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Les coulisses d’un salon de l’immobilier offrant des biens en terre palestinienne
Dans une salle de la Synagogue espagnole et portugaise de Montréal, les kiosques du salon immobilier accueillent les participants. Photo: Loubna Chlaikhy
9/3/2024

Les coulisses d’un salon de l’immobilier offrant des biens en terre palestinienne

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5 Minutes
Initiative de journalisme local
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Note de transparence

L’organisation d’un salon de l’immobilier israélien, où ont été mis en vente des biens se trouvant en territoire illégalement occupé en Cisjordanie, a suscité l’indignation d’une partie de la communauté juive et de tous ceux qui soutiennent la Palestine. La Converse s’y est rendue. Une manifestation organisée à l’appel des Voix Juives Indépendantes du Canada a réuni près de 200 personnes devant la Synagogue espagnole et portugaise, le mardi 5 mars 2024.

« Sionistes, rentrez chez vous, la Palestine n’est pas votre maison. » À la tombée de la nuit, une foule proteste contre l’Israeli Real Estate Event, organisé par le groupe américain Keller Williams et sa filiale israélienne Home in Israel. Kippas et keffiehs palestiniens sont réunis sous des drapeaux palestiniens flottant au vent. Ensemble, ils dénoncent la tenue de cet événement, dans le cadre duquel sont offerts à la vente des biens immobiliers situés dans des colonies israéliennes illégales en Cisjordanie. Plus de 490 000 personnes y vivent actuellement.

« On a d’abord fait une campagne de publipostage pour demander à la synagogue d’annuler cet événement, car ce n’est un événement ni juif, ni religieux, ni culturel de vendre des terrains volés. On a appris qu’après avoir pensé l’annuler, ils ont décidé de l’organiser quand même. Donc, on a appelé la communauté juive et nos frères palestiniens à se rassembler. C’est une soirée très émouvante pour nous, car c’est difficile de manifester devant une synagogue, mais c’est un message d’amour et de justice pour nos traditions juives », confie Sarah Boivin, représentante des Voix Juives Indépendantes (VJI) à Montréal.

À la suite des attaques menées par le Hamas le 7 octobre 2023, qui ont causé la mort d’au moins 1 200 personnes, selon l’État hébreu, les représailles israéliennes ont fait à ce jour plus de 30 200 morts à Gaza, selon le ministère de la Santé palestinien. Parallèlement, le gouvernement de Netanyahou promeut l’Alyah, ou « retour en Terre d’Israël de la diaspora juive internationale » (un ministère y est consacré), plus particulièrement auprès des Juifs d’Amérique du Nord.

C’est dans ce contexte qu’une tournée de l’immobilier israélien est organisée pour la première fois à Montréal, à Toronto ainsi que dans plusieurs villes des États-Unis ce mois-ci. Sur le site de l’événement, la liste des villes où des biens sont proposés à la vente attire l’attention. On trouve en effet plusieurs localités situées dans des colonies israéliennes, de Cisjordanie, lesquelles sont considérées comme étant illégales par le droit international : Neve Daniel, Efrat et Ma’aleh Adumin.

« De tels transferts constituent un crime de guerre, pouvant engager la responsabilité pénale individuelle des personnes impliquées », souligne un récent rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. De son côté, le Canada a réaffirmé sa position le 20 novembre 2023 : « Ainsi que l’ont fait les gouvernements successifs canadiens, le Canada ne reconnaît pas le contrôle permanent exercé par Israël sur les territoires occupés depuis 1967, et s’oppose vivement aux colonies illégales en Cisjordanie. »

Alors, la plus vieille synagogue du Canada a-t-elle vraiment accueilli un salon proposant à la vente des biens illégaux ? C’est pour tenter de comprendre l’état d’esprit des participants de ce salon de l’immobilier que La Converse s’est rendue sur place.

Des ventes non dissimulées

« Est-ce que vous êtes juive ? » La question a été posée à l’une de mes collègues lorsqu’elle s’est présentée à l’entrée de la synagogue montréalaise pour couvrir le salon comme journaliste. Sa réponse négative a été suivie d’un refus catégorique de la laisser entrer. Comme elle, plusieurs personnes, inscrites pour participer à l’événement, n’ont pas pu franchir le cordon de sécurité établi par la police et au bord duquel un agent de l’événement était chargé de filtrer les entrées. Pourtant, l’achat d’un bien immobilier n’est pas réservé aux personnes de confession juive, puisque la loi israélienne autorise les étrangers à s’y établir ou à y investir.

Finalement, je parviens à entrer, prétextant être à la recherche d’informations pour un père fictif ayant un projet d’achat en Israël. À l’intérieur, sous le lustre imposant de la salle de la synagogue, se tient bel et bien un salon de l’immobilier, avec des stands et des bannières publicitaires.

Dès le premier kiosque, on m’encourage à aller m’installer en Israël. « Beaucoup de Juifs viennent vivre en Terre sainte depuis le 7 octobre, vous devez venir. Venez en vacances et vous ne voudrez plus repartir, c’est chez vous ! » m’assure un promoteur.

