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8/5/2021

Se redécouvrir pour passer à l’action : entretien avec Daphne-Anne Olepika Takpanie Kiguktak

temps de lecture:
5 Minutes
Initiative de journalisme local
ILLUSTRATEUR:
COURRIEL
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Note de transparence

Pour comprendre et savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. C’est ce que Daphne-Anne Olepika Takpanie Kiguktak, fondatrice de YIWA-Young Indigenous Women Action/Jeunes Femmes Autochtones En Action, nous transmet comme message lorsqu’elle s’ouvre à nous pour discuter de son parcours.

On parle de ses inspirations, de la solidarité entre femmes autochtones, de guérison et, surtout, de la redécouverte de soi-même.

D’où vient ton besoin de te réunir avec des femmes autochtones ?

L’an dernier, j’ai perdu mon amie Kelly Fraser. Elle vivait beaucoup de violence latérale. Ç’a réveillé en moi un besoin. Un besoin profond, qui date de plusieurs années, qu’on se réunisse entre femmes autochtones et qu’on fasse des choses ensemble, qu’on crée des espaces pour nous. ll se passe de belles choses quand on se voit, se réunit, qu’on élève nos voix.

J’ai réalisé que le chemin que je devais suivre pour atteindre ce but était de créer un organisme à but non lucratif. L’organisme est enregistré depuis l’été dernier : il s’agit de Young Indigenous Women Action/Jeunes Femmes Autochtones En Action.

Il vise à mettre en œuvre des programmes de guérison en lien avec le territoire destinés aux jeunes femmes autochtones. L’objectif est de leur fournir des outils pour leur avenir, leur peuple et leur environnement.J’avais un projet, mais il me manquait les outils pour le réaliser. Alors, j’ai décidé d’aller à l’université.

Je ne savais même pas que c’était possible pour moi. Je ne suis pas allée au cégep. J’ai fini mon secondaire très tardivement, il y a quelques années, à l’âge de 25 ans. J’ai fait un programme qui s’appelle ACCÈS-FEP, qui existe pour les gens qui souhaitent poursuivre des études universitaires et qui ont un parcours atypique. J’en suis à ma troisième session universitaire.

En ce moment, j’étudie à temps plein à l’Université de Montréal, où je complète un certificat en gestion philanthropique. J’apprends tout ce qui touche à la philanthropie : la gestion d’un OBNL, la stratégie de développement, les cadres et les normes, et plus encore.

Quelle est ta connexion avec ta culture et ton identité ?

Il y a quelques années, je vivais du stress en lien avec la violence latérale. Je recevais des jugements comme : « Tu n’es pas autochtone, parce que ci ou ça. »Puis, c’est là qu’est apparu mon besoin criant de me reconnecter avec mon territoire, avec ma famille.

Ma mère biologique, parmi tant d’autres, a souffert des pensionnats, et ç’a créé des traumatismes. Ç’a fait en sorte qu’elle n’a pas pu s’occuper de moi. Alors, elle m’a confiée à quelqu’un d’autre qui était dans sa vie, une femme québécoise qui a pris soin de moi. Mes deux mères étaient là pour m’accueillir dans cette vie.

J’ai grandi loin de mon territoire, de la culture, et c’était super important pour moi de les retrouver le plus rapidement possible. Je me sentais vraiment perdue, entre deux mondes.

 

Ç’a créé un vide à l’intérieur de moi. Je me suis dit à un moment que ça suffisait, que je devais retourner sur mon territoire et aller rencontrer ma famille.

Du jour au lendemain, j’ai mis mes affaires dans une boîte, j’ai pris mon sac à dos, et je suis partie dans le Nord. C’est là qu’une grande aventure a commencé. Je suis allée à la rencontre de ma famille biologique pour la première fois, à Grise Fiord, au Nunavut.

ᐊᐅᔪᐃᑦᑐᖅ, Ausuittuq – c’est le nom de la communauté en inuktitut. Ça veut dire : là où la glace ne fond jamais. Il y a moins de 150 habitants. C’était toute une expérience !  

Grise Giord, Ausuittuq, à l’aube.
Photo: Daphne-Anne Olepika Takpanie Kiguktak

Quand je suis dans le Sud, le Nord me manque. Quand je suis dans le Nord, le Sud me manque aussi. Les deux endroits représentent quelque chose de tellement différent et de tellement important. J’aurai ce tiraillement toute ma vie. En même temps, c’est quelque chose qui est très beau et qui fait que je suis moi. Pour ce qui est de mon nom, ç’a longtemps été un débat personnel. Celle qui m’a élevée m’a appelée Daphne-Anne, mais ma mère biologique m’a baptisée Olepika.

J’ai grandi en portant ce premier prénom. Plus tard, à l’âge adulte, alors que je découvrais certaines choses liées à l’histoire de ma vie, j’ai commencé à demander aux gens de m’appeler Olepika. Dans mon histoire personnelle, il y a eu une séparation entre Daphne-Anne et Olepika. Aujourd’hui, j’arrive à la trentaine et je réalise que j’ai un respect énorme pour mes deux noms. En fait, ce n’est pas seulement mon nom, c’est l’histoire de ma vie.

Quels sont les éléments qui te tiennent à cœur et que tu veux intégrer dans ton projet ?

Il y a toujours un lien avec le territoire dans tout ce que je fais. Sans le territoire, sans notre environnement, on n’arriverait à rien. Il ne faut pas l’oublier et il faut faire attention à notre planète. Tous les programmes de YIWA auront un lien avec la terre. Pour renforcer ce lien, je souhaite développer un programme de voilier.

Je vois un lien clair entre la voile et les communautés autochtones. Dans un voilier, on a tous des forces et des postes différents afin de faire fonctionner le bateau. C’est ensemble qu’on réussit à avancer. Voilà le lien : avec les différentes communautés, ensemble, avec nos différentes forces, on va réussir à changer les choses pour nos peuples et notre environnement.

Qu’est-ce qui t’inspire à aller de l’avant ?

Cela fait plusieurs années que je suis impliquée dans le milieu environnemental, dans la protection de la terre. Je me suis impliquée dans différents groupes, où j’ai souvent été la seule femme autochtone. Je me demandais où elles étaient, et pourquoi j’étais la seule. Je souhaitais voir une belle génération de femmes autochtones impliquées.

C’est de là que m’est venue l’idée de créer YIWA, de construire un espace de création pour des femmes autochtones afin qu’on bâtisse quelque chose de solide ensemble pour notre avenir.L’idée m’est également venue en voyant l’absence des femmes autochtones dans les médias. Il y a quelques années, c’était choquant de constater qu’il y en avait très peu.

Tranquillement, les gens commencent à s’intéresser aux peuples autochtones ; on nous donne plus d’espace.Avec la colonisation, la place des femmes autochtones a tellement changé. On est tellement effacées. On disparaît, on est assassinées dans ce pays, c’est tellement alarmant. Il est vraiment urgent qu’on reprenne notre place. Que les gens réalisent aussi à quel point les femmes sont sacrées. Il faut retrouver ce respect de la femme.

Le 8 mai prochain, Olepika animera le premier panel de YIWA, où on retrouvera également Olivia Lya Thomassie, Uapukun Mestokosho, Laura Fontaine et Maïtée Labrecque-Saganash, qui discuteront de territoire et d’identité.
L’actualité à travers le dialogue.
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