Pouvoir écouter ceux qui refusent le vaccin
En pleine cinquième vague de la pandémie de COVID-19, l’attention se tourne plus que jamais vers ceux qui ne sont pas vaccinés. Ce groupe, qui constitue moins de 15 % de la population québécoise, présente autant de points de vue que de réalités. Comme, des deux côtés, le dialogue n’existe pas, La Converse a tenté de l’ouvrir pour en savoir plus.
Voici ce que certains d’entre eux ont à dire, et ce qu’en retour, des experts répondent. « Je ne suis pas anti-vaccin », déclare d’emblée Emmanuel*. Pour ce père de famille, c’est l’imposition de la mesure qui pose problème. « Il y a des vaccins que j’ai pris, d’autres non, ça reste mon choix », nous explique-t-il. Pour le vaccin contre la COVID-19, c’est son efficacité qu’il remet en question et qui l’a amené à ne pas se faire vacciner. Pour lui, il y a un manque d'informations sur le vaccin. L’homme craint notamment que le fait de recevoir plusieurs vaccins pour une même maladie n’affaiblisse le système immunitaire. Un vaccin efficace à 90 % le ferait changer d’avis, dit-il, avant d’ajouter qu’il se méfie des vaccins les plus récents. Par exemple, dans les meilleures conditions, le vaccin contre la grippe prévient la maladie chez 40 % à 60 % des gens qui le reçoivent.
Emmanuel appuie les mesures sanitaires comme la distanciation sociale, le port du masque et le lavage des mains. Le résidant de Montréal indique que sa décision est informée par les nombreuses recherches qu’il effectue auprès de sources diverses : « Je consulte les blogues de médecins qui sont pour, et de ceux qui sont contre. » Il souhaiterait qu’il y ait une plus grande diversité de points de vue dans la sphère publique. « On entend l’avis des médecins qui sont pour la vaccination, mais pas celui de ceux qui sont contre. On entend toujours le côté du gouvernement, mais pas celui des gens qui sont contre », regrette-t-il. Ali*, qui est dans la mi-vingtaine, a attrapé la COVID-19 le printemps dernier. Heureusement, il s’en est bien remis. « Le vaccin est expérimental.
Je n’ai pas besoin de ce vaccin expérimental fabriqué à la va-vite en moins d’un an. Encore aujourd’hui, il est en cours de perfectionnement », croit celui qui dit prendre soin de sa santé de façon active par le sport, la saine alimentation et la spiritualité. Il compare la situation à d’autres traitements. « Les vaccins contre la rougeole, les hépatites ou le tétanos ont été réalisés sur des décennies », rappelle-t-il, en précisant appréhender les effets secondaires de l'immunisation que confèrent les vaccins contre la COVID-19. Il s’inquiète également des intérêts pharmaceutiques. « Je regarde dans les deux camps pour me faire une idée de la situation. Je ne reste pas enfermé dans des idées complotistes, mais je doute de l’avis et des recommandations des soi-disant experts qu’on peut voir un peu partout dans les médias de masse », laisse-t-il tomber. « Dès que tu ouvres la bouche et que tu dis que tu es non-vacciné, tu es un complotiste », soupire Marcelle*, une sexagénaire.
Les tensions se font sentir au sein même de son couple, alors que son mari, qui est vacciné, déplore sa position. Pour elle, les intérêts pharmaceutiques devraient constituer un signal d’alarme, tout comme les effets secondaires présumés des vaccins. « Je suis une vaccinée, j’ai fait vacciner mes filles contre d’autres maladies. Je ne suis pas quelqu'un qui vit dans le conflit et la revendication », explique-t-elle. Sa position se fonde notamment sur les propos de sommités médicales, qui, à son avis, ont beaucoup à perdre en se prononçant contre les vaccins pour la COVID-19. L’absence de diversité des points vue la laisse perplexe. « Pourquoi on ne prend pas en compte l’avis de ceux qui ne sont pas d’accord ? A-t-on déjà vu un débat ici à la télé où les gens disent pourquoi on est pour et pourquoi on est contre ? »
Ce qui la fera peut-être changer d’avis, c’est un vaccin qui traite la souche du virus, qui ne nécessite pas plusieurs doses. C’est un argument que fait également valoir le Dr Gary Kobinger, un spécialiste qui a co-inventé le vaccin contre Ebola et qui souhaite que les gouvernements se penchent sur l’étude d’un vaccin généraliste. Un nouveau vaccin dont le développement prendrait plus de temps, mais qui protégerait contre les variants du virus.
