ultimement, au génocide », poursuit M. Séguin.
Cela n’indique pas forcément que l’on soit face à un gouvernement qui a planifié de longue date la disparition immédiate des 2,2 millions de Gazaouis qui vivent sur un territoire grand comme l’île de Montréal, nuance toutefois le chercheur.
Réactions de la communauté internationale
Sur la scène internationale, il serait surprenant que des pays comme l’Australie, les États-Unis ou le Canada – qui ont tous une histoire coloniale et sont régulièrement taxés d’être des puissances génocidaires à l’encontre des populations autochtones qui vivent à l’intérieur de leurs frontières – choisissent d’adopter une position allant contre les intérêts d’Israël.
La solidarité entre Israël et le Canada ne date pas d’hier, et le pays multiplie les partenariats économiques et les marques d’alliance avec Israël depuis le début de l’ère de Justin Trudeau, rappelle M. Séguin. « Le Canada n’a pas de droit de veto à l’ONU, mais depuis au moins une bonne vingtaine d’années et à chaque fois qu’il y a une motion qui condamne l’occupation et la colonisation d’Israël, le Canada s’oppose systématiquement et encore plus que les États-Unis à tout ce qui peut être une condamnation explicite d’Israël. »
Dans une déclaration conjointe avec les dirigeants de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie datée du 11 décembre, le premier ministre canadien a cependant fait volte-face en déclarant se ranger derrière les membres de la communauté internationale et réclamer un cessez-le-feu permanent. Le Canada avait auparavant plaidé en faveur de pauses humanitaires.
Le regard d’un survivant de génocide
Les échos qui nous parviennent de Gaza résonnent d’une façon particulière pour les survivants de violences de masse, de crimes de guerre et de génocides.
C’est le cas de Pierre*, un survivant du génocide rwandais installé au Canada depuis plusieurs années. Visage affable, voix posée et ton philosophe par la force des choses, l’orateur a plus d’une fois partagé son histoire pour honorer sa promesse de cultiver le devoir de mémoire.
Obtenir la reconnaissance d’un génocide, c’est devenir David et se frotter contre Goliath, explique Pierre. Lui qui a suivi de près les développements menant à la comparution en justice des complices et des responsables des atrocités perpétrées en 1994 au Rwanda se rappelle combien ces épisodes judiciaires ont été une suite de montagnes russes entrecoupées de frustrations.
« Qu’on parle de génocide ou de crimes de guerre, (...) la loi est politique. C’est un terrain miné. Des puissances comme les États-Unis ou le Royaume-Uni ne pointeront pas du doigt un autre État si cela ne sert pas leurs intérêts. Si c’est le cas, ils y consacreront des ressources et useront de leur influence pour que cela se produise. »
Il évoque aussi la difficulté de monter un dossier pour prouver un génocide devant une cour de justice. « Dans le cas du Rwanda, les faits étaient clairs comme de l’eau de roche, mais ils ont été accueillis par une ligne dure, et nous avons quand même dû passer par tout le processus. Il n’y a que très peu de consensus à ce sujet. »
Au sujet de la situation qui prévaut actuellement dans la zone israélo-palestinienne, il tient à préciser une chose : « En tant que survivant d’un génocide, j’ai bien sûr beaucoup de compassion pour le peuple juif et ce qu’il a enduré en tant que peuple. L’antisémitisme existe depuis des siècles, et il est toujours présent dans nos sociétés. Mais la ligne de démarcation entre le statut de victime et celui d’agresseur est mince, et des changements dans l’histoire sont possibles. »
Même s’il considère qu’il est vain de mobiliser le mot « génocide » en raison de sa forte charge politique, Pierre croit à la nécessité de tirer la sonnette d’alarme pour prévenir la perte de vies humaines. « Je pense que les gens ont raison d’exiger un cessez-le-feu. Je condamne avec la plus grande fermeté les actions d’Israël. Ce qui se passe sous nos yeux est une réponse disproportionnée à la colère d’une nation qui a été humiliée en premier lieu. »
« J’espère que la paix prévaudra et que les armes se tairont », conclut-il.
L’hécatombe des deux derniers mois est sans précédent dans l’histoire du conflit. Au moment de publier ces lignes, selon les informations rapportées par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, on compte près de 1,9 million de personnes déplacées et près de 18 000 morts civils à Gaza, ce qui dépasse les chiffres de la Nakba. Le nombre de victimes civiles du côté israélien a quant à lui été révisé à la baisse et établi à 1 200 morts. Environ 135 otages demeurent captifs à la suite de l’attaque du Hamas du 7 octobre.
Pour aller plus loin :
En français : Génocide ouïghour : émergence d’un consensus scientifiqueLa modification coercitive du peuplement
En anglais : Knowing and Not Knowing: Canada, Indigenous Rights, Israel and Palestine — Michael Keefer
* En français : https://www.uyghur-institute.org/wp-content/uploads/2022/07/Article-genocide-en-Region-ouighoure-vf.pdf
En anglais : https://www.michaelkeefer.com/blog/2019/4/25/knowing-and-not-knowing-canada-indigenous-people-israel-and-palestine