#Metooscolaire: au cœur des femmes qui luttent pour la voix des jeunes
« Ce que j’aime, avec ces filles-là, c’est que c’est une vibe de sisterhood. » Voilà comment Theryanne décrit sa relation avec les filles du collectif dont elle fait partie. La voix des jeunes compte est un groupe de militantes qui lutte contre les violences à caractère sexuel en milieu scolaire, plus précisément au primaire et au secondaire.
Cet organisme est formé de 23 jeunes femmes. Elles font des représentations depuis 2018 en demandant une loi-cadre à l’échelle provinciale contre les violences à caractère sexuel dans les écoles primaires et secondaires. Aujourd’hui, elles animent des conférences, des ateliers et diverses autres activités, tout en sensibilisant les jeunes à cet enjeu.
Au fil de la soirée, Kenza, Sha’nyce, Theryanne et Nerlande arrivent l’une après l’autre dans les studios de La Converse. Elles sont pour la plupart engagées dans le collectif depuis sa fondation et prennent le temps de nous présenter leur parcours et de nous confier leur réalité.
Actrices de changement
Kenza est photographe à ses heures ; Sha’nyce est coiffeuse ; Theryanne est étudiante et Nerlande adore la création de contenu. « Il y a tant à dire sur chacune des filles ici !» déclare Kenza, enjouée. La Montréalaise d’origine marocaine est sûre d’elle : chacune des personnes présentes est unique. En face d’elle, Theryanne lui répond d’ailleurs en rigolant : « Il y a aussi tant à dire sur toi ! »
Kenza
Lorsqu’elle était étudiante au cégep, Kenza et quelques-uns de ses amis ont créé un balado sur la justice sociale. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle a connu le collectif, car certaines de ses membres l’ont contactée pour en savoir plus sur son implication. « On nous a proposé de faire partie du groupe, avec les autres du balado. Ça m’intéressait vraiment, je voulais m’impliquer dans la cause. » C’est comme ça que l’étudiante a intégré les rangs de La voix des jeunes compte.
Entre ses cours à l’université et le développement de sa passion pour la photographie, Kenza a une vie bien remplie. Elle confie que, depuis quelque temps, elle se questionne sur son identité et tente de reconnecter avec ses racines marocaines. « Quand tu es une personne immigrante et que tu grandis dans un pays multiculturel, ça peut être difficile de renouer avec ton identité ; on se pose beaucoup de questions », explique-t-elle.
Sha’nyce
Coiffeuse à temps plein, Sha’nyce déclare que l’école n’était pas vraiment faite pour elle. « Après un an d’études supérieures en éducation spécialisée, j’ai décidé d’arrêter et de me consacrer totalement à la coiffure. J’en faisais déjà à côté de l’école ; c’est ma passion depuis longtemps », explique-t-elle. Elle nous confie qu’elle trouve cela ironique, car elle n’a pas aimé la coiffure dès le début. « Ma mère est aussi coiffeuse. Au début, je détestais ça. Je n’aurais jamais imaginé travailler dans ce milieu », indique-t-elle.
Aujourd’hui, Sha’nyce prend beaucoup la parole pour le collectif. Très impliquée, elle explique que c’est parce qu’elle « prend à cœur cette cause qui, selon elle, devrait sensibiliser toutes et tous dès le plus jeune âge. »
Theryanne
À sa deuxième année en sciences humaines au cégep, Theryanne a un grand intérêt pour la criminologie et la relation d’aide. C’est d’ailleurs l’une des choses qui l’a poussée à s’impliquer au sein du collectif. « Je suis là depuis bien avant la création du groupe, depuis bien plus que cinq ans, souligne-t-elle. Je pense que ce qui m’interpelle le plus, au-delà de la passion que j’ai pour la cause, c’est le sentiment de solidarité féminine qu’il y a entre nous. »
D’origine haïtienne et dominicaine, Theryanne se réjouit de s’être retrouvée au sein d’une sororité saine en s’impliquant dans le groupe. « Ça nous permet de guérir de certains maux que l’on peut connaître en grandissant, d’une certaine manière », ajoute-t-elle.
Nerlande
Également impliquée depuis la création du projet, Nerlande est passionnée par la création de contenu. « J’ai une chaîne YouTube où je publie des vlogues », nous apprend-elle, mi-gênée, mi-enjouée. Participer à des activités de sensibilisation lui permet de dépasser ses limites. « Mon objectif ici est de sortir de ma zone de confort et de m’impliquer pour un changement social important », dit-elle.
De nature réservée, Nerlande explique comment le collectif lui a permis de s’affirmer. « En prenant la parole en public et en m’occupant des réseaux sociaux, j’ai pu m’ouvrir et communiquer plus facilement avec le monde extérieur, chose avec laquelle j’ai souvent eu de la difficulté », explique-t-elle.
« À la base, avant qu’on ne se retrouve autour de la même cause, la plupart d’entre nous se connaissaient déjà bien. On habitait toutes dans le même quartier, se rappelle Theryanne, sourire aux lèvres. La proximité de nos écoles et des endroits qu’on fréquentait lorsque nous étions plus jeunes a créé une sorte de lien d’ancienneté entre nous. » Ce qui a renforcé le lien existant entre ces quatre actrices du changement, c’est la solidarité et les épreuves auxquelles elles ont fait face en défendant la cause qui est la leur depuis quelques années maintenant.
#Metooscolaire
En 2017, une loi a été adoptée pour prévenir ces violences dans les cégeps et les universités, mais aucune disposition n’existe pour les établissements scolaires du primaire et du secondaire. C’est en raison de ce manque de prévention dans les écoles que le collectif est né. Souhaitant répondre à la demande des jeunes, le regroupement exige qu’une loi soit adoptée à cet effet.