Un avis de médecin
La chercheuse, professeure et pédo-psychiatre Cécile Rousseau, titulaire de chaire de recherche du Canada a mené des recherches exhaustives sur la COVID-19. Elle a effectué des recherches sur les personnes non vaccinées au Québec, mais également en Ontario et en Alberta. Elle souligne que, dans ce débat, les deux groupes les plus antagonistes – les « antivax », qui considèrent le vaccin comme une agression ou une arme, et ceux qui jugent que les personnes non vaccinées sont responsables de tous nos malheurs, qu’elles doivent être punies ou ne pas être soignées – ne sont pas si différents l’un de l’autre, un peu comme un effet miroir. Pour répondre aux doutes d’Emmanuel, d’Ali et de Marcelle, la Dre Rousseau y va des explications suivantes. « Il y a beaucoup d’agents infectieux dans nos environnements. Le corps humain a la capacité de se défendre contre pas mal d’entre eux », rappelle-t-elle. Elle donne l’exemple des enfants qui sont exposés à un grand nombre d’entre eux, notamment à la garderie. Ils construisent leurs défenses au fur et à mesure, si bien qu’ils développent leur immunité et contractent de moins en moins de maladies. « L’immunité se bâtit à partir de l’exposition à des agents infectieux qu’on est capable de vaincre.
Cependant, il y a certains agents infectieux que notre corps n’arrivera pas à vaincre », ajoute la chercheuse en citant le cas de la polio, du tétanos et de la rage. « Votre système immunitaire ne devient pas paresseux quand on vous donne un vaccin. Il n’y a pas de compétition entre l’immunité naturelle et l'immunité que confèrent les vaccins », résume la professeure. Le vaccin à ARN messager utilisé contre le coronavirus qui cause la COVID-19 est relativement peu risqué en comparaison d’autres vaccins utilisés auparavant, notamment ceux contre la coqueluche et la diphtérie. « Il y a relativement peu d'effets secondaires et moins de risques qu’avec certains autres vaccins », affirme la psychiatre.
À tel point qu’on risque d’avoir une plus forte réaction en recevant un vaccin contre l’influenza. Parmi les risques qui ont été répertoriés, il y a par exemple celui de thrombose avec AstraZeneca ou de myocardite et de péricardite. Des solutions de rechange existent pour ceux qui sont à risque de souffrir de ces maladies. « Les taux d’effets secondaires ne sont pas extraordinaires, et dans ce cas-là, le risque que présente le vaccin est moindre que le risque lié au coronavirus », résume la Dre Rousseau. C’est un fait, le vaccin contre la COVID-19 a été développé rapidement. Cependant, la technologie à ARN messager qui a été employée est connue et utilisée depuis 1961. Vu l’urgence de la situation, des milliers d'équipes se sont penchés sur le problème, et des données ont été recueillies par les systèmes de santé partout dans le monde, ce qui a considérablement accéléré les choses. « Ce qui compense, pour la rapidité de développement, c’est qu’on a beaucoup plus de données sur le vaccin contre le coronavirus que sur les vaccins dont le développement a pris des décennies parce qu’il a fallu plus de temps pour accumuler la même quantité de données », indique la chercheuse. Si, pour les autres vaccins, des essais cliniques ont été menés sur des milliers de personnes, pour celui contre la COVID-19, ce sont des millions de personnes qui l’ont testé. « Les effets secondaires surviennent soit immédiatement, soit dans les quatre à six semaines qui suivent le vaccin – pas après. Ce qu’on sait, c’est qu’il n’y aura pas de problème majeur avec ce vaccin », indique la Dre Rousseau.
Comprendre les peurs
« Les peurs individuelles, que ce soit par rapport à la santé ou une critique politique et économique de la science ou de la pharmacologie, sont des positions de questionnement légitimes dans une démocratie, et tout à fait respectables », croit la Dre Rousseau. La chercheuse poursuit en indiquant qu’il est justifié d’être critique face au système de santé, à la science et aux compagnies pharmaceutiques. « C’est vrai que les industries pharmaceutiques s’en mettent plein les poches, qu’elles font partie de l’économie multinationale, qu’il y a des intérêts commerciaux », affirme-t-elle.
