76 ans d’existence israélienne, 76 ans de résistance palestinienne
Mardi 14 mai. Une foule où dominent les teintes de bleu et de blanc remplit l’espace de la place du Canada, au centre-ville de Montréal. À quelques rues de là, on peut entendre la musique festive qui provient de la scène et des enceintes de la célébration du 76e anniversaire de l’Indépendance d’Israël.
Alors que certains célèbrent, d’autres font leur deuil. De l’autre côté du boulevard René-Lévesque, au square Dorchester, des manifestants ont organisé une contre-manifestation. Si l’indépendance d’Israël signifie pour beaucoup la liberté et l’affranchissement d’une communauté à qui revient pleinement le droit d’exister, elle rappelle à d’autres la triste Nakba, ou « catastrophe » en arabe – l’exode au cours duquel des centaines de milliers de Palestiniens ont dû quitter leur terre natale et partir vivre en exil.
Au centre de ces deux réalités, Montréal réagit. Des policiers sont déployés sur place et établissent un périmètre de sécurité de chacun des côtés du boulevard, s’assurant ainsi du maintien de la paix entre les deux rassemblements. Mais qui sont ces personnes qui se déplacent, malgré la pluie et le mauvais temps, pour célébrer Israël ou pour commémorer la Nakba ? La Converse s’est rendue sur les lieux pour tenter de comprendre ce qui pousse ces Montréalais à se mobiliser, les uns pour les Israéliens, les autres pour les Palestiniens.
« Nous ne sommes pas seulement pro-Israël, nous sommes Israël ! »
« Aujourd’hui, nous célébrons la victoire d’Israël contre l’Empire britannique, lorsque nous avons libéré nos terres ancestrales », crie l’activiste montréalaise Ysabella Hazan devant une foule enflammée. «Nous ne sommes pas seulement pro-Israël, nous sommes Israël ! » ajoute-t-elle d’une voix ferme.
Sur la scène érigée au milieu, des centaines de personnes applaudissent et chantent. Malgré la pluie, tous se sont réunis pour entendre les discours d’Ysabella Hazan et de Jeremy Levi, le maire de Hampstead, sur la solidarité israélienne.
Dans un Montréal tendu, surtout depuis quelques semaines où des campements pro-palestiniens ont été érigés sur le terrain de certaines universités de la ville, beaucoup de gens sur place font état de l’importance, pour eux, d’assister à la célébration. « Ça fait six mois que les Juifs ont peur de sortir », nous dit Josh, un jeune homme participant aux célébrations. « Les étudiants ont peur d’aller à l’école. On a peur d’aller au centre-ville, d’aller en cours, de faire des activités… Alors aujourd’hui, on montre qu’on est là et qu’on est fiers d’être Juifs », ajoute-t-il.
Julien, un autre étudiant de confession juive, s’est rendu sur les lieux afin de célébrer son héritage. Il estime que l’atmosphère est tendue à son université. « J’ai entendu beaucoup d’histoires et je vois beaucoup de choses. Je vois des étiquettes partout. C’est très intimidant », confie-t-il, préoccupé.
Malgré tout, il reste optimiste : « Il faut rester fier, il faut rester courageux. Si on croit bien en Israël, il ne faut pas baisser les bras et se cacher. »
Distinguer judaïsme et sionisme
Au même moment, de l’autre côté du boulevard René-Lévesque, l’atmosphère semble plus sombre. Ce n’est pas dû seulement aux arbres, plus nombreux, du square Dorchester qui surplombent la place, mais aussi aux visages plus tristes, plus austères des gens.
La foule est plus petite, mais le message est lourd. Les slogans « Palestine libre » et « Oui au judaïsme, non au sionisme » se font entendre, scandés dans des mégaphones par des militants.
En première ligne, le rabbin Dovid Feldman lève fièrement sa pancarte, où l’on voit un drapeau israélien barré d’un trait rouge vif. Il est accompagné de trois de ses collègues, tous membres de l’organisme Jews United Against Zionism (Juifs unis contre le sionisme).
« Nous sommes-là par tristesse » – tels sont les premiers mots adressés par le rabbin Feldman, porte-parole de son organisation. Il nous confie qu’il est originaire de New York et qu’il est venu spécialement à Montréal pour commémorer la Nakba et dénoncer la situation à Gaza.
Outré par la célébration israélienne, qui se déroule à quelques dizaines de mètres à peine de lui, le New-Yorkais dit être « troublé et dérangé par l’événement d’en face ». Il s’explique : « Il n’y a rien à célébrer. C’est triste. Lorsque nous assistons à un génocide qui dure depuis sept mois à Gaza et où des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents sont assassinés en masse, il n’y a rien à fêter », déclare-t-il d’une traite.
