Hood Heroes, épisode 15 : Amine Laabi, un chef au cœur de sa communauté
Amine Laabi considère qu’il a beaucoup de chance. Pas parce qu’il a réussi à s’en sortir grâce à sa passion – la cuisine –, mais parce que cette dernière lui a permis d’organiser des rassemblements avec les siens et d’inspirer sa communauté.
C’est d’ailleurs dans le cadre d’une activité conjointe du Centre Binetna et du Forum jeunesse de Saint-Michel à laquelle nous avons pris part qu’il a cuisiné un iftar (repas qui brise le jeûne lors du mois du ramadan) avec une vingtaine de jeunes montréalais. Toute une journée, il a guidé et enseigné l’art culinaire aux adolescents, discuté et rigolé avec eux durant tout le processus de préparation.
Derrière les fourneaux, Amine est un pro, mais il nous rappelle constamment par sa bonne humeur et son empathie que tout ce qu’il fait pour les adolescents vient de sa propre expérience de jeune de quartier de Montréal.
« Le parcours typique d’un gars de Ville Saint-Laurent »
« J’ai vu beaucoup de violence très jeune. Je n’étais pas attiré par ça, mais je n’étais pas un ange non plus… » C’est comme ça que le chef cuisinier montréalais répond lorsqu’on lui demande de raconter les particularités du quartier où il a grandi.
Nous sommes samedi en fin d’après-midi, et Amine vient tout juste de terminer de cuisiner le repas de ce soir en compagnie d’une dizaine de jeunes. Un peu essoufflé, il prend le temps de s’asseoir et de s’arranger afin de nous dérouler le récit de sa vie.
Amine est né au Maroc, puis sa famille a immigré et s’est installée dans l’arrondissement de Saint-Laurent, dans le nord-ouest de la métropole. À 11 ans, il découvre un nouveau pays, une nouvelle langue, un nouveau quartier. « Je n’étais pas bon à l’école, dit-il en riant. En fait, je détestais l’école. J’avais un trouble de l’attention, qui n’était pas diagnostiqué à l’époque. C’était très dur pour moi de réussir ou d’aimer apprendre alors que je ne comprenais pas pourquoi j’avais de la misère », ajoute-t-il.
Le Montréalais, aujourd’hui âgé de 31 ans, quitte les bancs de l’école en 3e secondaire, faute de motivation et de réussite. Très tôt, il commence à travailler pour gagner sa vie. « À 18 ans, je me suis retrouvé avec plusieurs responsabilités. J’avais déménagé de chez mes parents avec mon frère, il fallait que je trouve un moyen de payer mon loyer et mes factures », se souvient-il.
Selon lui, il a le « parcours typique d’un gars de Ville Saint-Laurent ». Pourtant, il s’apprête à transformer ce stéréotype et à démontrer que « venir d’ici, c’est pas une honte, mais une fierté ».
Tout miser sur la cuisine
S’il travaillait dur pour s’en sortir, multipliant parfois les emplois et allongeant les heures de travail, Amine restait un jeune motivé parmi des amis et des connaissances qui avaient tendance à se laisser gagner par la désillusion. « Beaucoup des gars avec qui je traînais quand j’étais adolescent ont fini en prison et ont regretté d’avoir essayé de réussir par un moyen malhonnête. Certains de mes amis ont aussi perdu la vie, confie-t-il, pensif. Ça m’a beaucoup fait réfléchir et j’ai réalisé qu’il n’était pas trop tard pour que je m’en sorte sans passer par cette route-là. »
Après presque une décennie à travailler dans la vente, il s’est senti prêt à gravir les échelons. Pourtant, l’amateur de bonne nourriture songeait déjà à s’inscrire à l’école de cuisine. Mais tout semblait indiquer que ce n’était pas la bonne voie : il allait devoir lâcher son travail et repartir à zéro, sans assurance de réussite. « Ç’a été un vrai casse-tête. Comme j’avais quitté l’école en 3e secondaire, je devais faire mes équivalences scolaires avant de rentrer à l’école de cuisine. Il fallait que je me débrouille », raconte-t-il.