Même chose pour le milieu scientifique, qui ne dit pas tout. « Il y a eu énormément de scandales scientifiques dans les dernières décennies, que ce soit en matière de publication de résultats, de biais, de collusion commerciale. Ill y a de bonnes raisons à ce que les gens aient des doutes et disent qu'ils n'ont pas confiance. Il faut savoir que toutes les paroles critiques par rapport aux lobbys pharmaceutiques ou par rapport à la façon dont la science s’annonce et s'impose ne sont pas des théories complotisite », dit-elle. Dans le cadre de ses recherches, la Dre Rousseau s’est intéressée à un échantillon de personnes non vaccinées au Canada. « C’est un groupe très hétérogène, il y a une majorité de gens qui ont un capital social faible. Donc, on parle de personnes qui sont dans des conditions économiques difficiles. »
Pourtant, ce ne sont pas elles qu’on entend lorsqu’on fait allusion aux personnes non vaccinées. La spécialiste souhaite également qu’on ne présente pas les gens vaccinés comme étant automatiquement favorables aux vaccins. « Ce que mes recherches ont montré, c’est que tous les gens vaccinés ne sont pas convaincus par le bien-fondé du vaccin. L’ambivalence et la critique sont tout aussi présentes chez les gens vaccinés. Il y a des gens critiques face au vaccin chez les vaccinés, et chez les non-vaccinés, d’autres qui le considèrent. »
Cette ambivalence peut être liée à plusieurs choses, notamment à une vision critique de la médecine, ou à une approche alternative. Dans les discours, on retrouve fréquemment l’influence des peurs. Celles-ci peuvent être liées à des expériences personnelles avec des vaccins ou avec le système de santé ainsi qu’aux effets secondaires de certains médicaments ou de procédures médicales. Par ailleurs, certains adhèrent à une approche alternative de la médecine – comme la naturopathie, l'immunité naturelle, les médecines douces – ou redoutent le caractère invasif de la médecine. C’est un intérêt pour les approches alternatives en matière de santé qui a motivé la mère d’Adam* à ne jamais le faire vacciner. « Depuis ma naissance, je n’ai jamais eu un seul vaccin », laisse savoir l’homme, maintenant trentenaire, depuis sa résidence des Laurentides. « Je me souviens que ma mère écrivait des lettres au directeur pour nous empêcher de recevoir des vaccins. [...] Elle croyait beaucoup plus dans la médecine naturelle et alternative que dans la médecine occidentale », se remémore-t-il. Selon lui, les gens vaccinés sont plus fragiles, car leur système immunitaire a été « compromis ». « Pour moi, c'est mieux de ne pas se faire vacciner que de risquer de mourir », croit l’homme qui préfère prendre soin de sa santé avec des vitamines, une saine alimentation et de l’activité physique.
« Survivre à nos désaccords »
« Que des gens ne puissent plus parler ni s’identifier [comme non-vaccinés], ça montre à quel point nous sommes rendus dans quelque chose de très malsain », affirme A. Hadi Qaderi, un quinquagénaire de Montréal qui ne s’est pas fait vacciner. Ce qu’il dénonce, c’est le climat social dans lequel les mesures sanitaires nous ont plongés : « C’est comme s’il y avait deux camps qui se diabolisent l’un l’autre. Ça passe par le gouvernement, les médias et le milieu scientifique. On traite les gens qui posent des questions – ce qui est pourtant la base de la science – de toutes sortes de choses. » Pour la Dre Cécile Rousseau, « il faut rester crédible et transparent dans le discours à la population, et rester crédible pour les gens qui s’opposent aux mesures de santé publique et à la vaccination. L’idée générale, c’est vraiment de dire : on vit une période de crise, c’est important de se mobiliser ensemble, mais attention, il faut qu’on puisse survivre à nos désaccords ».
La Dre Isabelle Leblanc, médecin généraliste à Côte-des-Neiges et présidente de l'organisme Médecins québécois pour le régime public, explique qu’elle voit souvent des patients moins bien informés. Pour contrer la polarisation ambiante, elle préconise une approche humaine. « Je m'assois, je m'explique et je vois leurs craintes ; ça aide à faire changer d’idée », dit-elle. Ce n’est pas toujours gagné, certains ont besoin de plusieurs visites, et d’autres refusent quand même. « Il y en a qui pleurent parce qu’ils sont contents qu’on ait une discussion ouverte à ce sujet. Les gens se sentent très jugés, ils sont des boucs émissaires, ce qui fait qu’ils ne peuvent pas en parler à leur médecin de peur du jugement. On voit les raisons et on regarde comment on peut les aider. Les gens sont contents qu’on en parle », conclut-elle.
*Le prénom de certaines des personnes que nous avons rencontrées a été modifié à leur demande afin de protéger leur anonymat.
Pour aller plus loin :
- ARN Messager : L’ARN messager à été découvert en 1961 à l’Institut Pasteur par deux scientifiques américains, Jim Watson et Francis Crick. Grâce à cette découverte, un vaccin peut être administré plus rapidement qu’un vaccin traditionnel, dont la production peut prendre un délai de 10 ans.
- CoVivre a mis à disposition des outils en lien avec la vaccination, à consulter ici.