Sur la même lancée, il ajoute qu’« il ne s’agit pas seulement d’une violation du droit international, mais aussi d’une violation du judaïsme ». Le leader religieux estime d’ailleurs que « condamner ces crimes n’a rien d’antisémite, comme on pourrait parfois le croire. C’est une cause juste, quels qu’en soient les auteurs ! »
Commémorer 1948
Mercredi 15 mai. Au lendemain des célébrations entourant l’indépendance d’Israël, des centaines de manifestants se réunissent de nouveau au square Dorchester, cette fois pour commémorer la Nakba, la dépossession territoriale des Palestiniens non juifs en 1948.
Alors que la foule se rassemble avant d’entamer un parcours dans les rues de la métropole, un porte-parole de l’organisation de la marche s’exclame : « La Nakba sera renommée “Jour de la résistance palestinienne” ! »
Parmi les manifestants, il y a Yara, une étudiante d’origine palestinienne. Aujourd’hui, elle se sent « accablée ». Environnée par le bruit et suivant le mouvement de la marche, elle nous raconte que ses grands-parents ont été expulsés de Palestine en 1948. « Ma mère est originaire de Gaza. J’y avais d’ailleurs de la famille. Aujourd’hui, certains d’entre eux, comme ma tante et mes cousins, se sont réfugiés en Égypte », rapporte-t-elle.
Plus jeune, elle était entourée d’amis qui passaient leurs vacances dans leur pays d’origine lors des vacances estivales. « Tout le monde avait hâte de retourner en France ou au Liban, par exemple, pour passer du temps avec sa famille. J’ai toujours été la seule qui n’avait nulle part où aller. C’était très frustrant », se rappelle-t-elle.
Accompagnée de son amie, Yara raconte les dommages que les conflits entre les pays arabes et Israël ont causés. Aujourd’hui, elle perçoit le mouvement de libération comme un processus continu. « C’est une bataille qui se poursuit. Et cette bataille doit continuer jusqu’à ce que la Palestine soit libre », dit-elle.
Ihmayed Ali connaît bien la résistance palestinienne. Il participe à la manifestation en compagnie de sa sœur et de certains de ses proches.
« Je suis ici, car je suis un témoin palestinien de la catastrophe, dit-il. Ma famille a été expulsée de Palestine en 1948. Elle s’est enfuie vers le nord, puis au Liban, avant de vivre dans un camp de réfugiés, là où je suis né. »
Lorsque Ihmayedl était enfant, lui et sa famille n’avaient pas accès à beaucoup de ressources en tant que réfugiés. « Je me souviens que nous vivions tous dans une pièce, sans électricité. Nous n’avions ni cuisine ni salle de bain, rien. Il n’y avait aucun soutien, aucune aide, à part de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) qui nous procurait des produits de base, comme de la nourriture et des médicaments », se souvient-il.
Le père de famille a choisi d’immigrer au Canada pour donner à ses enfants une meilleure éducation. Il dit que ses enfants ont plus de possibilités ici, mais il désire toujours pouvoir retrouver un jour sa terre natale. « Nous sommes ici aujourd’hui pour dire à tout le monde que nous sommes des réfugiés et que nous avons le droit de retourner vers notre pays », déclare-t-il. Ce dernier fait référence à la Résolution 194 des Nations unies, qui permet à tous les réfugiés de retourner vivre dans leur pays d’origine.
Ihmayed se dit toutefois extrêmement reconnaissant de la solidarité envers les Palestiniens qu’il a pu observer au fil des ans au Québec. « J’aime le Québec, car les Québécois nous appuient beaucoup plus qu’on pourrait l’imaginer. Chaque jour, ils sont dans les rues à manifester pour les droits des Palestiniens. J’espère retourner un jour en Palestine et pouvoir recevoir tous ces gens chez moi de la même manière que j’ai été reçu ici », termine-t-il en souriant.
Alors que les manifestants descendent le boulevard René-Lévesque, des membres d’Avocats pour la Palestine, un collectif d’avocats soutenant la cause palestinienne, tiennent une banderole où l’on voit les couleurs du drapeau palestinien. Vêtus de leur toge noire, ils reprennent les cris de la foule avec cœur.
L’un d’entre eux est clair : « La loi internationale le dit noir sur blanc : Israël est coupable d’une occupation illégale de la terre palestinienne », déclare-t-il. L’avocat, qui ne donne pas son prénom lors de cet échange, estime que la « lutte pour la libération doit continuer ».
« Si on suit le principe que, si quelques-uns sont opprimés, tous sont opprimés, alors nous n’atteindrons jamais une paix dans un monde où l’impérialisme et le colonialisme existent », explique-t-il.
Sur la rue Crescent, où la marche se dirige, les terrasses des restaurants et des commerces sont remplis de curieux qui prêtent attention à la foule qui arrive. Les leaders de la manifestation, munis de mégaphones, crient haut et fort à tous : « Les taxes que vous payez sur votre repas et vos pintes financent un génocide ! »