Un peu plus loin, à un autre kiosque, une femme me présente plusieurs projets immobiliers, dont un particulièrement luxueux situé à Efrat, une colonie illégale en Cisjordanie. « Regardez sur Internet, vous allez voir que c’est vraiment très beau. La communauté là-bas est géniale, et c’est moins cher qu’en Israël », vante-t-elle sans se cacher. Les étrangers sont en outre exemptés de la taxe pour un achat à Efrat. Une façon de réaliser des économies, tout en étendant la présence israélienne en Cisjordanie.

Le conflit actuel ne semble nullement peser sur le marché de l’immobilier, selon un exposant auquel je soumets mes inquiétudes au sujet du contexte actuel au Moyen-Orient. « On a plus de demandes que d’offres, le marché ne fait que monter, c’est un investissement garanti, m’assure le promoteur. Ne vous inquiétez pas pour le contexte ! Le seul problème, avec les Palestiniens, c’est qu’on ne les a plus pour travailler sur les chantiers de construction. Mais on est en train de faire venir des Chinois pour les remplacer. »

Ici, judaïsme, sionisme et immobilier ne font qu’un. Le business de l’immobilier a tout à gagner, puisque ces colonies, jugées illégales par la communauté internationale, sont reconnues par Israël. La construction de 3 426 logements vient tout juste d’être approuvée par une instance israélienne dans les colonies de Ma’aleh Adumin, Kedar et Efrat, en Cisjordanie. Un marché de plus pour le secteur, et un exemple de plus de la stratégie de l’État hébreu.

Plusieurs intrusions de militants juifs

Durant la soirée, trois membres des Voix Juives indépendantes parviennent à entrer. Après quelques instants, ils crient leur opposition. « Honte à vous, je suis juive et vous nous faites honte ! C’est illégal et honteux ! » crie l’une d’entre elles, immédiatement expulsée par la sécurité sous les applaudissements.

Interrogée sur la préparation de ces intrusions, Sarah Boivin assure qu’il s’agit d’initiatives individuelles, dont elle se félicite. « Cela démontre combien les membres des Voix Juives Indépendantes sont désespérés. Ce sont des actions très courageuses pour faire entendre notre voix et demander à nos autorités religieuses de prendre une décision d’intégrité et d’arrêter d’appuyer un régime génocidaire », estime-t-elle.

Mais l’effet escompté est loin d’être obtenu, et beaucoup s’amusent de ces interruptions. « Ce n’est pas illégal, c’est chez nous ! » lance un exposant. « Les pauvres, ils ne comprennent pas qu’on s’en fout d’eux dehors ? » ironise un agent immobilier de Keter Advisor.

Deux visions du judaïsme

Des exposants improvisent ensuite une contre-manifestation, drapeaux israéliens à la main. « Israël est vivant », chantent-ils en chœur.

« C’est chez nous, les colonies ! C’est vous qui dites que c’est illégal, nous on dit que c’est Israël », déclare Gabriel, un Montréalais de 28 ans. « Ils se disent Juifs, mais ils ne peuvent pas être Juifs et être contre Israël », estime de son côté Sarah (nom d’emprunt).

À quelques mètres de distance, face à face, séparées par un cordon de policiers, deux visions s’affrontent autour d’une même religion. « On vit un moment très représentatif de ce qu’est la communauté juive : une communauté très unie, mais qui a de grandes divergences, notamment politiques. Les juifs antisionistes existent depuis que le sionisme existe, mais notre minorité grandit. Notre génération a appris que non seulement on peut, mais on doit rejeter le sionisme pour être en accord avec nos principes religieux », analyse Sarah Boivin. « On ne manifeste pas contre la synagogue, mais contre cette foire de l’immobilier complètement illégale », tient à souligner un manifestant.

Sarah Boivin, représentante des Voix Juives Indépendantes, a pris la parole pour remercier les manifestants de s’être présentés afin de s’opposer à l’événement.

Jeudi, les Voix Juives Indépendantes ont appris qu’une injonction provisoire de la Cour supérieure, datée du mardi 5 mars, les vise. Celle-ci interdit à l’organisme, ainsi qu’à plusieurs organisations pro-palestiniennes, de manifester à moins de 50 mètres de 6 établissements de la communauté juive à Montréal.

D’un autre côté, aucune mesure n’a été prise contre les organisateurs de cette tournée nord-américaine de promotion de l’immobilier israélien, qu’il soit légal ou non. Le 7 mars, celle-ci s’est arrêtée à Toronto, là aussi dans une synagogue. Les Voix Juives Indépendantes s’étonnent du silence des autorités québécoises et canadiennes et réclament des décisions fortes pour interdire ces ventes illégales, considérées par les Nations unies comme des « crimes de guerre ».

Malgré plusieurs tentatives, nous n’avons obtenu aucune réponse des représentants de la Synagogue espagnole et portugaise et des organisateurs du salon immobilier. Je suis retournée sur place. Le calme était revenu dans le lieu de culte, que j’ai trouvé fermé en ce jour du sabbat, celui du repos pour la communauté juive.

Le calme est revenu à la Synagogue espagnole et portugaise de Montréal.
L’actualité à travers le dialogue.
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