Amine a donc dû « tout faire pour sa passion ». Aujourd’hui, la vague d’amour et de soutien qu’il reçoit sur les réseaux sociaux et dans la vie en général lui rappelle que son dur labeur n’a pas été en vain. « Je suis un gars de communauté, ça me fait toujours plaisir et chaud au cœur quand je vois des gars du hood apprécier ce que je fais », dit-il.
Qui y a-t-il pour inspirer les jeunes ?
Étant arrivé à Montréal à un jeune âge, Amine est issu de l’immigration et se reconnaît dans les jeunes racisés qui sont touchés par les problèmes de violence dans les quartiers.
« Ça me fait vraiment mal au cœur de voir des jeunes de ma communauté impliqués dans des affaires violentes. J’entends des histoires de violence dignes de film, trop intenses pour que je croie que c’est réel, s’étonne le cuistot. Il y en a beaucoup qui ont laissé leur emploi et leur existence ailleurs pour vivre une vie moins bonne ici. Je pense qu’il y a beaucoup de jeunes qui ne réalisent pas à quel point leurs parents se sont battus et se sont sacrifiés pour eux. »
Il constate aussi que les personnes racisées qui font figure d’exemples pour les jeunes ne sont pas si nombreuses que ça. « Quand j’étais jeune, il y avait juste Rachid Badouri à qui je pouvais m’identifier. Je le voyais à la télévision et je me disais que je pouvais arriver là un jour si lui il y était parvenu. Aujourd’hui, j’espère faire ça et quand je reçois des messages de jeunes qui me confient avoir été inspirés par moi, c’est comme une fierté », dit-il avec un énorme sourire.
Choisir le bon chemin
« Je te garantis que, parmi tous ceux qui ont choisi le chemin de la criminalité, il n’y en a pas un qui ait réussi », déclare Amine. C’est ce qu’il se tue à répéter aux plus jeunes de son quartier : « Tu finiras soit mort, soit en prison. »
Il insiste sur la nécessité de tenir les adolescents occupés : « Il faut que les jeunes développent des passions ; il faut les inscrire à des sports, à des activités, peu importe. Si un jeune est occupé à faire quelque chose qu’il aime, je pense qu’il a beaucoup moins de chance de finir dans des gangs de rue ou dans quelque chose d’autre lié à la violence. »
Le chef insiste aussi sur l’importance de penser à son avenir quand on est jeune. S’il est facile pour les adolescents de se faire influencer et d’avoir la tête légère, il estime qu’ils doivent croire en eux et en ce qu’ils aiment faire. « Si tu es déterminé et que tu veux travailler, c’est sûr que tu vas réussir à long terme. C’est beaucoup mieux que de faire des conneries, et ça, c’est sûr », assure le cordon-bleu en adressant son message aux jeunes.
Tour complet
Plus de 15 ans après avoir quitté l’école secondaire, une nouvelle est parvenue aux oreilles du chef. Récemment, il a été contacté par son école, Émile-Legault, située dans Saint-Laurent, qui l’a invité à aller parler de son parcours aux jeunes.
Mine de rien, cette invitation a grandement touché le cuisinier. « Ça m’a vraiment fait quelque chose, souffle-t-il. C’est pas une école avec une très bonne réputation, et quand on m’a demandé de venir parler, je me suis senti comme à la place des jeunes de l’école, pour qui il n’y avait pas vraiment de ressources. »
« Être pris comme exemple pour prouver aux jeunes de Saint-Laurent qu’il est possible de réussir, même si on vient du quartier, ça m’a ému », ajoute-t-il, des étoiles dans les yeux.
« Tout ce que je savais, quand j’étais jeune, c’est que j’aimais manger », dit-il en rigolant. Il poursuit en nous confiant que la cuisine, c’est ce qui l’a sauvé sur le plan professionnel, mais aussi dans la vie. « Bien sûr, ça m’a ouvert beaucoup de portes, mais c’est aussi ça qui m’a gardé un peu loin du trouble. J’avais une passion, un objectif, et quand on a ces deux ingrédients lorsqu’on est jeune, ça nous guide beaucoup », conclut-il.