« On a toutes été au secondaire. Voir qu’aucune d’entre nous n’a été protégée de ça, c’est très grave », affirme Kenza. Par « ça », la jeune femme fait référence aux violences à caractère sexuel, lesquelles sont présentes dans les écoles primaires et secondaires.
« On a fait énormément de représentations auprès d’hommes et de femmes politiques pour répondre à ce besoin », poursuit Kenza. « Mais on commence à se tanner. On a dit tout ce qu’il y avait à dire ! rétorque Theryanne. Ce n’est pas pour autant qu’on va s’arrêter. On trouve juste d’autres manières de s’impliquer en faveur de cette cause. »
S’impliquer autrement, c’est l’une des phrases au cœur de leurs actions. Sha’nyce en a fait son mot d’ordre. Elle qui passe beaucoup de temps dans les écoles, sur le terrain près des jeunes, reconnaît qu’il faut agir de manière réaliste : « Personne n’a 13 ans et ne se dédie à participer à des conférences. La réalité, c’est qu’il faut atteindre les jeunes dans leur milieu de tous les jours », explique-t-elle.
À force de se répéter, on s’épuise
Les filles font un travail positif et inspirant, à la fois sérieux et institutionnel (elles organisent des conférences de presse, par exemple) mais aussi inspirant et personnel (elles tiennent des ateliers de sensibilisation auprès des étudiants). Elles traversent toutefois elles aussi des épisodes moins roses. C’est d’ailleurs ce que Kenza expose : « Lorsqu’on fait des prises de parole en public ou qu’on participe à des événements politiques pour faire des représentations, on doit toujours faire attention à ce qu’on dit et être politiquement correct. Pourquoi ? Bah, on est un collectif formé de femmes noires et arabes. »
« De manière générale, en tant que femme, tu dois déjà faire attention ; mais c’est encore plus vrai lorsque tu fais partie d’une minorité. Tu ne dois pas être trop énervée, tu ne dois pas être trop émotive, tu ne peux pas pleurer, et j’en passe ! Tu dois faire très attention, sinon tout le travail que tu fais sera passé sous silence et on retournera tout contre toi », énumère Kenza.
Malgré ces doubles – parfois triples – standards et l’intersectionnalité (la multiplication des oppressions) que vivent les quatre jeunes femmes, elles gardent la tête haute. « Je nous trouve très fortes. Je ne sais pas qui pourrait autant endurer ce qu’on endure », laisse tomber Kenza.
D’autres expériences, plus personnelles, ont éprouvé les filles dans le passé. Ainsi, Sha’nyce s’est déjà retrouvée dans une situation où, ayant l’intention de dénoncer une situation malsaine dans un contexte de violences sexuelles, elle a vu son intervention se retourner contre elle. « On m’a fait sentir mal. On a remis la faute sur moi, et j’ai été blessée alors que j’aidais un proche dans une situation dangereuse », ressasse-t-elle avec tristesse.
« Aujourd’hui, je réalise que c’est un petit mal pour un grand bien. Je ne regrette pas d’avoir dénoncé ce que j’ai vu parce que, au final, j’ai un peu sauvé la victime qui ne se rendait pas compte de la gravité de la situation », explique-t-elle sans entrer dans les détails. « Je ne peux pas prendre le fardeau de toutes les personnes qui pourraient être victimes, mais juste le fait d’avoir pu aider une personne, je considère avoir accompli une grande chose », poursuit-elle.
« Il ne faut pas non plus négliger le fait que certaines d’entre nous militent depuis plus de cinq ans pour la même chose, mais n’ont vu aucun résultat au niveau des autorités. À force de parler et de se répéter, on s’épuise », ajoute Kenza.
L’importance d’être soudées
Kenza, Sha’nyce, Theryanne et Nerlande reviennent constamment sur la force du lien qui les unit, surtout lorsqu’il est question de faire face à des difficultés. « Quand l’une de nous pleure, peu importe la raison, les autres sont toujours là pour la rassurer. On est toute une épaule pour l’autre, on est toujours là l’une pour l’autre ! » s’exclame Sha’nyce. Et ce « vibe de sisterhood », expression répétée à plusieurs reprises par les quatre amies, c’est ce qui rend le collectif unique.
Theryanne souligne d’ailleurs combien il faut être soudées lorsqu’on travaille sur un sujet comme les violences à caractère sexuel. « Veut, veut pas, les violences sexuelles, c’est un sujet qu’on doit prendre avec des gants blancs, image-t-elle. C’est extrêmement sensible. Il faut avoir une certaine carapace, voire de la résilience, pour en parler. »
S’impliquer autrement
« Ce qu’on fait, c’est avant tout pour les jeunes, déclare Sha’nyce en prenant la parole. La voix des jeunes compte, c’est la voix des jeunes avant tout ! »
Elle est immédiatement suivie de Nerlande, qui enchaîne avec un message spécial qu’elle souhaite adresser aux jeunes : « La persévérance, c’est le plus important. La majorité du temps, on ne verra pas tout le travail que tu fais, mais le plus important, c’est de ne pas s’arrêter. Tout porte ses fruits », déclare-t-elle solennellement. Elle demande également aux plus jeunes de toujours continuer à croire en leurs projets et en leur avenir, car ils « sont eux-mêmes le futur qu’ils souhaitent voir ».
« Une partie de moi, c’est ce collectif ; je vis ma vie à travers lui, reprend Sha’nyce. Fonce ! Si t’as une idée en tête, fais-la. Si tu penses qu’il y a plein d’obstacles, persévère et je suis convaincue que tu arriveras là où tu veux être », dit-elle avec tant de conviction qu’on croirait qu’il y a un jeune en face d’elle.